I. La liberté religieuse, fondement juridique international.
Les instruments majeurs consacrant la liberté de religion sont bien établis :
La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH, 1948), article 18, affirme explicitement la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP, 1966), article 18, renforce cette liberté, notamment le droit de changer de religion.
La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 1950), article 9, protège également la liberté religieuse tout en autorisant des restrictions légales nécessaires dans une société démocratique.
Ces textes constituent un socle normatif robuste, reconnu par la quasi-totalité des États. Toutefois, leur mise en œuvre souffre de nombreuses limites, qu’il convient d’analyser.
II. Les médias et la fabrique des tensions culturelles et spirituelles.
Un facteur majeur de la montée des tensions religieuses et culturelles est aujourd’hui l’instrumentalisation des médias, parfois considérés à tort comme des garants de la laïcité.
En France, par exemple, la chaîne CNews, originellement perçue comme un média laïque et pluraliste, s’est transformée en un organe de diffusion quasi exclusive de valeurs catholiques conservatrices. Sous couvert de lutter contre une « paranoïa islamiste », elle oppose de manière systématique les « racines chrétiennes » à la présence musulmane, exacerbant les fractures sociales.
À l’étranger, on observe des phénomènes comparables :
- Aux États-Unis, certaines chaînes comme Fox News diffusent des discours religieux identitaires, alliés à des mouvements évangéliques, amplifiant les divisions.
- En Inde, des médias proches du nationalisme hindou propagent une idéologie qui remet en cause la coexistence religieuse, marginalisant les minorités musulmanes et chrétiennes.
- En Israël, certains médias ultra-orthodoxes exacerbent les tensions entre différentes communautés juives et envers les populations arabes.
Ces exemples montrent que la prétendue neutralité des médias peut se transformer en un levier puissant de radicalisation culturelle et religieuse, affaiblissant ainsi le cadre juridique protecteur.
III. L’étrangeté de la nomination d’un pape américain et les alliances politiques religieuses.
Un autre signe des tensions actuelles est la récente nomination d’un pape américain, quelques mois seulement après l’élection d’un président des États-Unis dont le vice-président est un converti à une forme extrême de catholicisme traditionaliste.
Cette coïncidence, qu’on pourrait juger fortuite, révèle une convergence entre pouvoir politique et pouvoir religieux au plus haut niveau.
Cette alliance rappelle l’oligarchie religieuse et politique de la Grèce antique, où quelques figures exerçaient un contrôle étroit sur la société au nom de dogmes supposés supérieurs.
Elle interroge la capacité du droit international à prévenir que de telles prises de pouvoir spirituelo-hiérarchisées ne deviennent des instruments de domination exclusive, au détriment de la liberté de conscience et de l’égalité.
IV. La figure du chef religieux : une construction historique contestable.
Un aspect fondamental rarement examiné dans la doctrine juridique est la nature même de l’autorité religieuse centralisée, souvent incarnée par des figures telles que le pape.
Le pape, chef de l’Église catholique, incarne un pouvoir spirituel et temporel construit historiquement à partir du Moyen Âge, en s’appuyant sur des doctrines souvent contestées.
- Cette fonction est absente des textes évangéliques originels, et sa légitimité repose davantage sur une construction institutionnelle que sur une fondation scripturaire incontestable.
Des phénomènes similaires sont observés dans d’autres confessions où des chefs religieux jouent un rôle de pouvoir autoritaire.
Cette concentration du pouvoir religieux pose la question de son interaction avec le droit, notamment lorsque ces autorités influencent ou orientent des systèmes juridiques nationaux ou religieux.
V. Le droit canon, le droit islamique, les lois juives et les castes hindoues face aux droits universels.
Les systèmes juridiques religieux, qu’ils soient issus du droit canon, du droit islamique (charia), des lois juives (halakha) ou des règles sociales des castes hindoues, présentent des traits communs :
Une hiérarchisation stricte de la société, souvent fondée sur des distinctions de sexe, de caste, de statut religieux ou d’origine ethnique.
- Des prescriptions discriminatoires envers certaines catégories de personnes (femmes, apostats, minorités internes) incompatibles avec les principes d’égalité.
Des règles rigides et des sanctions sévères, parfois contraires aux normes internationales des droits de l’homme.
Une organisation communautaire fermée qui entrave la liberté individuelle au nom d’une fidélité supposée à une vérité transcendante.
Or, ces systèmes sont en profonde contradiction avec les droits universels de l’homme, notamment :
Le principe d’égalité (art. 1 DUDH : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »).
La liberté de conscience et de croyance (art. 18 DUDH et PIDCP).
Le principe de fraternité qui impose le respect mutuel entre toutes les croyances et la reconnaissance de l’altérité.
Le maintien de ces systèmes juridiques religieux sans réforme constitue un obstacle majeur à la paix sociale et à l’universalité des droits humains.
VI. Conclusion : vers une réforme spirituellement responsable du droit.
Le droit international et national dispose aujourd’hui d’outils juridiques essentiels pour prévenir une guerre de religion. Toutefois, il lui manque la capacité à aborder les enjeux liés à l’organisation du pouvoir religieux et aux systèmes juridiques religieux non conformes aux droits humains.
Pour éviter les conflits religieux, il est impératif que le droit :
Favorise la désacralisation des figures de pouvoir religieux factices ;
Garantisse la liberté de conscience dans toutes ses dimensions, y compris le droit au doute et à l’apostasie ;
Encourage un dialogue interculturel et interreligieux soutenu par des mécanismes juridiques positifs ;
Exige un repentir véritable des systèmes juridiques religieux (droit canon, charia, halakha, castes hindoues) incompatibles avec les droits universels de l’homme, en procédant à leur réforme ou leur subordination pleine et entière au droit international des droits humains.
Enfin, le droit international doit également s’interroger sur sa capacité à empêcher la formation d’oligarchies spirituelles, semblables aux systèmes de pouvoir religieux et politiques concentrés de l’Antiquité, qui menacent la liberté et l’égalité. C’est un défi crucial pour préserver la paix, la justice et la dignité de tous.
Bibliographie indicative :
Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966.
Convention européenne des droits de l’homme, 1950.
J.-P. Wils, Droit des religions, Dalloz, 2020.
M. Walzer, On Toleration, Yale University Press, 1997.
P. Berman, Law and Revolution, Harvard University Press, 2003.