La représentation obligatoire devant la chambre sociale de la cour d’appel.

Par Alexis Devauchelle, Avocat.

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Explorer : # représentation obligatoire # procédure d'appel # défenseur syndical

Le décret n°2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail publié au journal officiel du 25 mai 2016 vient modifier, entre autres choses, la procédure contentieuse devant les Conseils des prud’hommes.

Il vient surtout bouleverser la procédure applicable devant les chambres sociales des cours d’appel saisies des recours formés contre les décisions rendues par la juridiction prud’homale de première instance.

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Le chapeau introductif de ce décret mentionne à cet égard que « l’appel sera régi par la procédure avec représentation obligatoire, les parties étant ainsi tenues devant la juridiction de second degré de recourir à un avocat ou à un défenseur syndical. »
Cet attendu de principe est un peu court et mérite un certain développement, d’autant plus que le corps même du décret n’est pas beaucoup plus disert sur le sort de la procédure applicable et qu’il faut donc procéder par renvoi à d’autres textes applicables.

Il convient par conséquent de détailler les règles de procédure qui s’appliqueront aux instances et appels introduits devant les cours d’appel à compter du 1er août 2016 (cf. article 46 du décret). Si les articles du décret sont peu nombreux, ils induisent des changements fondamentaux puisque d’une procédure sans représentation obligatoire où le principe de l’oralité régnait, le législateur a institué un passage à la procédure commune d’appel, écrite, avec représentation obligatoire.
Une révolution copernicienne en quelque sorte…

En premier lieu, le décret énumère très limitativement les représentants des parties au litige devant la cour d’appel et fait une entorse à la seule représentation par avocat du ressort de ladite cour.
Aux termes de son article 28, le décret prévoit que les représentants des parties peuvent être soit un avocat, soit le défenseur syndical visé à l’article R. 1453-2 du Code du travail, seul ce dernier devant alors justifier d’un pouvoir spécial. Doté de son pouvoir spécial, cette nouvelle créature juridique pourra accomplir les actes qu’impose la procédure d’appel.

Le décret du 20 mai 2016, qui suit la loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, vient là consacrer le rôle désormais essentiel de ce défenseur syndical.
Le rédacteur de ces lignes pense qu’il s’agit d’un progrès pour tous les justiciables puisque ceux-ci devront être désormais défendus par des professionnels spécialisés. Les cours d’appel seront également protégées de plaideurs solitaires égarés et ignorants d’une matière ayant pris une ampleur considérable et acquis une complexité toute particulière depuis plusieurs décennies désormais.

En second lieu, le changement de nature de la procédure menée devant les cours d’appel est clairement exprimé à l’article 29 du décret puisque l’article R. 1462-2 du Code de travail précise qu’il s’agit, à compter du 1er août 2016, d’une procédure avec représentation obligatoire.
Exit donc les articles 931 à 949 du Code de procédure. Il faudra que les avocats et défenseurs syndicaux se pénètrent dorénavant des dispositions des articles 899 à 930 du même code pour faire vivre le procès prud’homal d’appel.
Ceci signifie que devront être très scrupuleusement surveillés le respect des délais et la confection des actes de procédures institués notamment par le décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009. Le mécanisme de ce dernier décret dit « décret Magendie » institue en effet une kyrielle d’obligations procédurales, assortie de sanctions en cas de manquement mettant à néant définitivement les procédures d’appel, telle que la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions.

Le risque en appel d’un défaut de respect d’un délai de procédure passe de la simple radiation à l’achèvement du procès sans aucune évocation du fond pour la partie sanctionnée.
Par ailleurs, grâce au passage à la procédure avec représentation obligatoire, un conseiller de la mise en état sera désigné pour chaque dossier à l’effet d’influer sur le déroulement du litige et, peut-être, d’accélérer les procédures ou, à tout le moins, d’éviter que celles-ci ne s’enlisent à la faveur d’une partie fort peu pressée de trouver une issue judiciaire.

De plus, la procédure en matière contentieuse avec représentation obligatoire induisant l’obligation de constituer un avocat du ressort de la cour, les parties devront faire choix d’un avocat chargé de la postulation, si leur conseil ne peut assurer ce rôle.
Ce choix d’un postulant s’imposera pour les parties ayant un avocat dont le siège sera en dehors du ressort de la cour d’appel. Mais il devra s’imposer également pour celles qui auront à leur côté un défenseur syndical dans la même situation géographique.
Le décret de mai 2016 n’exclut en effet pas une telle obligation pour les parties assistées d’un défenseur syndical qui ne serait pas du ressort de la cour d’appel saisie du recours.

