Les droits des passagers aériens en danger.
Le règlement européen n°261/2004 [1] est le texte international le plus avancé en matière de protection des passagers aériens. Grâce à l’Union Européenne, les passagers concernés peuvent obtenir, en cas de vol retardé [2], annulé [3], ou de surbooking [4], une indemnisation forfaitaire allant de 250€ à 600€ par passager sans avoir à démontrer le montant de leur préjudice.
Regrettablement, ce règlement et les droits en découlant sont aujourd’hui menacés. Le Conseil de l’Union Européenne (UE), sous la présidence de la Croatie, a proposé de modifier la lettre du texte de manière clairement favorable aux compagnies aériennes. Si cette proposition est adoptée, les droits des passagers reculeraient de manière considérable puisque la grande majorité des vols perturbés actuellement “indemnisables” ne le serait plus.
Une modification substantielle du règlement en vue de contrer les avancées jurisprudentielles du droit aérien.
Les modifications proposées visent à contrer une grande partie des décisions prises par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) durant les seize dernières années, celles-ci étant majoritairement favorables aux passagers.
Depuis le célèbre arrêt “Sturgeon” rendu le 23 octobre 2012 par la CJUE ; les passagers d’un vol retardé de plus de 3 heures peuvent réclamer une indemnisation au même titre que les passagers victimes d’un vol annulé. Sous la version actuelle du projet, le temps de retard pour exiger une indemnisation passerait à 5 heures, 9 heures ou 12 heures selon la distance de leur vol. Ceci aurait pour conséquence de rendre obsolète l’arrêt “Sturgeon”.
Les problèmes techniques, souvent à la source des perturbations, ne permettraient plus aux passagers d’être indemnisés s’ils sont de nature à menacer la sécurité du vol. C’est une limite explicite à la portée de l’arrêt “Wallentin-Hermann contre Alitalia” rendu le 22 décembre 2008 par la CJUE selon lequel les problèmes techniques de l’appareil perturbant un vol, sauf les vices cachés, ne sont pas des circonstances extraordinaires. Le nombre de problèmes techniques n’exonérant pas une compagnie de son obligation d’indemnisation sera très probablement fortement réduit. Cette modification est également contestable en ce qu’elle ne précise pas suffisamment ce qu’est un problème de nature à menacer la sécurité d’un vol. Il est probable que le contentieux sur la question soit nourri, et que la jurisprudence en résultant soit fournie et variée.
Les vols à escale avec un départ en Europe et un tronçon perturbé hors-Europe ne seront plus indemnisés. Aujourd’hui, un passager ayant réservé un trajet Paris - Sydney via Dubai peut exiger une indemnisation en cas de retard ou d’annulation du tronçon Dubai - Sydney, même s’il est opéré par une compagnie non-européenne. C’est une avancée majeure pour les passagers, grâce aux arrêts “Wegener contre Royal Air Maroc” et “CS e.a. contre České Aerolinie” du 31 mai 2018 et 11 juillet 2019 respectivement, dans lesquels la CJUE étendait le champ d’application du règlement européen à des vols non-européens et opérés par des compagnies non-européennes. Le projet actuel souhaite donc tout simplement effacer cette jurisprudence.
La proposition de modification intègre également une liste exhaustive de circonstances extraordinaires exonérant la compagnie aérienne de son obligation d’indemniser le passager. On retrouve dans cette liste : les conditions météorologiques difficiles, les restrictions au trafic aérien par les contrôleurs, ou encore les collisions aviaires (les "bird strikes"). Sont également intégrés à cette liste les problèmes médicaux survenant peu avant ou pendant le vol, qu’ils touchent tant les passagers que l’équipage. Pourtant, dans un arrêt n°113 du 5 février 2020 (19-12.294), la Cour de Cassation a récemment jugé que “la maladie ou une indisponibilité soudaine pour des raisons médicales n’est pas un événement inhabituel et ne saurait être qualifiée de circonstance extraordinaire” dans le cas où le pilote avait fait l’objet de soins 2 jours avant le vol.
En sus, la refonte du règlement n°261/2004 priverait purement et simplement du droit à une indemnisation les passagers ayant réservé un siège à bord de :
Tout vol au départ ou à l’arrivée d’un “petit aéroport” (fréquenté par moins d’un million de passagers par an). Des aéroports comme Toulon, Clermont-Ferrand, Perpignan, Calvi, Pau ou Figari seraient par exemple concernés ;
Tout vol au départ ou à l’arrivée d’une région ultrapériphérique de l’UE (dont la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et la Réunion) ;
Tout vol au départ ou à l’arrivée d’un aéroport qui accueille des vols subventionnés par une personne publique, au titre d’un service public de transport aérien prévu par le règlement n°1008/2008 du 24 septembre 2008 (qui établit des règles communes pour l’exploitation de services aériens).
Ces modifications vont entraîner une réduction sensible des cas éligibles. Et ce, bien qu’un nombre réduit de passagers entame des démarches à cette fin.
Ces modifications ont-elles des chances d’être adoptées ?
À l’heure actuelle, ces modifications n’ont pas encore été adoptées, et ne le seront pas avant une période de débats et de probables modifications de la proposition. La présidence de l’Union Européenne devrait présenter ce projet à la Commission, afin qu’elle s’en empare et le soumette à la lecture et au vote du Parlement et du Conseil de l’Union Européenne, selon la procédure législative ordinaire présentée à l’article 289 sur Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne et détaillée à son article 294.
Rappelons que ce projet, s’il est accepté par la Commission et soulevé devant les autres organes de l’Union, sera lu et renvoyé au maximum 2 fois par le Parlement et le Conseil, qui doivent s’accorder sur la version du règlement à adopter et pourront proposer des amendements. Le Parlement se prononce à la majorité simple pour approuver le projet ou proposer des amendements. Le Conseil quant à lui se prononce à la majorité qualifiée, ce qui signifie, selon l’article 16(4) du Traité sur l’Union Européenne, réunir 55 % des membres du Conseil et représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l’Union. En cas d’échec, le Comité de Conciliation aura la responsabilité d’élaborer une nouvelle version du projet. Celle-ci sera soumise à l’approbation du Parlement et du Conseil lors d’une troisième lecture. En cas de nouvel échec, le projet sera abandonné. L’adoption d’une modification du règlement ne sera donc pas faite en l’espace de six mois voire d’un an.
Il est pour le moment difficile de se prononcer sur les chances d’adoption de la refonte du règlement n°261/2004, ou de son échéance. À titre indicatif, une première proposition de révision du règlement a été effectuée en 2013, mais n’a jamais aboutie du fait d’un désaccord entre le Royaume-Uni et l’Espagne sur le statut de Gibraltar. Le départ de nos voisins Britanniques risquerait-il de faciliter l’adoption de cette refonte défavorable aux passagers ?
Même si beaucoup d’entre eux ne le savent pas, les passagers aériens peuvent donc pour le moment toujours bénéficier du droit d’être indemnisé pour le préjudice subi du fait de la perturbation de leur vol. Le règlement européen n’est pour l’instant pas altéré, et il faut se féliciter qu’il reste la plus importante protection qui soit des passagers aériens.