Le Mali est un pays d’Afrique de l’Ouest riche en ressources minières. Il dispose de plusieurs ressources comme le manganèse, le fer, le lithium, essentiel pour la transition énergétique, et l’or dont il est l’un des principaux producteurs en Afrique.
Avec une production annuelle de plus de 70 tonnes d’or, le secteur de l’or représentait en 2022 25% du budget national, 75% des recettes d’exportation et 10% du PIB [1].
Le Mali a décidé d’adopter un nouveau Code minier en août dernier. Sur le plan politique, cette réforme légale s’inscrit dans la volonté de plus en plus affichée des populations africaines de prendre le contrôle effectif des ressources naturelles. Les derniers coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont bénéficié d’un soutien important des populations animées par un désir de changement et en quête d’une souveraineté politique et économique réelle. La réforme du Code minier au Mali semble donc une traduction juridique plus ou moins parfaite d’une demande politique des populations qui pourrait s’inscrire, à terme, dans une nouvelle évolution des codes miniers en Afrique.
Sur le plan économique, la réforme du Code minier a pour objectif de permettre au Mali d’augmenter ses revenus tirés du secteur minier. Cette réforme devrait rapporter 500 milliards de francs CFA au moins (762 millions d’euros) au budget annuel de l’Etat selon les autorités maliennes qui souhaitent doubler l’apport du secteur à l’économie nationale en le faisant passer de 10 à 20% du PIB.
I. Cadre juridique général des activités minières au Mali.
Le Mali a opéré une réforme de sa législation minière en adoptant deux nouveaux textes :
- La Loi No 2023-040 du 29 août 2023 portant Code minier en République du Mali qui abroge l’Ordonnance No 2019-022/P-RM du 27 septembre 2019 portant Code minier en République du Mali et dont le décret d’application n’est pas encore publié ;
- La Loi No 2023-041 du 29 août 2023 relative au Contenu local dans le secteur minier qui pose un cadre ambitieux pour aider au développement des capacités locales, humaines et matérielles.
Les nouvelles dispositions législatives ne s’appliquent pas aux permis de recherche et d’exploitation en cours de validité, mais elles le sont au moment de leur renouvellement [2]. En revanche, les titulaires de permis d’exploitation délivrés avant l’entrée en vigueur du nouveau Code doivent, six (6) mois après sa publication, s’y conformer pour ce qui concerne la conclusion de contrats de soutien au développement local avec les populations affectées par leurs opérations [3].
Le nouveau cadre juridique des activités minières se caractérise par un renforcement général du contrôle de l’Etat sur le secteur minier et par la priorité accordée aux entreprises et travailleurs maliens dans les projets miniers. Cette nouvelle législation a suscité des inquiétudes de la part des compagnies minières et certains experts craignent un ralentissement des investissements miniers dans le pays.
II. Rôle de l’état : un renforcement du contrôle de l’état sur le secteur minier.
La réforme du cadre juridique des activités minières au Mali marque une volonté de l’État de renforcer son contrôle sur l’exploitation des ressources minières nationales. Cette reprise en main du secteur par les autorités se traduit par plusieurs nouvelles dispositions qui tranchent clairement d’avec les dispositions antérieures.
i. Droit de préemption, de premier refus et autres priorités.
Contrairement à l’ancien Code minier, le nouveau Code établit différentes priorités au profit de l’Etat malien dans le cadre des activités minières. Ainsi, l’Etat renforce ses droits dans la gestion des ressources minières en s’attribuant un droit de préemption et un droit de premier refus en cas de cession de permis d‘exploitation par leurs titulaires. Le droit de préemption permet à l’Etat d’acquérir un titre minier de préférence à des tiers pour le même prix. Le droit de premier refus lui permet de conclure une transaction commerciale avec le titulaire d’un titre minier avant un tiers [4].
