Dans la nuit du 24 avril 2022, soir des résultats du second tour de l’élection présidentielle, un agent de la police nationale ouvrait le feu avec son fusil d’assaut sur un véhicule qui aurait, selon les termes du rapport de police, « foncé » sur une patrouille de police [1].
Deux frères, Boubacar, 31 ans, et Fadjigui 25 ans, ont perdu la vie. Le pronostic vital du passager arrière n’a pas été engagé [2].
Quelques jours plus tard, cet agent de la police nationale était mis en examen pour homicide volontaire, violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et violences volontaires aggravées [3].
Le syndicat de police Alliance appelait immédiatement à manifester à proximité de la Cour d’appel de Paris alors même qu’une information judiciaire est en cours [4]. Au sujet d’une décision qualifiée d’« inadmissible », il était affirmé : « à ce stade de nos informations, Alliance ne peut accepter que notre collègue soit la victime du système judiciaire qui continue à rester l’ombre de lui-même ! ». Le syndicat soutenait également que la « loi sécurité publique » devait trouver à s’appliquer « lorsqu’un véhicule fonce délibérément sur nos collègues ».
Ce fait d’actualité a relancé le débat sur la présomption de légitime défense au profit des forces de l’ordre et l’instrumentalisation qui peut en être faite, aussi bien par des partis politiques que par des syndicats policiers. Il incite également à examiner de plus près les changements induits par la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, loi à laquelle fait référence Alliance dans son communiqué.
Pendant la campagne présidentielle 2022, les candidats Valérie Pecresse, Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen s’étaient également déclarés favorables à une présomption de légitime défense au profit des forces de l’ordre, sur fond d’électoralisme et de prétendue crise d’autorité.
Plus encore, Eric Zemmour avait quant à lui défendu la notion de « défense excusable », voulant introduire la subjectivité de la crainte dans l’objectivité du droit [5].
D’une certaine manière, cette présomption de légitime défense existe déjà. En matière de police administrative, on parle ainsi du « privilège du préalable », l’administration pouvant créer une situation de droit ou de fait, présumée légale tant qu’un magistrat n’a pas jugé le contraire.
Force est de constater qu’en la matière, la démagogie se nourrit de la méconnaissance du grand public des règles applicables et d’une idée répandue selon laquelle le droit serait insuffisamment protecteur pour les forces de l’ordre dans le cadre de la riposte. Des syndicats policiers entretiennent également la représentation d’une justice qui serait complaisante avec les délinquants et injustement dure avec les policiers lorsqu’ils sont mis en cause.
Les débats suscités par le regrettablement fameux article 24 de la loi dite Sécurité Globale, qui visait à réprimer la provocation à l’identification d’un policier ou gendarme alors que notre Code pénal est déjà amplement garni d’infractions servant les objectifs publiquement poursuivis, avaient déjà constitué une illustration de cette tendance.
En réalité, la légitime défense obéit à un cadre légal et réglementaire strict (I) dont il ne peut être soutenu qu’il n’apporterait pas une garantie de protection suffisante aux policiers qui seraient attaqués (II).
I) Le cadre de la légitime défense et d’usage des armes par les forces de l’ordre.
A) Les conditions de la légitime défense.
La légitime défense est consacrée à l’article 122-5 du Code pénal en ces termes :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.
N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction ».
Cet article est directement suivi de deux présomptions visant les situations où il s’agit de « repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité » ou de se « défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence » (article 122-6 du Code pénal).
Hors ces deux cas, ce fait justificatif nécessite, pour être retenu, que la riposte soit :
Légitime - ainsi n’est pas retenue la légitime défense de personnes l’invoquant pour justifier des violences commises à l’encontre d’agents de la police nationale les interpellant (Crim. 9 février 1972, n°71-91.349, Publié au bulletin) ;
Concomitante à l’atteinte subie - et ce afin d’exclure toute réaction de vengeance ne visant plus seulement la protection de sa vie ou de celle d’autrui (Crim. 27 juin 1927, S. 1929. 1. 356.) ;
Proportionnée à la gravité de l’atteinte subie (Crim. 7 décembre 1971, n° 70-92.619, Publié au bulletin).
Comme tout fait justificatif, l’appréciation de la légitime défense appartient aux juges. Ceux-ci analysent alors le contexte, l’atteinte subie et la légalité de la riposte.
