La propriété littéraire et artistique est l’ensemble des droits pécuniaires et moraux dont est titulaire un écrivain ou un artiste sur son œuvre. Elle est l’une des deux branches de la propriété intellectuelle. En droit sénégalais, elle se subdivise en droit d’auteur et en droits voisins.
Le droit d’auteur est une prérogative attribuée à l’auteur d’une œuvre de l’esprit (écrits, conférences, œuvres dramatiques, chorégraphiques, cinématographiques, graphiques, phonographiques, logiciels…). Actuellement, ce droit est un enjeu important dans le monde de la création artistique et intellectuelle. Au Sénégal, le cadre juridique de la protection du droit d’auteur a été établi dès l’indépendance en 1960. Depuis lors, des réformes ont été entreprises pour moderniser la législation et la rendre conforme aux normes internationales. A travers la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 portant loi sur le droit d’auteur et les droits voisins, le législateur sénégalais a prévu un certain nombre de dispositions dans le but d’assurer la protection du droit d’auteur.
En effet, le codificateur national a déterminé l’objet du droit d’auteur, son contenu ainsi que les conditions de sa protection. Toujours dans l’optique de garantir la défense du droit d’auteur, la loi sénégalaise a prévu la gestion collective des droits d’auteur, des mesures techniques de protection et d’information ainsi que des sanctions en cas de violation du droit d’auteur. La gestion collective des droits d’auteur est assurée par des sociétés de gestion collective telle que la Société Sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (SODAV).
En effet, des sociétés de gestion collective peuvent être créées par les titulaires de droits d’auteur et de droits voisins en vue de négocier avec les utilisateurs des répertoires dont la gestion leur est confiée, de percevoir les redevances correspondantes et de les répartir entre leurs membres, de financer des actions sociales au profit de leurs membres, de mener et financer des actions culturelles, d’ester en justice pour la défense des intérêts dont elles ont statutairement la charge, y compris les intérêts collectifs de leurs membres. Les titulaires de droit d’auteur et de droits voisins peuvent mettre en œuvre, dans l’exercice de leurs droits, des mesures techniques en vue d’empêcher ou de limiter l’accomplissement, à l’égard de leurs œuvres, interprétations, phonogrammes, vidéogrammes ou programmes, d’actes qu’ils n’ont pas autorisés et qui ne sont pas permis par la loi.
Dans cet article, nous allons examiner le cadre juridique de la protection du droit d’auteur (I), l’objet du droit d’auteur (II), les conditions de sa protection (III), la protection des composantes du droit d’auteur (IV) ainsi que les sanctions prévues en cas de violation du droit d’auteur (V).
I. Cadre juridique de la protection du droit d’auteur au Sénégal.
Au Sénégal, la protection du droit d’auteur est régie par des textes nationaux (A) et internationaux (B).
A. Les sources internes du droit d’auteur au Sénégal.
Le droit d’auteur au Sénégal est régi par plusieurs textes nationaux et internationaux. Parmi les textes nationaux, on peut citer la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, le Décret n° 2015-682 du 26 mai 2015 portant application de la loi n°2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins, le Décret n° 2016-322 du 07 mars 2016 portant agrément de la Sénégalaise du Droit d’Auteur et des Droits Voisins (SODAV).
La loi de 2008 a été adoptée afin de remplacer la loi n° 73-52 du 4 décembre 1973 relative à la protection du droit d’auteur (Journal officiel de la République du Sénégal (1973), 29 décembre 1973, n° 4333. La loi de 1973 a été modifiée par la Loi n° 86-05 du 24 janvier 1986 abrogeant et remplaçant les articles 22, 46, 47 et 50 de la loi n° 73-52 du 4 décembre 1973 relative à la protection du droit d’auteur (Journal officiel de la République du Sénégal, (1986), 25 janvier 1986, no 5102, p. 43-44). En effet, plus de trente ans après sa promulgation, la loi n° 73-52 était devenue obsolète face aux défis complexes posés par les technologies de l’information et de la communication, notamment en ce qui concerne la reproduction, la conservation, le transfert et la diffusion d’œuvres dans l’ère d’Internet et du numérique.