De plus, en cas de découverte, dans le périmètre de son permis d’exploitation de grande mine, d’une substance autre que celle faisant l’objet dudit permis, le titulaire peut solliciter un nouveau permis d’exploitation [5]. Lorsqu’il n’est pas intéressé par l’exploitation de la substance découverte, l’ancien Code minier prévoyait que le titulaire pouvait céder partiellement son permis, sur la partie du périmètre contenant cette substance, à une autre société minière ayant la capacité de l’exploiter. Le nouveau Code minier vient modifier cette règle et prévoit désormais que le titulaire non intéressé devra gratuitement céder à l’Etat ses droits sur la partie du périmètre concerné [6]. C’est ici une illustration de l’élargissement des droits de l’Etat dans la gestion des ressources minières. En l’espèce, si l’Etat a intérêt à prendre possession des substances minières découvertes dont il est le propriétaire, l’amputation du périmètre d’exploitation et des droits initialement accordés au titulaire aurait pu donner lieu à une forme de dédommagement de la part de l’Etat. Autre changement apporté par le nouveau Code minier, l’article 40 dudit texte prévoit une réduction de 50% de la superficie d’un permis de recherche lors de son deuxième renouvellement.
En outre, la nouvelle législation minière précise que la société d’Exploitation de l’Etat ou toute société dans laquelle l’Etat est associé majoritaire a le droit de priorité dans toute attribution d’autorisation d’exploration [7]. S’agissant de l’attribution du permis de recherche, le Mali est passé de l’affirmation du principe du « premier venu, premier servi » sous l’ancien Code minier [8] à une priorité d’octroi de ce permis accordée à la société d’exploitation de l’Etat ou toute société dans laquelle l’Etat est actionnaire majoritaire. Par ailleurs, le nouveau Code minier fixe à trois (3) le nombre de permis de recherche pouvant être possédés par une même personne morale dans le district géologique alors qu’une telle limitation n’existait pas dans l’ancien Code minier [9]. Hormis ces priorités dans l’octroi des autorisations d’exploration et des permis de recherche, l’Etat bénéficie également d’une priorité d’acquisition des installations, machines et équipements des sociétés d’exploitation dont les opérations prennent fin. Ces biens sont acquis à leur juste valeur [10].
ii. Création des zones d’intérêt stratégique.
L’ancien Code minier malien prévoyait des zones règlementées où les activités minières étaient interdites ou restreintes et des zones promotionnelles dont l’intérêt minier justifiait la mise en œuvre par les autorités d’une procédure de mise en concurrence. Le nouveau Code minier vient compléter ce zonage par la création de zones dites d’intérêt stratégique qui peuvent inclure des réserves minières conservées pour les générations futures ou encore des lieux caractérisés par la présence d’indices ou de substances stratégiques. L’Etat peut y suspendre la délivrance de titre minier sur une période ou pour une substance donnée [11].
iii. Resserrement des autorités compétentes en matière de délivrance des titres miniers.
Le nouveau Code minier opère des modifications sur les autorités compétentes pour délivrer certains titres et autorisations miniers. Ces changements révèlent une action accrue des responsables publics autres que le seul Ministre des Mines dans un contexte de priorisation d’un secteur indispensable au développement de l’économie nationale. Ainsi, le permis de recherche qui était autrefois attribué par arrêté du Ministre chargé des Mines [12] l’est désormais par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition du Ministre des Mines [13]. Un décret en Conseil des Ministres est un décret pris par le Président de la République après délibération du Conseil des Ministres.
Autre illustration des changements touchant à la compétence des autorités en matière minière, la renonciation du permis de recherche par son titulaire est désormais approuvée par décret pris en Conseil des Ministres [14] au lieu d’un simple arrêté du Ministre des Mines antérieurement [15].
Au titre de l’exploitation, le permis d’exploitation de petite mine est désormais délivré par arrêté interministériel des Ministres des Mines et de l’économie et des Finances [16] alors qu’il l’était antérieurement par un simple arrêté du Ministre des Mines [17]. De même, le permis de grande mine est attribué par décret en Conseil des Ministres et non plus par décret du Premier Ministre [18].
iv. Affinage et transformation des produits miniers.
