Les tendances de l'arbitrage d'investissement à la lumière des statistiques du Centre international pour le règlement des différends d'investissement et de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Par Abdellah Hijri, Docteur en droit.

Les tendances de l’arbitrage d’investissement à la lumière des statistiques du Centre international pour le règlement des différends d’investissement et de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

Par Abdellah Hijri, Docteur en droit.

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Ce que vous allez lire ici :

Depuis 1972, le Centre international pour le règlement des différends d’investissement a enregistré 1~022 affaires, dont 1~008 d'arbitrage. En 2024, 55 nouvelles affaires ont été enregistrées. Entre 66% des cas ont été tranchés par les tribunaux, les autres étant souvent réglés à l'amiable. La majorité des différends concerne les secteurs des ressources naturelles et de l'énergie.
Description rédigée par l'IA du Village

Le Centre international pour le règlement des différends d’investissement (CIRDI ou le Centre) publie semestriellement un rapport actualisant les statistiques des affaires qu’il a traitées. Le dernier rapport, publié le 14 février 2025, couvre toutes les affaires enregistrées ou administrées par le Centre depuis sa création, tout en mettant l’accent sur celles de l’année 2024. Les chiffres du rapport montrent que, malgré la concurrence d’autres institutions et les critiques de plus en plus fréquentes à l’égard de l’arbitrage d’investissement, le CIRDI continue de jouer un rôle central dans le règlement des différends État-investisseur.

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Le nombre d’affaires enregistrées ou administrées par le Centre.

Depuis la première affaire en 1972 [1] jusqu’au 31 décembre 2024, le Centre a enregistré 1022 instances en application de la Convention CIRDI et du Règlement du mécanisme supplémentaire (affaires CIRDI) [2], parmi lesquelles 1008 affaires d’arbitrage et 14 affaires de conciliation [3]. Au cours de l’année 2024, le CIRDI a enregistré 55 nouvelles affaires, soit 2 affaires de moins par rapport à 2023. L’année 2021 conserve le record avec un total de 66 affaires enregistrées.

A ces affaires s’ajoutent également les instances non-CIRDI administrées par le Secrétariat du Centre. Par exemple, en 2024, le Centre a administré 14 différends État-investisseur en application du règlement CNUDCI (Commission des Nations unies pour le droit commercial international) et 3 autres affaires ad hoc. Et sur les dix derniers exercices 139 affaires CNUDCI et 49 autres affaires ad hoc ont été administrées.

Toutefois, ces chiffres ne sont pas exhaustifs quant à l’ensemble des arbitrages d’investissement, car certains différends échappent à la compétence du CIRDI et sont tranchés par des tribunaux ad hoc ou des tribunaux siégeant sous l’égide d’autres institutions d’arbitrage comme la Chambre de commerce International (CCI), la Cour Permanente d’Arbitrage (CPA) et autres institutions. Ainsi, le navigateur de recherche sur les différends État-investisseur de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) répertorie, selon ses statistiques actualisées au 31 juillet 2024, 257 affaires d’arbitrage d’investissement qui ont été soumises à la CPA et 27 différends d’investissement soumis à la CCI sur la base des traités d’investissement (les chiffres de la CNUCED auraient été plus élevés s’ils incluaient également les procédures engagées sur le fondement des contrats d’État) [4].

Par exemple, la majorité des différends de la Libye, qui n’a pas signé la Convention CIRDI, sont soumis à la CCI et autres institutions d’arbitrage ou tribunaux ad hoc [5]. La seule affaire CIRDI impliquant la Lybie est fondée sur le Mécanisme supplémentaire du CIRDI qui propose des services d’arbitrage et de conciliation pour les différends qui ne relèvent pas du champ d’application de la Convention.

On note que les tribunaux CIRDI, sans avoir le monopole en matière d’arbitrage d’investissement, se prononcent sur la majorité des différends État-investisseur, grâce notamment à la Convention CIRDI ratifiée par 158 Etats [6] et au nombre important d’instruments d’investissement donnant compétence au Centre.

Les instruments invoqués pour établir la compétence du CIRDI.