Mais avant l’appréciation de cette légitime défense pour les forces de l’ordre, il se pose une autre question : celle de la légalité de l’usage de la force et/ou des armes.
B) Le cadre de l’usage de la force.
En la matière, les principes sont toujours ceux de la nécessité, de la légitimité et de la proportionnalité.
Ces trois exigences sont défendues par la Cour européenne des droits de l’homme.
Il sera notamment rappelé que, selon l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection ».
Il pèse sur les Etats une obligation positive de mettre en place un cadre législatif et administratif adéquat.
Ainsi, tout usage de la force armée doit être strictement proportionnée au regard des circonstances y ayant conduit [6].
Ce recours à la force doit être également absolument nécessaire [7].
Ces trois exigences sont également posées par le Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale prévu aux articles R434-1 à R434-33 du Code de la sécurité intérieure.
Ainsi, le policier ou le gendarme doit faire preuve de « discernement » (article R434-10 du Code de sécurité intérieure).
Il est « au service de la population » et veillent à se « comporter en toute circonstance d’une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération » (article R434-14 du Code de sécurité intérieure).
Le policier ou le gendarme ne peut employer la force « que dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace ».
Ce n’est que si la force n’est pas suffisante qu’il peut alors faire usage des armes « en cas d’absolue nécessité » (article R434-18 du Code de sécurité intérieure).
C) Le cadre de l’usage des armes.
A ce titre, il doit être aussitôt constaté qu’il existait auparavant une différence de régime de l’usage des armes entre les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie.
Cette différence de régime pouvait vraisemblablement s’expliquer par la différence de formation entre policiers et gendarmes.
Décriée dans les finalités poursuivies, la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique est venue unifier ce régime en créant l’article 435-1 du Code de la sécurité intérieure, fruit de revendications policières particulièrement insistantes [8].
Cet article prévoit ainsi cinq cas distincts dans lesquels les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent faire usage de leurs armes :
« Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L211-9, faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :
1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;
2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;
3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes ».
Une note de la Direction de la Sécurité de Proximité de l’Agglomération Parisienne [9] est venue expliciter ce nouveau régime.
Elle rappelle encore une fois l’absolue nécessité qui doit commander l’usage des armes.
Elle rappelle enfin l’exigence de proportionnalité et l’utilisation en dernier recours de celles-ci.
En tout état de cause, le fait de se trouver dans l’une de ses hypothèques n’exclut pas un emploi de la force et des armes « absolument nécessaire en l’état des circonstances de l’espèce » (Crim. 18 février 2003, n°02-80.095).
Mais en tout état de cause, nul besoin d’être blessé pour se défendre.
Comme il peut l’être constaté, la légitime défense et l’usage de la force et des armes par les forces de l’ordre est précisément encadré.
Il l’est d’autant plus que les conséquences de cet usage peuvent être dramatiques comme lors de cette nuit du 24 avril 2022.
II) Vers un élargissement de la légitime défense pour les forces de l’ordre ?
A) Une surenchère sécuritaire.
Depuis les années 2000, nos responsables politiques se font la course à la surenchère sécuritaire. Ils profitent d’un climat politique favorable à des idées placées de plus en plus à droite de l’échiquier politique mais aussi de l’ignorance du plus grand nombre quant à la réalité des règles qui existent en ce domaine.
Ainsi, l’idée très répandue du policier qui ne pourrait pas réagir avant de se faire tirer dessus est aujourd’hui bien trop défendue, insuffisamment contredite avec la pédagogie dont devraient pourtant faire preuve nos représentants.
Et pourtant, le droit permet tout à fait d’user de la force et/ou des armes sans attendre d’être blessé.
Tout est fonction du contexte et histoire de nuances, ce qui manque cruellement aux débats publics.
Dans [son avis sur la loi relative à la sécurité publique [10], la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) alertait sur le risque que certaines dispositions « ne conduisent à l’utilisation des armes à feu dans des situations relativement fréquentes de courses-poursuites en zone urbaine, les fonctionnaires de police en venant à considérer que le véhicule pourchassé crée, par la dangerosité de sa conduite, un risque pour l’intégrité des autres usagers de la route et des passants », critiquant l’extension du régime des militaires de la gendarmerie aux agents de la police nationale.