L’importance croissante des industries culturelles dans l’économie mondiale avait également influencé l’évolution du droit d’auteur, d’où la nécessité d’intégrer des dispositions dans la législation sénégalaise qui reflètent ces changements. En outre, le Sénégal était tenu de mettre sa législation sur le droit d’auteur en conformité avec certaines conventions internationales, telles que la Convention de Rome de 1961 sur la protection des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, l’Accord ADPIC et les deux traités de l’OMPI de 1996, connus sous le nom de "Traités Internet".
Le contenu fondamental de la Loi de 2008 sur le droit d’auteur reprend les principales dispositions de la Loi de 1973. Cependant, elle a été adaptée pour tenir compte des changements technologiques et professionnels qui ont eu lieu dans les domaines de la production, de la conservation, de la diffusion, de l’accès à l’information et à la connaissance depuis les années 80. En conséquence, elle est plus en accord avec les récents développements dans le domaine de la propriété intellectuelle en général et de la propriété littéraire et artistique en particulier.
En outre, le Décret n° 2015-682 du 26 mai 2015 portant application de la loi n°2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins précise notamment les modalités de délivrance et de retrait de l’agrément des sociétés de gestion collective, l’organisation et le fonctionnement de la Commission permanente de contrôle des sociétés de gestion collective, les modalités d’exercice du droit à l’information des associés des sociétés de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins, la composition et le fonctionnement de la commission copie privée, la composition et le fonctionnement de la commission rémunération équitable, les modalités d’exercice du droit de suite, les conditions d’agrément des agents assermentés désignés par les sociétés de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins etc.
Le décret n° 2016 a pour objet d’agréer la SODAV. En outre, il prévoit une durée d’agrément de cinq (05) années renouvelable, les conditions du retrait de l’agrément ainsi que le contrôle de la Société.
B. Les sources internationales du droit d’auteur.
Il existe également des textes internationaux régissant le droit d’auteur au Sénégal.
Parmi ces textes, on peut citer la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 09 septembre 1886, l’accord de Bangui instituant une organisation africaine de la propriété intellectuelle, l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).
Le 2 mars 1977, l’Accord de Bangui a été adopté pour régir la propriété intellectuelle au sein des dix-sept Etats membres de l’OAPI, et il sert de loi nationale pour chacun de ces Etats. Cet Accord a été révisé le 24 février 1999 et le 14 décembre 2015 dans le but de le mettre en conformité avec le nouvel environnement juridique mondial et de mieux répondre aux préoccupations de développement économique et social des Etats membres de l’OAPI.
La Convention de Berne de 1886 pour la protection des œuvres de la propriété littéraire et artistique a été établie le 9 octobre 1886 à Berne et a été révisée plusieurs fois, la dernière révision ayant eu lieu à Paris en 1971. Cette convention est administrée par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), tout comme la Convention de Paris.
Son objectif est de régir le droit de l’auteur sur son œuvre et d’établir les grands principes pour la protection internationale de la propriété littéraire et artistique. Elle fixe également les règles minimales de protection des auteurs que les parties contractantes doivent intégrer dans leur législation nationale.
La Convention de Berne énumère de manière non exhaustive les œuvres éligibles à la protection au titre du droit d’auteur. Les pays membres de l’Union sont tenus de protéger les œuvres ainsi énumérées par leur législation nationale, ainsi que toutes les autres créations de l’esprit entrant dans la catégorie des œuvres littéraires et artistiques, même si elles ne figurent pas sur la liste.
Adopté le 15 avril 1994 à Marrakech, l’Accord sur les ADPIC est le résultat des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay menées dans le cadre du GATT (L’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), qui ont abouti à la création de l’Organisation Mondiale du Commerce. Tous les Etats membres de l’OAPI ont adhéré à l’Accord sur les ADPIC.
