Village de la Justice : Comment en êtes-vous venu à exercer votre métier en milieu transfrontalier ?
Romain-Joseph Stehlé : « La langue de Goethe a toujours été un fil conducteur dans mon parcours. Dès la maternelle, j’ai suivi un cursus bilingue qui s’est prolongé jusqu’à l’obtention d’un baccalauréat franco-allemand à Fribourg en Allemagne. Par la suite, j’ai systématiquement choisi les matières en droit allemand à l’université. En parallèle de mes études, j’ai également obtenu les certificats de langue C1 et C2 du Goethe-Institut.
Aujourd’hui, c’est toujours un plaisir de pouvoir utiliser ces compétences linguistiques et de travailler avec des germanophones.
Travailler en milieu transfrontalier représente donc une suite naturelle de mon parcours bilingue en me permettant de concilier deux passions, le droit et la langue allemande, et de contribuer à renforcer les échanges entre nos pays ».
Quelles sont les particularités d’un tel exercice (formation au droit du pays voisin, relation avec vos confrères/juridictions étrangers, méthode de travail, outils de travail…) ?
« En Alsace-Moselle, nous appliquons un droit spécifique qui touche encore de nombreux aspects de la vie économique et sociale [1].
Pour les commissaires de Justice, les particularités concernent principalement l’exécution forcée immobilière [2], la publicité foncière, la procédure civile et l’organisation judiciaire.
Au-delà de la maîtrise de ce droit particulier, il est avantageux de se familiariser avec les pratiques et termes juridiques des pays voisins pour mieux comprendre notre environnement de travail. Il n’y a qu’à comparer la profession de commissaire de Justice en France et ses équivalents en Allemagne et en Suisse : en France, le commissaire de Justice est un professionnel libéral au sein d’un office dont il est titulaire ; en Allemagne, le “Gerichtsvollzieher” est un fonctionnaire rattaché à un tribunal local, le “Amtsgericht” ; tandis qu’en Suisse, le “préposé aux poursuites” dirige un “office des poursuites” dans un arrondissement au sein d’un canton ».
Quels sont les points forts d’une telle situation dans la pratique de votre métier ?
« La situation transfrontalière dans la région du Rhin supérieur offre de nombreux avantages, notamment une grande richesse historique [3], économique [4], culturelle et intellectuelle.
Évoluer dans un environnement multiculturel est particulièrement stimulant et enrichissant. Je suis d’ailleurs convaincu que nos législations et pratiques peuvent inspirer des transformations des deux côtés de la frontière. Par exemple, en Allemagne et en Suisse, le Gerichtsvollzieher et le préposé aux poursuites restent avant tout des organes d’exécution et ne connaissent pas les procès-verbaux de constats à des fins probatoires. A contrario, il n’existe pas de registre de solvabilité des particuliers en France comme en Allemagne ou en Suisse ».
Pourriez-vous nous indiquer les procédures, dossiers les plus fréquents, les plus demandés ?
« À côté des constats, les dossiers les plus fréquents sont de loin les dossiers de recouvrement de créances. Nous sommes, en effet, les seuls professionnels à pouvoir procéder au recouvrement amiable comme au recouvrement judiciaire. Ainsi, si la phase amiable n’aboutit pas, nous accompagnons le client pour obtenir un titre exécutoire [5] en suivant une procédure nationale [6] ou transfrontalière [7] pour pouvoir in fine recourir à la contrainte, à des saisies, si la situation l’exige.
Nous sommes également fréquemment consultés pour signifier des actes judiciaires ou extrajudiciaires [8], et pour gérer les relations entre bailleurs et locataires [9] ».
La langue est-elle une barrière ? Faites-vous appel à des traducteurs ou avez-vous au sein de votre office un service de traduction ?
« Bien sûr la langue peut être un véritable piège si l’on ne s’attarde pas aux subtilités : les faux amis sont légion [10] ; les termes juridiques [11], tout comme les procédures sont souvent semblables [12], mais rarement identiques. En réalité, la traduction oblige généralement à choisir le terme le plus proche, sans qu’il soit nécessairement exact.
Nous avons évoqué les différents statuts des commissaires de Justice en France, et de ses équivalents en Allemagne et en Suisse. Cette différence de statut est un réel problème pour la traduction. Ainsi, pour traduire le “commissaire de Justice” en allemand, faut-il plutôt opter pour le néologisme “Justizkommissar”, pour l’homologue allemand du commissaire de Justice français, le “Gerichtsvollzieher” ou pour la combinaison de ces deux termes, le “Gerichtskommissar” ? À vrai dire, j’ai déjà observé ces trois traductions.
Compte tenu de la complexité et de l’enjeu de nos actes, nous faisons systématiquement appel à des traducteurs ».
Le parcours professionnel de Romain-Joseph Stehlé :
Je suis clerc dans une étude de commissaires de Justice à Mulhouse (Haut-Rhin) depuis plus de six ans.
Mon parcours est plutôt atypique, car je n’avais pas d’appétence pour une matière en particulier à la sortie du lycée. J’ai alors été sélectionné pour intégrer une classe préparatoire aux concours BCE en vue d’entrer dans une Grande École de Commerce française. C’est dans cette dernière que j’y ai suivi un double-cursus en droit et commerce et ce qui m’a finalement décidé à me spécialiser dans une filière juridique.
Après mon Master 2 à l’Université de Strasbourg, j’ai suivi la formation en alternance de deux ans pour obtenir l’examen professionnel d’huissier de justice [13]. J’ai également dû suivre une formation pour valider la qualification de commissaire de justice [14]. Enfin, souhaitant m’établir en Alsace-Moselle, j’ai réussi l’épreuve spéciale de droit local [15].
Réunissant toutes les conditions nécessaires, je postule depuis bientôt deux ans aux offices de commissaire de Justice vacants dans ma région [16].