Ces poursuites de véhicule avaient été proscrites par une note de la Préfecture de police du 3 mars 2015. Le préfet de police, Didier Lallemand décidait pourtant en 2020, de revenir sur cette directive [11].
Cette surenchère alimentée par des tactiques bassement politiciennes conduit à ce qu’une manifestation de policiers à proximité de la Cour d’appel de Paris ne suscite aucune indignation.
Aucune indignation non plus lorsque Fabien Venhemelryck, secrétaire national du syndicat Alliance, assène publiquement et sous les applaudissements que « le problème de la police reste la justice » [12].
Indignation clairement insuffisante enfin lorsque Olivier Faure soumet l’idée d’un droit de regard des forces de l’ordre sur les peines prononcées [13].
C’est la séparation des pouvoirs et les principes d’un Etat de droit qui se retrouvent directement menacés.
B) Un cadre adapté à la diversité des situations.
Dans la théorie du droit, les faits justificatifs, à l’instar de la légitime défense, s’apprécient nécessairement après la caractérisation des éléments constitutifs d’une infraction.
S’ils sont retenus, ils viennent en quelque sorte neutraliser l’infraction, empêchant toute condamnation.
Ce cheminement peut paraître anecdotique. Il est en réalité fondamental.
Consacrer textuellement une présomption, c’est non seulement renverser la charge de la preuve mais c’est également renverser ce cheminement intellectuel.
Alors même que l’usage des armes à feu était à la hausse, le nombre de policiers mis en cause pour non-respect de la légitime défense restait stable [14].
Des gendarmes qui avaient abattu en 2017 un individu jugé dangereux et menaçant, muni d’un couteau, n’ont pas été condamnés [15].
La légitime défense a été retenue pour des policiers qui avaient tiré sur un individu qui avait refusé d’obtempérer et avait percuté au niveau de la jambe un fonctionnaire de police (Crim, 16 février 2021, n°20-86.552).
Elle a aussi été retenue au profit d’un agent de la police nationale qui tirait une dizaine de fois sur un automobiliste qui refusait de s’arrêter, alors même que ce dernier avait contourné l’agent en actionnant son clignotant (Crim, 19 octobre 2021, n°21-84.806).
En 2016 déjà, l’ONG Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) dénonçait une notion de légitime défense devenue « banale », la parole du policier bénéficiant généralement d’un « surcroît de crédibilité » [16].
Christian Mouahnna, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, affirmait en 2018 que
« la police est très peu contrôlée. Les procureurs ont peur de poursuivre les policiers, tant et si bien qu’ils se montrent bienveillants avec les actes commis. Le nombre de condamnations demeure très faible » [17].
En réalité, les dispositions légales et réglementaires paraissent amplement suffisantes, si ce n’est déjà trop permissives.
Suffisantes car elles octroient déjà un régime dérogatoire aux forces de l’ordre. La jurisprudence témoigne de l’absence totale de dureté particulière à l’encontre des forces de l’ordre, bien au contraire. Des procédures sont même régulièrement classées par le procureur de la République, avant tout débat au fond devant une juridiction de jugement.
Suffisantes encore car elles circonscrivent ce régime dans des exigences de proportionnalité, légitimité et nécessité qui sont fondamentales dans un Etat de droit.
Suffisantes enfin car ces exigences permettent une réponse graduée en fonction de la menace sans gêner l’intervention des forces de l’ordre.
Il appartient alors aux juges d’apprécier souverainement les faits.
Cette appréciation souveraine, comme toute appréciation, présente des avantages et des inconvénients.
Mais elle est la garantie certaine d’un moindre arbitraire.
Ces principes cardinaux de l’usage de la force et des armes par les forces de l’ordre permettent un contrôle a posteriori de la légalité de la réponse.
Ils assurent la protection autant que faire se peut des justiciables et de leur intégrité physique alors que ceux-ci n’ont pas juridiquement à s’opposer à l’action des forces de l’ordre, la légitime défense des justiciables leur étant niée.
Mais le ferait-il qu’ils ne mériteraient pas pour autant de perdre la vie.
Il est confondant de constater une forte hausse des usages d’arme après l’entrée en vigueur de la loi de 2017 unifiant les régimes [18].
La consécration d’une présomption de légitime défense n’apparaît pas pertinente.