Le but de l’Accord sur les ADPIC est d’harmoniser les normes de protection de la propriété intellectuelle au niveau mondial.
L’Accord sur les ADPIC comporte des dispositions des normes minimales de protection régissant les différents secteurs de la propriété intellectuelle (droit d’auteur et droits connexes, brevets d’invention, marques, indications géographiques, dessins ou modèles industriels, etc.).
En outre, l’Accord sur les ADPIC établit l’obligation générale pour les Etats contractants de prévoir, dans le cadre de leur système judiciaire ordinaire, des procédures loyales et rapides d’application des droits de propriété intellectuelle en cas d’atteinte à ces droits. Ces procédures comprennent des mesures correctives rapides destinées à la fois à empêcher toute atteinte ultérieure et à offrir une compensation adéquate au titulaire du droit, toute décision administrative finale devant pouvoir faire l’objet d’une révision par une autorité judiciaire.
L’Accord sur les ADPIC, adopté le 15 avril 1994 à Marrakech, est le fruit des négociations commerciales multilatérales menées dans le cadre du GATT lors du cycle d’Uruguay, qui ont conduit à la création de l’Organisation mondiale du commerce. Tous les États membres de l’OAPI ont adhéré à cet accord, dont l’objectif est d’harmoniser les normes de protection de la propriété intellectuelle à l’échelle mondiale.
L’accord contient des dispositions qui énoncent les normes minimales de protection de différents secteurs de la propriété intellectuelle tels que les droits d’auteur, les brevets d’invention, les marques, les indications géographiques, les dessins et modèles industriels, etc.
De plus, l’Accord sur les ADPIC impose aux États signataires l’obligation générale de prévoir des procédures équitables et rapides dans le cadre de leur système judiciaire ordinaire pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle en cas d’atteinte à ces droits. Ces procédures doivent inclure des mesures correctives rapides pour prévenir toute atteinte ultérieure et fournir une compensation adéquate au titulaire du droit. Toute décision administrative définitive doit être susceptible d’un recours devant une autorité judiciaire.
II. L’objet du droit d’auteur.
Le législateur sénégalais distingue les œuvres protégeables (A) et les éléments exclus de la protection du droit d’auteur (B).
A. Les œuvres protégeables.
La loi n° 2008 protège les droits d’auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, ce qu’en sont la forme d’expression, le mérite ou la destination.
En effet, sont considérées comme œuvres de l’esprit, au sens de ladite loi les créations intellectuelles de forme dans le domaine littéraire et artistique, notamment :
Les œuvres du langage, qu’elles soient littéraires, scientifiques ou techniques, y compris les programmes d’ordinateurs, et qu’elles soient écrites ou orales ;
Les œuvres dramatiques et autres œuvres destinées à la présentation scénique ainsi que leurs mise en scène ;
Les œuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque et les pantomimes ;
Les œuvres musicales avec ou sans paroles ;
Les œuvres consistant dans des séquences d’images animées, sonorisées ou non, dénommées œuvres audiovisuelles ;
Les œuvres des arts visuels, comprenant les œuvres de dessin, de peinture, de sculpture d’architecture, de gravure, de lithographie, les œuvres photographiques et les œuvres des arts appliqués comme les créations de mode, de tissage, de céramique, de boiserie, de ferronnerie ou bijouterie ;
Les cartes géographiques, les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences.
L’œuvre dérivée d’une œuvre préexistante donne prise au droit d’auteur dès lors qu’elle est originale. A ce titre, sont protégées les traductions et adaptations. Sont également protégés au même titre les anthologies et recueils d’œuvres ou de données diverses, tels que les bases de données, qu’elles soient reproduites sur support exploitable par machine ou sous toute autre forme, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des œuvres originales (article 8 de la loi de 2008).