L’article 26 de l’ancien Code minier faisait obligation aux titulaires de titre minier d’exploitation de traiter, d’affiner ou de transformer les produits miniers dans des unités accréditées installées au Mali. Ces opérations pouvaient être néanmoins réalisées à l’extérieur du pays en cas de nécessité. L’article 25 du nouveau Code minier modifie cette disposition en exigeant que les opérations d’affinage et de transformation des produits miniers soient réalisées dans des unités appartenant à l’Etat installées au Mali. En l’absence d’unités d’affinage de l’Etat, les opérateurs peuvent effectuer ces opérations dans d’autres unités d’affinage (privées) installées au Mali après obtention d’une autorisation des Ministres des Mines et des Finances.
Le nouveau Code minier exclut ainsi la possibilité pour les opérateurs miniers de réaliser les opérations susmentionnées à l’extérieur du Mali.
III. Participation de l’état et du secteur privé national au capital des sociétés minières.
i. L’augmentation de la participation additionnelle et optionnelle de l’Etat.
La participation de l’Etat au capital social des entreprises minières, en contrepartie de l’octroi du permis d’exploitation, est une disposition conforme aux pratiques régionales. Cette disposition permet la présence de l’Etat dans le processus de l’exploitation minière et participe du développement socio-économique du pays. Lors de son adoption en 2003, le Code minier communautaire de l’UEMOA dont le Mali est membre avait entériné cette règle en prévoyant, au profit de l’Etat, une participation gratuite de 10% au capital social des sociétés d’exploitation, tout en envisageant une participation additionnelle payante [19].
Le nouveau Code minier du Mali maintient cette participation gratuite de 10%. Il prévoit également l’option pour l’Etat de prendre une participation complémentaire payante appelée « participation en numéraire » à hauteur de 20% [20], une augmentation notable au regard des 10% maximum de participation supplémentaire qui étaient prévus jusque-là par l’ancien Code minier [21]. De plus, l’article 82 du nouveau Code minier prévoit désormais pour les sociétés d’exploitation une obligation de céder 5% de leurs actions aux investisseurs maliens.
En outre, le nouveau Code minier prévoit que les participations de l’Etat et des investisseurs maliens ne peuvent pas faire l’objet de dilution en cas d’augmentation de capital au sein des sociétés d’exploitation, qualifiant ces participations d’actions prioritaires [22]. Or, cette règle de non-dilution de la participation de l’Etat n’est prévue dans le Code minier communautaire de l’UEMOA de 2003 que pour la participation gratuite de l’Etat. C’est également le cas dans les autres Codes miniers de la région. En étendant cette règle de non-dilution à ses participations additionnelles payantes, y compris les participations payantes des investisseurs maliens, le Mali opte pour une approche susceptible de dissuader les compagnies minières étrangères d’investir dans le pays.
ii. L’ouverture de la participation du secteur privé national au capital des sociétés minières.
En plus des 30% de participations de l’Etat susmentionnées (10% de participation gratuite et 20% de participation additionnelle), l’article 82 nouveau Code minier introduit également pour les sociétés d’exploitation une obligation de céder 5% de leurs actions aux investisseurs maliens, alors que l’article 67 de l’ancien Code minier ne demandait à ces sociétés que d’établir cette possibilité d’acquisition. Il en découle que la participation de l’Etat et du secteur privé maliens dans les sociétés d’exploitation peut être portée à 35%. Si le Sénégal et la Guinée Conakry prévoient également une participation totale de 35% [23], celle-ci est au-dessus de la moyenne constatée dans les pratiques régionales.
iii. L’ouverture de la participation du secteur privé national au capital des sous-traitants étrangers des sociétés minières.