Plus encore, la proposition d’une « défense excusable » est hors sol. Il s’agirait d’élargir la notion de légitime défense en faisant abstraction de la condition de proportionnalité entre la riposte et l’atteinte subie, « à la condition que la personne ait agi dans un état excusable d’excitation ou de saisissement causé par l’attaque » [19].
Il s’agit finalement de prendre en compte l’émotion ressentie par celui qui riposte à une attaque, la proportionnalité s’appréciant alors entre la riposte et l’émotion ressentie.
L’appréhension d’un sentiment donne libre champ à la subjectivité des ressentis dans l’objectivité théorique du droit et consacre finalement une sorte de droit dérogatoire en fonction de ceux-ci.
Du reste, l’article 435-1 du Code de sécurité intérieure prévoit déjà une forme de « défense anticipée » dont proportionnalité et légitimité peuvent ensuite être appréciées par le juge.
C) Un équilibre salutaire entre ordre public et Etat de droit.
Ces dernières années, les forces de l’ordre se sont retrouvées au cœur des critiques.
En parallèle, elles se sont retrouvées confrontées à des situations aussi complexes, dramatiques et bouleversantes que des attentats. L’absence de légitime défense ne s’est pas posée lors de l’attaque au marteau de Notre-Dame, arrêtée par des tirs au thorax de l’assaillant [20].
Tout en même temps, les forces de l’ordre sont engagées dans des manifestations à la chaîne, conséquence directe de la sourde oreille des politiques à de légitimes revendications.
Il faut les protéger, c’est une certitude.
Toutefois, ces dernières années se sont aussi accompagnées d’une surenchère politique à leur égard, multipliant les faveurs [21]. En 2020, le Monde recensait ainsi 25 ans de lois prises à leur profit, introduisant son article sans la moindre ambigüité : « au gré des faits divers et des revendications de syndicats de policiers, les lois de protection des forces de l’ordre s’accumulent depuis vingt ans » [22].
Une des dernières occurrences découle de la loi du 24 janvier 2022 excluant des réductions de peine de l’article 721 du Code de procédure pénale les personnes condamnées, par exemple, au titre du tout nouvel article 222-14-5 du Code pénal réprimant spécifiquement les violences commises sur des forces de l’ordre [23]. Comme si l’infraction n’existait pas déjà.
Revendications de peines minimales, aggravations des peines, création de nouvelles infractions.
Tant de postures politiques qui ignorent délibérément les causes des colères et jettent un voile sur les impacts réels de telles mesures, privilégiant les effets d’annonce à des réflexions poussées.
Or, ce mouvement en a accompagné un autre : le déploiement progressif d’armes toujours plus létales et à disposition de toujours plus d’agents.
Nous nous sommes tant habitués à voir défiler chaque jour policiers et gendarmes armés jusqu’aux dents, en mission de sécurisation, en manifestation, ou même en simple intervention.
Les forces de l’ordre se retrouvent équipés d’armes toujours plus dangereuses alors que la formation reste famélique, l’avis n°146 (2019-2020) de M. Henri Leroy fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 novembre 2019 titrant même « l’entraînement au tir : des aménagements urgents à réaliser ».
En février 2022 encore, la Cour des comptes [24] alertait sur le manque de formation des fonctionnaires de police.
Pour obtenir l’habilitation, la formation initiale se résume à quelques heures de formation au tir, les forces de l’ordre, et surtout les agents de la police nationale, n’étant que très peu formées à l’usage et à la maîtrise en contexte opérationnel de leurs armes.
Par la suite, l’arrêté du 27 juillet 2015 relatif à la formation continue aux techniques et à la sécurité en intervention des personnels actifs de la police nationale et des adjoints de sécurité prévoit seulement un volume horaire minimal annuel de douze heures pour l’entraînement aux techniques et à la sécurité en intervention (article 4), pouvant être aménagé en trois séances de tir par an et 90 cartouches tirées et des séances de pratiques professionnelles en intervention (article 5). Trois séances annuelles donc pour manier des fusils d’assaut en ville.
A titre d’exemple, la durée de la formation continue pour les avocats est de vingt heures par an [25], et ce alors qu’ils ne manient pas d’armes dans l’espace public…
Au demeurant, l’inadaptation de certaines de ces armes à un milieu urbain et à des missions quotidiennes de police ne fait qu’augmenter les risques de bavure.