B. Les éléments exclus de la protection du droit d’auteur.
La protection du droit d’auteur prévue par la loi de 2008 ne s’étend pas aux textes officiels de nature législative, administrative ou judiciaire, ni à leurs traductions officielles (article 9 de la loi de 2008). En outre, cette protection ne prend pas en compte les idées, procédures, méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels (article 10 de la loi de 2008). Sont également exclus de la protection du droit d’auteur, les simples informations, et en particulier les nouvelles du jour (article 11 de la loi de 2008).
III. Les conditions de protection du droit d’auteur.
Pour être protégée, l’œuvre doit répondre à deux critères : être de forme complète (A), d’une part, et être originale, d’autre part (B).
A. La nécessité d’une création.
L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous (article 1 de la loi de 2008). Ce droit d’auteur nait ainsi du seul fait de la création (article 2 de la loi n° 2008). En effet, l’œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique et de toute fixation matérielle, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur. Ainsi, la protection du droit d’auteur ne peut être subordonnée à l’accomplissement d’aucune formalité, comme l’enregistrement ou le dépôt d’exemplaires (Ibid).
Cependant, il est recommandé aux auteurs de déposer leurs œuvres auprès de la Société Sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins pour bénéficier d’une preuve de leur droit de propriété intellectuelle (La SODAV - Société Sénégalaise du Droit d’Auteur et des Droits Voisins, a été créée le 07 Mars 2016 en remplacement du Bureau Sénégalais du Droit d’Auteur BSDA. La SODAV est une société pluridisciplinaire qui gère l’ensemble des droits reconnus par la loi 2008-09 sur le droit d’auteur et les droits voisins au Sénégal).
La nécessité d’une création implique que les idées simples ne sont pas protégées. En droit sénégalais, seules les œuvres de l’esprit sont protégées, et non les idées (article 10 de la loi de 2008). Par "idée", on entend « la représentation d’une chose de l’esprit, une manière de voir, une conception de l’esprit » (Voir l’étude de Blaise Battistolo, La protection des idées publicitaires, thèse, Lausanne 1986). Par conséquent, une idée peut être reprise librement par quiconque, sans que la personne qui l’a formulée en premier puisse revendiquer un monopole sur celle-ci.
B. La nécessité d’une œuvre originale.
En droit sénégalais, l’originalité de l’œuvre de l’esprit est un critère important pour déterminer si elle peut bénéficier de la protection du droit d’auteur. C’est ce qui ressort de l’article 7 de la loi de 2008 aux termes duquel « les œuvres de l’esprit ne peuvent bénéficier de la protection que si elles sont originales ». Le législateur ne définit pas cependant l’originalité. De ce fait, il importe de se référer à la définition proposée par la jurisprudence et la doctrine.
La définition traditionnelle et largement acceptée de l’originalité d’une œuvre d’esprit stipule qu’une œuvre originale reflète la personnalité de son créateur. Ainsi, l’originalité désigne l’expression de la personnalité de l’auteur. En effet, une œuvre est considérée comme originale non pas lorsqu’elle se distingue de tout ce qui a été fait avant ou lorsqu’elle est créative, mais plutôt lorsqu’elle tire ses origines de son auteur, que ce dernier ne l’a pas simplement reproduite et qu’il y a investi un travail minimal d’adresse et de jugement, un minimum d’effort intellectuel. Ainsi, une création est protégée dès lors qu’elle ne constitue pas la copie d’une création antérieure et qu’elle révèle un effort intellectuel même des plus humbles (Cass. Com., 1 juill. 2008, n° 07-13.952. Publié au bulletin, CJCE, 16 juillet 2009 ; Civ. 1re, 2 mai 1989, Bull. civ. I, no 180 ; Ass. plén. 7 mars 1986, D. 1986.405, note Bernard Edelman ; Civ. 1re, 6 mars 1979, Bull. civ. I, no 82).
Cette définition est considérée comme subjective, car elle cherche à identifier la personnalité de l’auteur dans son œuvre. Elle a été élaborée pour protéger les œuvres artistiques, qui sont le domaine principal et naturel du droit d’auteur.