L’article 258 de la loi Macron modifiait l’article L. 1453-4 du Code du travail et précisait à cet égard :
« Un défenseur syndical exerce des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel en matière prud’homale.
Il est inscrit sur une liste arrêtée par l’autorité administrative sur proposition des organisations d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au moins une branche, dans des conditions définies par décret. »

Il conviendra donc de vérifier, sur cette liste qui reste à arrêter, le ressort dans lequel ce défenseur syndical exerce.

Enfin, dès lors que la constitution d’avocat est rendue obligatoire devant la cour, les parties au litige devront s’acquitter chacune de la taxe prévue à l’article 1635 bis P du CGI (et qui se monte actuellement à 225,00 euros). Cette taxe est due à peine d’irrecevabilité de l’appel ou des défenses par application de l’alinéa premier de l’article 963 du Code de procédure civile.
Le décret du 20 mai 2016 ne prévoit en effet pas d’exemption, alors qu’auparavant la matière échappait pourtant à la perception de cette taxe, par sa nature même.

En dernier lieu, le décret du 20 mai 2016 précise que le défenseur syndical n’est pas soumis à l’obligation de remettre ses actes de la procédure par voie électronique au greffe de la juridiction d’appel.
Ce point, outre qu’il crée une rupture d’égalité entre les avocats et lesdits défenseurs, va générer une grande quantité de difficultés pratiques pour les uns comme pour les autres.

Le décret institue un article 930-2 au Code de procédure civile qui ne traite que de la déclaration d’appel, ce qui est un peu court au regard de l’ensemble des actes pouvant – et devant – être régularisée en cause d’appel dans les procédures avec représentation obligatoire.
Dans le silence du décret, les avocats devront donc assurer la validité des notifications des actes aux défenseurs syndicaux par la voie désormais ancienne des huissiers de justice, puis retransmettre et justifier par voie électronique via le RPVA de cette notification et ce, dans le respect des délais des articles 908 à 910.

Les défenseurs syndicaux devront, pour leur part, procéder à des notifications par voie d’huissier, puis procéder aux dépôts de leurs actes, toujours dans le respect des délais des articles 908 à 910.
Ce mécanisme va obliger les conseils des uns et des autres à anticiper les délais au risque d’encourir quelques caducités…
Le décret nouveau ne prévoit au demeurant pas que la notification directe de l’article 673 du Code de procédure civile puisse être régularisée par et à l’égard des défenseurs syndicaux.

En conséquence, si le décret n°2016-660 du 20 mai 2016 va bouleverser le procès prud’homal d’appel, à compter du 1er août prochain, des incertitudes persistent quant aux règles qui lui seront applicables, dans la mesure où des règles nouvelles se trouveront confrontées à un dispositif qui lui est actuellement étranger.

Il serait souhaitable que le législateur intervienne rapidement pour lever les zones d’ombres et les incertitudes précédemment évoquées, mais encore toutes les autres qui seront probablement rapidement révélées par les praticiens du droit processuel d’appel et du droit social, ainsi que par la doctrine.

Alexis Devauchelle, Avocat à la Cour, spécialiste de la procédure d\’appel
Ancien avoué à la Cour
http://www.avocat-devauchelle-orleans.fr
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Discussions en cours :

  • par Gilbert CIAVATTI , Le 17 septembre 2017 à 15:39

    Tous les commentaires publiés à ce jour sur le décret Macron parlent d’une réforme de la justice Prud’homale. Quid de l’appel d’une décision du Tass ? Avec ou sans avocat ?

  • par Zozoy , Le 30 novembre 2016 à 22:57

    Bonjour,

    Merci pour cet article.

    Vous dites :
    "Dans le silence du décret, les avocats devront donc assurer la validité des notifications des actes aux défenseurs syndicaux par la voie désormais ancienne des huissiers de justice, puis retransmettre et justifier par voie électronique via le RPVA de cette notification et ce, dans le respect des délais des articles 908 à 910.
    Les défenseurs syndicaux devront, pour leur part, procéder à des notifications par voie d’huissier, puis procéder aux dépôts de leurs actes, toujours dans le respect des délais des articles 908 à 910
    ."