L’arme utilisée sur le Pont-neuf était un fusil d’assaut HK G36, pouvant tirer jusqu’à 750 coups par minute, tenue par un policier âgé seulement de 24 ans [26], affecté à l’unité mobile d’intervention et de protection (UMIP) [27]. Ces agents, chargés en temps normal de la sécurisation des ambassades, ne sont pas formés à l’anticriminalité. On leur confie pourtant des armes de guerre et en l’absence de formation suffisante, et plus spécifiquement relative au maniement des armes, le manque de discernement et l’appréciation de la proportionnalité ne peuvent qu’être biaisés et les conséquences dramatiques.
Un fusil d’assaut HK G36 est, rappelons-le, une arme de guerre. Et une arme de guerre n’est absolument pas adaptée à des missions de sécurisation.
Ces deux mouvements communiquent et s’entrelacent, devenant source d’inquiétude au regard des conditions et des temps de formation de certaines catégories de forces de l’ordre.
L’armement toujours plus massif des forces de l’ordre peut en parallèle conduire à envenimer des situations jusqu’à la tragédie. Ne pouvant laisser leurs armes dans leurs véhicules, ceux-ci se retrouvent contraint de se déplacer constamment avec sans que cela ne soit forcément justifié.
La proportionnalité de la riposte s’apprécie alors fatalement de manière différenciée.
Assouplir les conditions de la légitime défense ou créer une présomption au profit des forces de l’ordre ne fait que conduire à des situations kafkaïennes : le justiciable blessé se retrouve dans l’obligation de démontrer l’absence de légitime défense de l’auteur des violences qu’il a subies.
C’est aussi admettre à demi-mot que l’usage des armes par les forces de l’ordre ne nécessiterait pas d’investigations. C’est accorder un blanc-seing lorsqu’il apparaît plus que nécessaire et avant toute chose de rétablir la confiance de la population en sa police [28].
Lorsque l’on voit ce que peut donner une appréciation particulièrement extensive de l’usage des armes par des agents de la police aux Etats-Unis, on ne peut que craindre d’accorder une telle présomption [29].
Faut-il encore diminuer la qualité de la relation entre police et population en France, déjà située dans le tiers inférieur de l’Union européenne [30] ?
Et comme si ce n’était pas déjà beaucoup, certains revendiquent aujourd’hui la création de magistrats spécialisés en matière d’infractions commises par les forces de l’ordre [31].
C’est méconnaître la réalité judiciaire où les forces de l’ordre font déjà l’objet d’une appréciation beaucoup plus souple, le contexte étant appréhendé très précisément lorsqu’il est souvent ignoré pour les justiciables ordinaires [32].
La qualité de personne dépositaire de l’autorité publique, faut-il le rappeler, est une circonstance aggravante de très nombreuses infractions, et non une circonstance atténuante.
Les forces de l’ordre disposent du pouvoir de contrainte, de l’usage de la force et des armes.
L’exemplarité doit être d’autant plus attendue du fait de leur qualité. C’est une condition sine qua none de la confiance des justiciables en leurs institutions en une matière aussi régalienne.
Les échos médiatiques nous font trop souvent entendre une logique inverse, à rebours complet des principes animant nos sociétés contemporaines.
Encore faudrait-il, et il ne peut que l’être déplorer, que leur formation soit suffisante et leurs moyens suffisants. Moyens non pas en termes de dotation d’armes, mais en termes humains et financiers. En termes enfin de formation et de suivi. Il n’est pas admissible que tant de forces de l’ordre mettent fin à leur jour [33].
Il est juste que la légitime défense soit strictement encadrée. Dans la théorie politique de nos sociétés contemporaines, l’État a accaparé la violence et l’a encadrée.
Assouplir la légitime défense, c’est ébrécher ce principe fondamental et donner aux subjectivités la possibilité de rompre le contrat social.
Le législateur n’a pas à légiférer à chaque fait d’actualité, tout aussi révoltant qu’il soit.
La loi se doit d’avoir une aspiration dénuée de sentimentalisme puisque la loi régit la société et n’a pas vocation à répondre à chaque fait particulier.
Compte tenu de la multiplication des lois pénales depuis les années 2000, le législateur ferait bien de s’en rappeler.