La notion de droit d’auteur a été modifiée en raison de l’extension de sa protection aux œuvres utilitaires, telles que les œuvres d’art appliquées. Cela signifie qu’il est difficile, sauf dans de rares cas, de reconnaître la personnalité de quelqu’un dans la forme d’un objet de l’industrie, indépendamment de son esthétique. Dans ce domaine, l’accent est davantage mis sur l’effort créatif de l’auteur plutôt que sur l’expression de sa personnalité. Malgré cela, les tribunaux considèrent souvent que l’originalité de ces œuvres est l’empreinte ou la marque de la personnalité de leur auteur, bien que cela soit parfois associé à un effort créatif (Com., 8 novembre 2017, n° : 16-10850).
La protection du droit d’auteur pour les logiciels requiert une approche plus objective de l’originalité. Dans ce domaine où l’aspect esthétique est absent, l’auteur ne peut pas exprimer sa personnalité à travers son travail.
Les juges français ont défini l’originalité d’un logiciel comme étant « la marque de l’apport intellectuel » de son auteur (Arrêt Pachot, Ass. Plén., 7 mars 1986, n° 83-10477).
En fin de compte, le sens d’originalité varie en fonction du type d’œuvre concerné. En effet, Il y a deux interprétations de l’originalité d’une œuvre de l’esprit : l’une concerne l’expression de la personnalité de l’auteur, tandis que l’autre concerne sa créativité.
Lorsqu’il s’agit d’œuvres d’art pur, la reconnaissance de l’originalité repose entièrement sur la personnalité de l’artiste et non sur sa capacité créative. En effet, il n’est pas nécessaire pour l’artiste de faire preuve d’une création originale pour être considéré comme un innovateur dans son art, car cela contredirait le principe d’indifférence au mérite du droit d’auteur (article 5 de la loi de 2008). Au lieu de cela, il suffit que l’œuvre reflète des moyens personnels de l’artiste (T. Civ. Seine, 7 janvier 1959), ce qui est généralement le cas dans le domaine traditionnel des beaux-arts. Ici, l’originalité est opposée à l’impersonnalité plutôt qu’à la banalité.
En ce qui concerne les œuvres artistiques traditionnelles, l’originalité est liée à la nouveauté au sens objectif, bien que cela ne soit pas explicitement mentionné.
Pour évaluer l’originalité d’une œuvre musicale, un juge peut demander à un expert de rechercher d’éventuels éléments d’antériorité.
Cependant, pour la photographie et les arts appliqués, la nouveauté objective n’est pas suffisante car il est facile de créer quelque chose de nouveau en appliquant simplement des techniques connues. Pour qu’une ouvre soit considérée comme originale, un effort créatif suffisant doit être accompli pour la singulariser, et la singularité est ce qui la différencie de la banalité, pas nécessairement de l’impersonnalité.
Dans son arrêt de la chambre civile du 24 octobre 2018, n° 16-23214, la Cour de cassation française a rappelé que « la notion de nouveauté est indifférente à la caractérisation de l’originalité d’une œuvre ». La Cour a ensuite constaté que les articles contrefaits avaient « un aspect d’ensemble traduisant un effort créatif porteur de leur originalité », sans se référer à la personnalité de l’auteur. Cela contraste avec les formulations des tribunaux, qui associent souvent l’effort créatif à la personnalité de l’auteur, comme dans l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 24 avril 2013, n° 10-16063, où il est question d’un « effort créatif portant l’empreinte de la personnalité » de l’auteur de l’œuvre en question.
La jurisprudence mentionne souvent que l’exercice de choix libres est un critère important pour évaluer l’effort créatif de l’auteur. Par exemple, dans le domaine des logiciels, on a pu constater « l’existence de choix créatifs caractéristiques de véritables programmes » (Civ. 1, 16 avril 1991, n° 89-21071). Si les contraintes techniques limitent considérablement la liberté de l’auteur, l’œuvre ne peut être considérée comme originale. Tel est le cas des clichés de courses automobiles pour la réalisation desquels les photographes « étaient postés aux endroits qui leur étaient imposés, et non par choix raisonné, et agissaient selon la technique du déclenchement continu dite "prise en rafale" » (Civ. 1, 3 février 2004, n° 02-11400). Cependant, pour être considéré comme créatif, le choix effectué par l’auteur doit être intentionnel et fait en fonction d’un objectif précis.