En plus d’une ouverture plus importante du capital des sociétés d’exploitation au profit de l’Etat et des investisseurs nationaux, le nouveau Code minier ainsi que la nouvelle loi sur le Contenu local introduisent une nouvelle règle en matière de participation. En effet, les sous-traitants étrangers fournissant des prestations de services pour le compte de sociétés d’exploitation sont désormais tenus de céder au minimum 35% de participation à des associés maliens. Cette règle des 35% s’applique également aux fournisseurs étrangers de prestations ponctuelles répétitives de services pour le compte des sociétés d’exploitation [24].
IV. Création d’organismes de financement et de gestion du secteur minier.
i. Organismes de financement du secteur minier.
Le nouveau Code minier institue de nouveaux organismes administratifs de gestion et de financement du secteur minier. Il opère une refonte des différents fonds préexistants et en complète notamment la liste par la création d’un fonds nouveau dénommé "Fonds de réalisation des infrastructures énergétiques, hydrauliques et de transport". Ayant pour objectif de financer les infrastructures précitées, ce Fonds est alimenté par les titulaires de titres miniers d’exploitation à hauteur de 1% de leur chiffre d’affaires trimestriel et de 10% de la redevance Taxe Ad-valorem. Le taux de 1% du chiffre d’affaires est ensuite élevé à 2,5% après les 5 premières années de production [25]. Autre changement notable sur les fonds préexistants, le "Fonds minier de développement local" n’est plus alimenté par une contribution conjointe de l’Etat et des titulaires de titres miniers d’exploitation, mais uniquement par ces derniers à hauteur de 0,75% de leur chiffre d’affaires trimestriel [26].
ii. Organismes de gestion du secteur minier et de mise en œuvre du contenu local.
La nouvelle loi sur le Contenu local crée l’obligation pour tout opérateur minier d’établir un plan du contenu local qui décrit les activités de l’entreprise et les actions menées au titre du contenu local. Dans le cadre de ce plan, les opérateurs soumettent un plan d’approvisionnement des biens et services comprenant leurs objectifs et perspectives d’approvisionnement local pour approbation, ainsi que des rapports semestriels sur la mise œuvre de ce plan, auprès du "Secrétariat Permanent du Contenu Local" [27].
Deux organismes de mise en œuvre du contenu local ont été retenus dans la loi sur le contenu local. Cette loi maintient le "Cadre de Concertation sur le Contenu Local" (CCCL) qui existait déjà sous l’empire de l’ancien Code minier et institut le "Secrétariat Permanent du Contenu Local" (SPCL) [28]. Rattaché à la Présidence de la République, le CCCL est chargé de la régulation et du suivi du contenu local dans les projets développés au Mali, tandis que le SPCL en constitue l’organe d’exécution. Le SPCL a plusieurs fonctions dont la réception, le traitement et l’approbation des plans du contenu local soumis par les opérateurs miniers ou encore le suivi à l’échelle nationale des indicateurs de performance du contenu local. De façon précise, cet organisme suit par exemple le flux des étrangers travaillant dans les mines et approuve les programmes de recrutement et de formation qui lui sont soumis par les opérateurs miniers [29].
Hormis les deux précédents organismes créés par la loi sur le Contenu local, le nouveau Code minier crée deux autres organismes de gestion du secteur minier. Le premier organisme, également rattaché à la Présidence de la République, est en charge de la surveillance administrative des activités minières. Il s’agit du « Commissariat chargé des activités minières » dont l’organisation et les modalités de fonctionnement seront fixées par le décret d’application du nouveau Code minier [30] Le second est un organe d’approbation, de suivi et de contrôle de la mise en œuvre du plan de développement communautaire dénommé Comité technique de suivi du plan de développement communautaire [31]. Son organisation et ses modalités de fonctionnement seront également fixées par le décret d’application.
V. Découpage de la convention minière et stabilité des régimes fiscaux et douaniers.
i. Dissociation entre la convention d’établissement pour la phase de recherche et la convention d’établissement pour la phase d’exploitation.