Rappelons que la ratification de la Convention Washington de 1965 par un État ne suffit pas pour qu’un investisseur puisse engager une procédure d’arbitrage à l’encontre de cet État, encore faut-il que ce dernier ait consenti à l’arbitrage CIRDI (V. l’article 25. 1 de la Convention). En effet, à défaut d’un compromis d’arbitrage ou d’une clause d’arbitrage CIRDI incluse dans un contrat d’investissement, l’État manifeste également son consentement à l’arbitrage dans les traités bilatéraux ou multilatéraux d’investissement ou dans une loi nationale sur l’investissement. Il s’agit dans ces derniers cas d’un consentement indirect à l’arbitrage ou d’une offre d’arbitrage faite par l’État erga omnes et qui est considérée acceptée par l’investisseur par la simple initiative de déclenchement de la procédure d’arbitrage. Cette pratique a vu le jour avec l’affaire AAPL c/ Sri Lanka [7], consacrant la possibilité pour l’investisseur étranger de saisir le Centre à l’encontre d’un État sur le seul fondement du consentement à l’arbitrage prévu par le TBI. D’ailleurs, postérieurement à cette sentence, le nombre d’affaires CIRDI a significativement augmenté, car les difficultés liées au consentement de l’État ont été surmontées.

Les statistiques du rapport nous apprennent que les TBIs constituent l’instrument principal sur le fondement duquel les parties recourent à l’arbitrage du Centre et établissent sa compétence. En effet, les TBIs sont invoqués dans 58% des cas, suivis des contrats d’État à 15%, du Traité sur la Charte de l’Energie (TCE) à 10% et des lois nationales sur l’investissement dans 7% des affaires. D’autres instruments sont également invoqués, à l’instar des accords de libre-échange comprenant une clause CIRDI.

Pour attirer les investissements directs étrangers, les États ne cessent de conclure des TBIs offrant des mesures de protection pour les investisseurs étrangers dont notamment la possibilité de recours à l’arbitrage en cas de différend opposant l’investisseur à l’État. Ainsi, le navigateur de la CNUCED sur les accords d’investissement rapporte l’existence de 2844 TBIs dont 2222 en vigueur et auxquels s’ajoutent 480 traités comportant, en partie, des dispositions sur l’investissement [8].

Les secteurs économiques concernés par les affaires CIRDI.

Sans surprise, une grande partie des différends soumis au CIRDI relèvent du secteur du pétrole, gaz et mines avec un pourcentage de 25%. Le secteur de l’électricité et autres sources d’énergies représente 17% et autres industries diverses 11%, ensuite le secteur de la construction représente 10% devant le secteur des transports (9%) et de la finance (8%). D’autres différends relèvent des secteurs de l’information et de la communication (7%), l’eau et l’assainissement (4%), l’agriculture pêche et forêts (3%), le tourisme (3%) et les services et commerce (3%).

Le site du CIRDI répertorie 270 affaires relevant du secteur du Pétrole, Gaz et Mines ; 102 différends en matière de construction ; 181 différends relatifs à l’électricité et aux autres énergies ; 91 différends de transport ; 79 différends du secteur de la finance et 68 différends du secteur de l’information et de la communication, etc. [9].

Ces données révèlent que les secteurs stratégiques comme les ressources naturelles, les énergies et les infrastructures sont les plus vulnérables aux désaccords et aux différends entre les investisseurs étrangers et les États hôtes des investissements. Cela pourrait s’expliquer notamment par le caractère stratégique de ces domaines où l’État intervient fréquemment pour des raisons de souveraineté économique, de développement durable et de régulation.

L’aboutissement des procédures d’arbitrage d’investissement.

Pour les affaires conclues au cours de l’année 2024, le Rapport précise que 53% des affaires ont abouti à une sentence faisant droit aux demandes en tout ou en partie et dans 30 % des sentences les tribunaux CIRDI ont rejeté toutes les demandes et enfin, dans 17% des affaires, la compétence est rejetée.

Parmi les différends tranchés, 49% ont donné lieu à une sentence faisant droit aux demandes en tout ou en partie ; et dans 29% des affaires la sentence rejette toutes les demandes. Dans 21% des affaires la compétence est rejetée par le tribunal arbitral saisi. Et enfin, dans 1% des affaires, la sentence a retenu que les demandes étaient manifestement dénuées de fondement juridique.