IV. Les prérogatives accordées aux auteurs.
Le droit d’auteur est composé d’un droit moral (A) et de droits patrimoniaux (B).
A. Le droit moral de l’auteur.
Le droit moral est un droit personnel et inaliénable qui permet à l’auteur de protéger son œuvre et de préserver son intégrité. Ce droit moral comprend notamment le droit de paternité, le droit au respect de l’œuvre, le droit de divulgation et le droit de repentir.
L’article 27 de la loi de 2008 définit les caractéristiques du droit moral. Tout d’abord, le droit moral est lié à la personne de l’auteur, ce qui signifie que ce dernier a le droit d’être reconnu comme le créateur de l’œuvre et de bénéficier de sa protection en tant que telle. Ensuite, le droit moral est transmissible à cause de mort, ce qui signifie qu’il peut être transmis aux héritiers de l’auteur après sa mort. Cependant, le droit moral reste inaliénable, ce qui signifie qu’il ne peut être cédé ou vendu à une autre personne. Enfin, le droit moral est perpétuel, ce qui signifie qu’il continue d’exister même après la mort de l’auteur et ne peut jamais expirer.
Le droit de divulgation est une autre prérogative du droit moral de l’auteur, énoncé à l’article 28 de la loi de 2008. Cela signifie que seul l’auteur a le droit de décider quand et comment son œuvre sera divulguée ou mise à disposition du public. En d’autres termes, l’auteur a le droit de contrôler la première publication de son œuvre.
Le droit de repentir est également une attribut du droit moral de l’auteur, énoncé à l’article 29 de la loi de 2008. Ce droit permet à l’auteur de retirer son œuvre de la circulation ou de révoquer la licence accordée à un tiers pour utiliser son œuvre, même après sa publication. Cependant, ce droit doit être exercé dans le respect des droits acquis par les tiers, et l’auteur doit indemniser le tiers pour tout préjudice causé par cet exercice.
L’article 30 de la loi de 2008 énonce le droit à la paternité de l’auteur, qui consiste à exiger que son nom soit mentionné sur chaque exemplaire de son œuvre reproduite ou chaque fois que son œuvre est rendue accessible au public. L’auteur a également le droit de rester anonyme ou d’utiliser un pseudonyme, s’il le souhaite.
Enfin, l’article 31 de la loi de 2008 protège l’intégrité et l’esprit de l’œuvre de l’auteur en interdisant toute modification sans son consentement écrit. L’auteur a également le droit de s’opposer à toute forme de présentation ou d’utilisation de son œuvre qui altère son sens ou sa perception.
B. Les droits patrimoniaux de l’auteur.
Les droits patrimoniaux de l’auteur donnent à ce dernier la possibilité d’exploiter sa création et d’en tirer profit. Ils sont constitués du droit d’exploitation et du droit de suite.
Le Droit d’exploitation comprend le droit de communication au public, le droit de reproduction, le droit de distribution et le droit de location. L’article 33 de la loi de 2008 stipule que l’auteur jouit du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire. Ainsi, tout usage commercial ou non commercial de l’œuvre sans l’autorisation préalable de l’auteur est interdit.
Le droit de communication au public est défini à l’article 34. L’auteur a le droit exclusif d’autoriser la communication de son œuvre au public, par tout procédé, notamment par voie de radiodiffusion, de distribution par câble ou par satellite, de mise à disposition sur demande de manière que chacun puisse avoir accès à l’œuvre de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. Ce droit s’applique à la fois à une communication totale ou partielle de l’œuvre, qu’elle soit originale ou dérivée.