Conclue entre un Etat et une société minière, la convention minière fixe les droits et les obligations des parties. Au Mali, les conventions minières sont qualifiées de conventions d’établissement, une dénomination qui rappelle les contrats de longue durée conclus dans les années 50 sous l’empire de la loi-cadre française du 23 juin 1956 (Loi-cadre Defferre) entre les ex colonies relevant du ministère de la France d’Outre-mer et les entreprises privées dans des secteurs économiques clés (mines, pétrole…) [32]. Définissant les conditions de l’activité d’une entreprise sur le territoire d’un Etat et caractérisées notamment par l’octroi d’avantages fiscaux aux investisseurs, les conventions d’établissement connaîtront ensuite une extension considérable à travers les contrats d’investissement [33].
L’ancien Code minier malien prévoyait une seule convention d’établissement applicable aux activités de recherche et d’exploitation. Le nouveau Code minier en établit deux catégories : la convention d’établissement pour la phase de recherche et la convention d’établissement pour la phase d’exploitation. La première définit les rapports entre l’Etat et le titulaire du titre de recherche ainsi que les conditions générales, économiques, juridiques, administratives, financières, fiscales, douanières, environnementales et sociales liées à la recherche des gisements par la Société de Recherche. La seconde définit les rapports entre l’Etat et le titulaire du permis d’exploitation ainsi que les conditions susmentionnées liées à l’exploitation des gisements par la Société d’Exploitation.
Cette distinction emporte un autre changement sur la durée des conventions d’établissement. Sous l’empire de l’ancien Code minier, la durée du modèle unique de convention couvrant à la fois les périodes de recherche et d’exploitation ne pouvait excéder 20 ans [34]. Désormais, la durée de validité de la convention pour la recherche ne peut dépasser celle du permis de recherche, soit 9 ans, périodes de renouvellement comprises [35] Quant à la durée de validité de la convention pour l’exploitation, elle ne peut dépasser celle du permis d’exploitation, soit 12 ans, et elle demeure renouvelable pour des périodes de 10 ans jusqu’à épuisement du gisement objet du permis [36].
ii. Réduction de la stabilité des régimes fiscaux et douaniers.
Sous l’empire de l’ancien Code minier, les titulaires de titres miniers bénéficiaient dans le cadre des conventions minières d’une garantie de stabilité des conditions fiscales et économiques sur une période de 20 ans. Désormais, cette garantie est réduite à 12 ans pour l’exploitation sachant que le renouvellement d’une convention d’exploitation fait l’objet d’une nouvelle négociation avec l’Etat [37]. Il faut également noter que si la stabilité du régime fiscal et du régime douanier est garantie aux titulaires de titres miniers de recherche pendant la période de validité de leurs titres, périodes de renouvellement comprises [38], cette garantie n’est pas mentionnée dans le nouveau Code pour les renouvellements de titres miniers d’exploitation [39]. Le Code précise que la période de stabilité débute à la date d’entrée en vigueur de la convention d’établissement pour l’exploitation et prend fin au 10e anniversaire de la date de première production commerciale [40]. Autrement dit, au-delà de cette période, des nouveaux droits et taxes peuvent être appliqués aux opérateurs miniers [41]. Ces dernières modifications réduisent des droits qui étaient consentis aux opérateurs sous l’ancien régime minier.
Par ailleurs, au titre de la recherche minière, l’article 57 du nouveau Code minier dispose que les sociétés bénéficient « pendant toute la durée de leur permis de recherche de l’exonération des droits et taxes exigibles à l’importation des (…) produits pétroliers reconnus indispensables à leurs activités ». L’article 61 alinéa 1 indique ensuite que pour bénéficier de l’avantage sur les produits pétroliers, le titulaire du permis de recherche doit établir un programme annuel de consommation. Ces dispositions étaient déjà prévues dans l’ancien Code minier [42], mais l’alinéa 2 de l’article 61 précité plafonne désormais les exonérations sur les produits pétroliers à 30% du montant du budget programme approuvé lors de la délivrance du permis de recherche. La nouvelle législation réduit ainsi un avantage financier dont bénéficiaient les entreprises sous l’ancien régime minier.