    Je suis un peu étonné que la signification par voie d’huissier soit nécessaire dans le cas où l’employé est representé par un défenseur syndical, car l’article 28 du décret modifie le 3eme alinea de l’article R1461-1 de la façon suivante :
    « Les actes de cette procédure d’appel qui sont mis à la charge de l’avocat sont valablement accomplis par la personne mentionnée au 2° de l’article R. 1453-2. De même, ceux destinés à l’avocat sont valablement accomplis auprès de la personne précitée. »

    Il semble donc que la signification par voie d’huissier ne soit pas nécessaire. Pourriez-vous me donner votre avis sur ce point SVP ?

    Bien à vous

  • Dernière réponse : 4 septembre 2016 à 22:26
    par Luxor , Le 6 juin 2016 à 00:15

    "Les cours d’appel seront également protégées de plaideurs solitaires égarés et ignorants d’une matière ayant pris une ampleur considérable et acquis une complexité toute particulière depuis plusieurs décennies désormais"
    Voilà un poncif qui aura bien la vie longue même s’il est totalement faux.
    J’ai bien des fois constaté en Cour d’appel, qu’un justiciable seul était bien plus rigoureux et efficace face à un avocat venant sans préparer son dossier et prenant le Juge Rapporteur pour une assistante sociale. Les salariés ne connaissent pas le droit, en général mais ils connaissent incontestablement leurs droits, Sauf qu’à l’heure actuelle, ils ne sont entendus ni par leurs patrons ( et pour cause) ni par les juges ( compte tenu de vos poncifs savamment entretenues pour permettre encore de distandre le droit aux délais raisonnables et surtout aux solutions rapides et efficaces)
    C’est vrai que les juges eux même ont du mal à accepter la notion d’efficacité en droit du travail ainsi qu’il ressort des renvois à n’en plus finir. c’est pas grave, c’est le contribuable qui paie POLE EMPLOI et qui les paie aussi par la même occasion !!!!Cette loi est bien préjudiciable aux justiciables comme tant d’autres, du reste.

    • par LALOUBERE Jean-Claude , Le 22 juin 2016 à 16:57

      Encore un affaiblissement du salarié, en effet.
      Si je n’avais pu moi-même constituer mon dossier d’appel, je ne sais pas ce que j’aurais pu devenir.
      Encore faut-il faire remarquer que les avocats ne sont pas gratuits, que l’aide juridictionnelle n’est accordée qu’avec discrétion et, bien sûr, pas suffisamment, et encore quand elle est accordée.
      J’ai pu constituer mon dossier qui était complexe de manière plus rationnelle.
      Si j’avais dû recourir à un avocat, je ne m’en serais pas sorti.
      Même si j’ai dû quand même aller en cassation, mon dossier d’appel y aura été retenu.

      Et, justement, devant la cour de cassation, qu’en est-il ? (ou qu’en sera-t-il ?)
      Jean-Claude LALOUBERE

    • par DAGAV , Le 4 septembre 2016 à 22:26

      "Les cours d’appel seront également protégées de plaideurs solitaires égarés et ignorants d’une matière ayant pris une ampleur considérable et acquis une complexité toute particulière depuis plusieurs décennies désormais"

      La personne ne comprend pas que la société a énormément évolué, et qu’avec Internet et une curiosité intellectuelle sans borne, beaucoup de salariés n’ont pas besoin d’avocats en droit social pour gagner une affaire.

      Je peux concevoir qu’on puisse faire appel à un juriste de haut niveau dans certaines spécialisations, je pense notamment au droit immobilier / pénal ou droit des marchés publics. Pour ma part, sachez que j’ai gagné un référé SANS avocat en droit social, dans le cadre d’une demande de rappel de salaire....alors le coup des " plaideurs solitaires ", quel mépris pour le citoyen.

      Nous autres LA VASTE FOULE, je cite le poète Lamartine, allons bientôt devenir vos serviteurs, comme au temps de la monarchie absolue....noblesse oblige.

      Plaisanterie terminée, honte à la personne d’avoir rédigé une phrase pareille. Juste une question, si le salarié a fait tout le travail (rédaction des conclusions, bordereau de pièces) comment cela marche, on doit vous filer les 15 % de primes pour lire les conclusions ???

      Un citoyen

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