Le droit de reproduction est prévu par l’article 35 de la loi de 2008. L’auteur a le droit exclusif d’autoriser la fixation de son œuvre, par un procédé quelconque, sous une forme matérielle permettant de la communiquer au public. Ce droit s’applique également à une reproduction totale ou partielle de l’œuvre, qu’elle soit originale ou dérivée. Néanmoins, l’auteur ne peut interdire la reproduction à usage personnel et privé.
En outre, l’auteur jouit du droit de distribution sur son œuvre (article 36 de la loi de 2008). En effet, l’auteur a le droit exclusif d’autoriser la distribution, par la vente ou autrement, des exemplaires matériels de son œuvre. Cependant, ce droit est épuisé par la première vente ou tout autre transfert de propriété des exemplaires par l’auteur ou avec son consentement dans la zone UEMOA.
L’auteur a également le droit exclusif d’autoriser la location des exemplaires de son œuvre (article 37 de la loi de 2008). La location s’entend de la mise à disposition pour l’usage, pour un temps limité et pour un avantage économique ou commercial direct ou indirect. Si l’auteur cède son droit de location, il conserve le droit d’obtenir une rémunération équitable au titre de la location. Ce droit ne peut faire l’objet d’une renonciation.
Cependant, la loi de 2008 prévoit des exceptions au droit de communication au public et au droit de reproduction. En effet, l’auteur ne peut interdire la communication de l’œuvre effectuée à titre gratuit dans un cercle familial (article 38 de la loi de 2008). Également, l’auteur ne peut interdire la communication de l’œuvre effectuée à titre gratuit au cours d’un service religieux dans des locaux réservés à cet effet (article 39 de la loi de 2008). Ajoutons aussi que l’auteur ne peut interdire la reproduction destinée à un usage strictement personnel et privé (article 40 de la loi de 2008).
Toutefois, L’exception au droit de reproduction prévue s’applique pas :
à la reproduction d’œuvres d’architecture revêtant la forme de bâtiments ou d’autres constructions similaires ;
à la reproduction par reprographie d’œuvres d’art visuel à tirage limité, de partitions musicales et de manuels d’exercice ;
à la reproduction d’une base de données électronique ;
à la reproduction d’un programme d’ordinateur.
De plus, l’article 42 de la loi de 2008 autorise l’utilisation de l’œuvre à des fins d’illustration de l’enseignement. En effet, sous réserve de la mention de son nom et de la source, l’auteur ne peut interdire la reproduction ou la communication de l’œuvre effectuée sans but lucratif, à des fins d’illustration de l’enseignement. De surcroit, l’auteur ne peut interdire la reproduction ou la communication de l’œuvre à titre de parodie, compte tenu des lois du genre (article 43 de la loi de 2008). L’article 44 autorise les analyses et les courtes citations d’une œuvre, à condition que l’auteur et le titre de l’œuvre soient mentionnés.
En, plus, le législateur sénégalais autorise la reproduction et la communication des articles d’actualité politique, sociale et économique, ainsi que des discours destinés au public, prononcés dans les assemblées politiques, judiciaires, administratives, religieuses, les réunions publiques d’ordre politique et les cérémonies officielles, à condition que l’auteur soit mentionné (article 45 de la loi de 2008). De même, la reproduction ou la communication d’une œuvre graphique ou plastique située en permanence dans un endroit ouvert au public est autorisée, à condition que l’image de l’œuvre ne soit pas le sujet principal de la reproduction, de la radiodiffusion ou de la communication, et qu’elle ne soit pas utilisée à des fins commerciales (article 46 de la loi de 2008).
La loi de 2008 prévoit en outre le droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente de l’œuvre originale ou du manuscrit, faite aux enchères publiques ou par l’intermédiaire d’un commerçant, postérieurement au premier transfert de propriété (article 47 de la loi de 2008). Ce droit ne s’applique pas aux œuvres d’architecture et aux œuvres des arts appliqués, et son taux est fixé à 5% sur le prix de vente (article 48 de la loi de 2008). Cependant, les œuvres d’architecture et les œuvres des arts appliqués ne donnent pas lieu à l’exercice du droit de suite (article 49 de la loi de 2008).