En outre, pendant la phase de développement qui inclut l’ensemble des activités liées à la réalisation des infrastructures nécessaires à l’exploitation des minerais (voies d’accès, préparation du site, construction et installation des équipements d’extraction, de transport et de traitement), l’article 128 de l’ancien Code minier prévoyait que le titulaire du permis d’exploitation bénéficiait de l’exonération des droits et taxes de douane perçus à l’entrée pour une série d’éléments comme les « carburants et lubrifiants alimentant les installations fixes (…) et autres équipements destinés aux opérations minières » ou encore « les produits pétroliers servant à produire de l’énergie utilisée dans la réalisation du programme d’exploitation ». Le nouveau Code minier ne reprend pas ces exonérations. Il soumet les biens ou intrants utilisés pour les activités des titulaires de titres miniers d’exploitation au régime de droit commun [43].
Enfin, il faut relever que la nouvelle législation minière conserve l’application aux sociétés d’exploitation d’un impôt sur les sociétés au taux réduit de 25% sur une période de 3 ans. Elle innove même en étendant cette mesure fiscale incitative sur 2 ans supplémentaires lorsque ces sociétés financent des activités des entreprises locales ou leur octroient des contrats de fourniture de biens ou services d’une durée de plus de 3 ans [44]. Force cependant est de constater que cette incitation fiscale très limitée ne remet pas en cause la tendance générale du Code minier axée sur le renforcement des droits de l’Etat au détriment de ceux des opérateurs miniers étrangers.
VI. Adoption d’une loi sur le contenu local.
i. Description du contenu local.
Les articles 1ers du nouveau Code minier et de la nouvelle loi relative au Contenu local dans le secteur minier définissent le contenu local comme « l’ensemble des dispositions et mesures qui exigent des entreprises minières qu’elles donnent la priorité aux nationaux, aux communautés locales, aux entreprises nationales et aux matériaux produits localement dans l’exécution de leurs activités ». Cette définition met en évidence quatre voire cinq éléments permettant de mieux appréhender la notion du contenu local : les Communautés locales, les Ressortissants du pays ou Nationaux, les Entreprises nationales ou locales et les Matériaux ou Produits locaux, auxquels l’on ajouterait l’Economie nationale, ce qui nous donnerait en sigle "CREME".
- Communautés locales : Ce sont les actions socio-économiques promues par les compagnies minières étrangères au sein des collectivités locales riveraines des installations minières. Il s’agit d’améliorer les conditions de vie des populations locales (cf. art. 1er 19 du Code minier), le cadre et la qualité de vie des communautés locales (cf. art. 1er 21 du Code minier), de créer des infrastructures, dispensaires, écoles, de manière à minimiser les conséquences liées aux activités minières. En somme, trois concepts de développement mentionnés aux points 19, 20 et 21 de l’article 1er du nouveau Code minier permettent d’appréhender la priorité aux communautés locales : le développement communautaire, le développement durable et le développement local.
- Ressortissants ou Nationaux : C’est ici l’obligation pour les entreprises minières étrangères d’accorder une priorité aux ressortissants du pays dont les ressources sont exploitées. Cette notion couvre plusieurs éléments : recrutement, formation des personnels, gestion des ressources humaines, développement de la main d’œuvre locale, création d’emplois locaux, etc.
- Entreprises nationales ou locales : C’est le soutien multiforme que les compagnies minières peuvent apporter au tissu économique ou industriel local. Ce soutien peut englober les éléments suivants : contrats d’approvisionnement en biens et services avec les entreprises locales, sous-traitance locale, transfert de technologie, apport au développement des capacités locales, etc.
- Matériaux ou produits locaux : L’achat et la consommation des produits locaux ainsi que l’utilisation des matériaux locaux par les sociétés minières et leurs sous-traitants étrangers sont de nature à soutenir le secteur informel, faire vivre des familles entières, stimuler la naissance d’un vivier de nouveaux entrepreneurs locaux, promouvoir les spécificités culturelles locales, etc.