On remarque que sur l’ensemble des affaires CIRDI la balance est équilibrée entre les affaires rendues en faveur des investisseurs et celles rendues en faveur des États. Toutefois, sur l’ensemble des différends d’investissement (CIRDI et autres) les chiffres du navigateur de la CNUCED indiquent que la balance penche en faveur des États, car sur les 1014 affaires conclues, 385 ont été tranchées en faveur de l’État et 286 en faveur de l’investisseur et 26 sentences ne sont rendues ni en faveur de l’Etat ni en faveur de l’investisseur (responsabilité établie mais pas de dommages-intérêts accordés) [10].

Le règlement amiable et les désistements.

Sur l’ensemble des Arbitrages CIRDI, 66 % des affaires ont été tranchées par le tribunal arbitral tandis que 34% des affaires ont été réglées à l’amiable ou ont pris fin pour d’autres motifs [11]. Plus précisément, parmi ces dernières affaires, 50% ont fait l’objet d’un désistement sur requête des parties ; 26 % ont fait l’objet d’un désistement sur requête d’une partie et 10% ont été réglées à l’amiable et ont donné lieu à une sentence d’accord-parties. Les autres motifs de la fin de la procédure concernent par exemple un défaut de paiement des acomptes demandés (10%), l’inactivité des parties (3%) et la fin à l’initiative des parties (1%).

En réalité, le nombre d’affaires ayant fait l’objet d’un règlement amiable entre les parties n’est pas certain, car le rapport ne fait référence qu’aux accords amiables ayant été incorporés dans une sentence d’accord-parties. Or, parmi les affaires ayant fait l’objet de désistement sur demande d’une ou des deux parties, un nombre d’affaires aurait probablement fait l’objet de transaction sans que celle-ci soit déclarée au tribunal arbitral ou au Centre.

Les statistiques de la CNUCED rapportent que, sur 1332 affaires (CIRDI et autres), 179 ont fait l’objet d’un accord de règlement amiable [12]. Là encore, les données sur le nombre effectif des accords amiables n’est pas complet, car sur les 1368 affaires rapportées, 138 ont pris fin sans qu’une raison particulière soit précisée. Des affaires auraient probablement été réglées à l’amiable sans que cela soit porté à la connaissance du tribunal ou de l’institution d’arbitrage. D’ailleurs, il est précisé que certaines affaires pouvaient être réglées à l’amiable sans que cela soit révélé par les parties [13].

On remarque en particulier une tendance chez certains pays à régler leurs différends d’investissement à l’amiable en marge de la procédure d’arbitrage. Par exemple, sur les 65 affaires d’investissement impliquant l’Argentine et rapportées par la CNUCED 18 ont été réglées à l’amiable [14], et sur les 47 affaires contre l’Égypte, 15 ont été réglées à l’amiable [15]. L’Inde a également réglé à l’amiable 12 affaires sur les 29 rapportées par la CNUCED [16].

Abdellah Hijri
Docteur en droit privé
Élève-avocat à l’EFB Paris
Membre chercheur du CRJFC, Univ. Marie et Louis Pasteur

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Notes de l'article:

[1Holiday Inns et al. c/ Maroc, Aff. CIRDI n° ARB/72/1.

[2Affaires du CIRDI - Statistiques n° 2025-1, publié le 14 février 2025.

[3Le mécanisme de conciliation du CIRDI n’a pas connu le succès escompté, ce qui a poussé le Centre, conscient de l’importance des modes amiables dans la réforme du RDIE (Le règlement des différends entre investisseurs et États), à offrir des services de médiation depuis 2022.

[4https://investmentpolicy.unctad.org/investment-dispute-settlement - cette base de données recense uniquement les affaires basées sur les traités d’investissement. La prise en compte des affaires fondées sur les contrats d’État aurait porté le nombre des affaires d’investissement soumises aux différentes institutions d’arbitrage à des chiffres plus élevés.

[7AAPL c/ Sri Lanka, Aff. CIRDI n° ARB/87/3, sentence finale et opinion dissidente du 27 juin 1990.

[9https://icsid.worldbank.org/cases/case-database, consulté le 20 février 2025.

[11Rapport CIRDI 2025-1, p. 12.

[13Discontinued : the arbitration was discontinued for any reason other than due to a (known) settlement. This includes discontinuance as a result of non-payment of arbitration fees, in order to pursue litigation in another forum, or for any other reason (including for unknown reasons).

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