Les droits patrimoniaux d’auteur durent pendant toute la vie de l’auteur et pendant les soixante-dix années suivant son décès (article 51 de la loi de 2008). Pour une œuvre de collaboration, les droits patrimoniaux durent pendant la vie du dernier auteur survivant et pendant les soixante-dix années suivant son décès (article 52 de la loi de 2008). Pour une œuvre anonyme ou pseudonyme, les droits patrimoniaux durent soixante-dix années à compter de la publication de l’œuvre ou, si aucune publication n’a eu lieu, soixante-dix années à compter de sa réalisation. Si le ou les auteurs de l’œuvre anonyme ou pseudonyme se sont fait connaître, la durée du droit exclusif est celle prévue pour les droits patrimoniaux (article 53 de la loi de 2008).
Enfin, pour une œuvre posthume, les droits patrimoniaux durent soixante-dix années à compter de la divulgation de l’œuvre (article 54 de la loi de 2008).
V. Les sanctions de la violation du droit d’auteur.
En cas de violation du droit d’auteur, des sanctions pénales (A) ainsi que des sanctions civiles (B) peuvent être appliquées.
A. Les sanctions pénales.
La loi de 2008 prévoit des sanctions applicables en cas de violation du droit d’auteur.
Selon l’article 143 de la loi, la violation des droits de communication au public, de reproduction, de distribution ou de location est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende allant d’un million à cinq millions de francs CFA. De même, la diffusion, l’importation et l’exportation d’exemplaires illicites sont punies des mêmes peines. L’article 144 de la loi précise que la violation du droit moral de l’auteur et de l’artiste interprète est également passible des mêmes peines.
Les atteintes aux mesures techniques de protection sont également sanctionnées. En effet, l’article 145 prévoit une peine d’emprisonnement d’un mois à trois mois et une amende de cinq cent mille francs CFA pour la neutralisation de ces mesures. De même, l’atteinte aux informations sur le régime des droits est punie des mêmes peines.
L’article 146 prévoit une amende pour le défaut de versement de la rémunération équitable et de la rémunération pour copie privée. En cas de récidive des infractions définies aux articles 143 à 145, les peines encourues sont doublées, conformément à l’article 147. Ajoutons également qu’en cas de condamnation pour l’une des infractions prévues aux articles 142 à 146 de la loi de 2008, le tribunal peut ordonner la destruction de tous les exemplaires illicites ainsi que la confiscation du matériel spécialement installé en vue de la réalisation du délit (article 148 de la loi de 2008).
L’article 149 de la loi de 2008 donne au tribunal le pouvoir d’ordonner l’affichage du jugement et sa publication dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne, aux frais du condamné.
Enfin, l’article 150 de la loi de 2008 autorise la fermeture temporaire ou définitive des établissements exploités par le contrefacteur et ses complices en cas de récidive, après condamnation prononcée par application des articles 142, 143 ou 144 . Toute infraction à cette disposition est punie d’une peine d’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de cinq cent mille francs CFA.
B. Les sanctions civiles.
Des sanctions civiles sont en outre prévues en cas de violation du droit d’auteur. Ces sanctions sont la cessation de l’acte illicite et la réparation du préjudice subi par le demandeur. En effet, selon l’article 151 de la loi de 2008, le tribunal peut ordonner à une partie, sous astreinte, la cessation de l’acte portant atteinte à l’un quelconque des droits conférés par la loi, notamment afin d’empêcher l’introduction dans les circuits commerciaux de marchandises importées portant atteinte à un droit d’auteur.
En cas de violation des droits d’auteur, le demandeur peut réclamer l’indemnisation de l’entier préjudice causé, selon l’article 152 de la loi précitée. Cette indemnisation est évaluée en tenant compte du manque à gagner et du préjudice.