- Economie nationale : C’est le but ultime du contenu local que d’utiliser, de façon directe ou indirecte et à court, moyen ou long terme, le secteur minier comme fer de lance du développement économique à l’échelle nationale. La loi malienne sur le Contenu local vise notamment à « favoriser le renforcement de la compétitivité nationale des entreprises maliennes » [45]. C’est une stratégie nationale pour des pays riches en ressources minières que de faire participer les populations à la chaine de valeur des industries minières. L’idée est de passer d’un statut historique d’exportateur de matières premières à celui d’acteur industriel ou fournisseur de services fondés sur des connaissances technologiques. Il sied également de mentionner ici les règles relatives à la participation de l’Etat et du secteur privé national au capital des sociétés minières, de leurs sous-traitants ou de leurs fournisseurs étrangers [46].
ii. Approvisionnement local et gestion des ressources humaines par les sociétés minières.
Au titre de l’approvisionnement, le décret d’application de l’ancien Code minier prévoyait l’obligation pour les titulaires de permis d’exploitation de soumettre à l’administration un plan d’approvisionnement national. La part minimale des entreprises maliennes dans la fourniture des biens et services aux sociétés minières était alors précisée pour la phase de développement et pour celle d’exploitation. Pour la phase d’exploitation, cette part était fixée à 20% les cinq premières années, avant d’évoluer progressivement à 25%, puis à 30% [47].
Les articles 8.2 et 8.3 de la nouvelle loi sur le Contenu local disposent que les opérateurs miniers doivent soumettre pour approbation un plan d’approvisionnement des biens et services auprès du "Secrétariat Permanent du Contenu Local". Le tableau annexé à cette loi augmente de façon substantielle les taux (pourcentages) minima concédés aux entreprises locales dans la fourniture des biens et services aux sociétés minières, en fonction des 4 phases d’exploration, de développement/construction, d’exploitation/production et de réhabilitation/fermeture.
De manière globale, la part accordée aux entreprises locales est de 100% pour 20 des 61 catégories de services et biens décrits dans ce tableau. Cette part est supérieure ou égale à 50% pour 35 des 61 catégories, et elle est de moins de 50% pour seulement 6 des 61 catégories. Le cadre juridique posé par la loi sur le Contenu local est par conséquent ambitieux.
Au titre du recrutement et de la formation du personnel, le décret d’application de l’ancien Code minier fixait un objectif de remplacement progressif du personnel expatrié des sociétés minières par les nationaux. Ce texte fixait le quota minimal d’employés maliens au sein des sociétés minières par « catégorie de travailleurs » (cadres de direction, agents de maîtrise, ouvriers qualifiés et ouvriers non qualifiés) et de façon progressive [48]. Ainsi, au cours des 5 premières années de l’exploitation minière, 30% des postes de cadres de direction étaient dévolus à des maliens tandis que ces derniers devaient immédiatement occuper 100% de postes d’ouvriers non qualifiés.
La nouvelle loi sur le Contenu local simplifie les règles en matière de recrutement et de formation de maliens pour remplacer les employés étrangers. Elle semble opérer non plus par « catégorie de travailleurs », mais « toute catégorie confondue ». Son article 6 dispose que le pourcentage du personnel étranger au sein des sociétés minières ne doit pas dépasser 10% du nombre total du personnel malien pendant les 3 premières années suivant le début des opérations minières. Après la 3e année, ce pourcentage est de 5%, et après la 6e année, il est réduit en vue d’atteindre la pleine participation malienne. Il faut noter une possible contradiction entre cet article 6 de la loi sur le Contenu local et le tableau annexé à ladite loi qui semble réintroduire des pourcentages définis par catégorie de travailleurs (personnel de direction, personnel technique de base et autres personnels).
En outre, la loi sur le Contenu local établit une nouvelle exigence liée à la masse salariale des sociétés minières. En effet, le pourcentage de la masse salariale du personnel étranger par rapport à la masse salariale globale de la société d’exploitation ne doit pas excéder 30% pendant les 3 premières années suivant le début de l’exploitation minière. Ce pourcentage est réduit à 20% après la 3e année et il l’est davantage après la 6e année pour atteindre la pleine participation malienne.
La loi précise d’ailleurs que l’un des objectifs du contenu local est d’assurer le plafonnement des coûts salariaux des étrangers [49]. Cette nouvelle obligation vise à garantir une meilleure redistribution des salaires au sein des sociétés minières et à permettre au personnel malien de tirer davantage profit de l’exploitation des minerais du pays.
Par ailleurs, le nouveau Code minier pose l’exigence pour les sociétés minières de prioriser l’offre locale, mais l’assortit de certaines exceptions. Le Code prévoit ainsi que les sociétés d’exploitation, leurs fournisseurs et sous-traitants « utilisent autant que possible des services et matières d’origine malienne, des produits fabriqués ou vendus au Mali dans la mesure où ces services et produits sont disponibles au Mali » [50].
Dans ce droit fil, le nouveau Code minier impose aux sociétés d’exploitation de s’engager à consulter les entreprises maliennes pour leurs achats d’équipements, fournitures de biens ou prestations de services, mais les autorise à comparer les propositions de ces entreprises avec celles des entreprises étrangères. Ainsi, « lorsque pour les mêmes conditions de qualité, de délai et de sécurité, les prix proposés par les entreprises maliennes sont supérieurs de plus de dix pour cent (10%) aux prix des équipements, biens et services d’origine étrangère, la société peut s’adresser aux entreprises étrangères » [51].
Dans le même sens, la loi sur le Contenu local dispose que « les biens et services liés aux activités minières sont fournis par les entreprises maliennes ». Cependant, les sociétés minières peuvent recourir à des entreprises étrangères lorsqu’il n’existe pas d’entreprises maliennes capables de fournir ces biens et services « dans des conditions de coûts et de planning comparables et selon les standards internationaux applicables à l’industrie minière » [52].
iii. Création d’une liste de services uniquement fournis par les entreprises locales et classification des activités minières.
L’article 8.4 de la loi sur le Contenu local innove par l’établissement d’une liste des services qui ne peuvent être fournis que par les entreprises locales. Cette liste complétée par le tableau annexé à ladite loi inclut des services comme la restauration et la gestion de la base vie du site minier, le transport à destination et en provenance des sites miniers, les études environnementales et sociales, le transport du minerai, la production d’énergie renouvelable, etc. [53].
S’agissant des entreprises locales bénéficiaires de ces dispositions, l’article 1er du nouveau Code minier en donne une définition restrictive. Une entreprise est ainsi considérée comme locale lorsqu’elle remplit les critères cumulatifs suivants :
- Une personne (ou groupement de personnes) ayant une personnalité juridique de droit malien ;
- Une entreprise dont le capital social appartient, à au moins 51%, à des personnes physiques ou morales de nationalité malienne ;
- Une entreprise dont le bénéficiaire effectif est malien ;
- Une entreprise dont le siège social est établi sur le territoire malien ;
- Une entreprise dont les coûts salariaux de la main d’œuvre de nationalité malienne représentent au moins 50% des coûts salariaux totaux.
Enfin, l’article 8.7 de la loi sur le Contenu local établit une classification des activités minières en trois régimes : exclusif, mixte et non exclusif. Le régime non exclusif regroupe les activités à faible potentiel du contenu local. Le régime mixte concerne les activités qui exigent une association d’une société étrangère avec une entreprise locale. Le régime exclusif porte sur les activités pour lesquelles l’État malien, dans le but de réduire la quantité des biens et services importés, se réserve le droit d’octroyer des autorisations de services exclusifs, sous réserve d’une garantie de qualité du service et d’un encadrement des prix. La création de ce régime exclusif est une dernière illustration de l’approche générale de renforcement du contrôle de l’Etat sur les activités minières caractéristique de la nouvelle législation minière malienne.