I- Le développement de l’IA : un enjeu de transformation des compétences.
L’intelligence artificielle s’impose comme un levier majeur de transformation du travail. Automatisation des tâches, nouveaux outils d’aide à la décision, analyse prédictive : tous les secteurs sont concernés. Cette transformation pose inévitablement la question de l’adaptation des compétences des salariés et, par conséquent, des obligations de l’employeur en matière de formation.
II- Une obligation générale de formation renforcée par l’IA.
En droit français, l’obligation de formation relève d’abord du Code du travail. L’article L6321-1 impose à l’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi. Dans un environnement marqué par l’arrivée massive d’outils utilisant l’IA, cette obligation prend une dimension nouvelle.
Le manquement à cette obligation peut engager la responsabilité de l’employeur [1], notamment en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle ou inadaptation, sans formation préalable.
En outre, la jurisprudence [2] insiste sur l’obligation de veiller à l’employabilité des salariés tout au long de leur carrière.
III- Vers des obligations spécifiques liées à l’IA ? Le droit européen en ébullition.
Le droit de l’Union européenne s’intéresse de près à la régulation de l’IA. Le Règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act), adopté en 2024 et devant entrer en vigueur progressivement à partir de 2025, impose une série de normes aux fournisseurs et utilisateurs de systèmes d’IA, notamment ceux à « haut risque ». Il prévoit notamment, à l’article 29, que les utilisateurs doivent veiller à ce que « les personnes physiques chargées de l’utilisation d’un système d’IA aient reçu une formation adéquate ».
Ce texte ne crée pas encore une obligation directe pour tous les employeurs, mais impose indirectement la mise en place de formations spécifiques, notamment en matière de compréhension des limites des systèmes, des biais algorithmiques et de la responsabilité humaine.
Par ailleurs, le Pacte pour les compétences (Skills Agenda for Europe), lancé par la Commission européenne, incite fortement les États membres à renforcer les compétences numériques, y compris en IA, dans une logique de transition juste.
IV- Public, durée, fréquence : un flou encore juridique mais une exigence croissante en pratique.
A ce jour, aucun texte n’impose formellement une durée ou une fréquence minimale de formation à l’IA. Toutefois, l’utilisation d’outils IA pour des fonctions essentielles (recrutement, notation de la performance, sécurité, etc.) justifie pleinement une formation régulière pour les utilisateurs concernés.
La loi "Avenir professionnel" (2018) a renforcé les outils à disposition : plan de développement des compétences, CPF, Pro-A… L’IA pourrait y trouver une place légitime. Les branches professionnelles commencent à intégrer cette thématique dans leurs accords collectifs et référentiels métiers.
V- Quels risques en cas de non-respect ?
L’absence de formation peut constituer :
- Un manquement à l’obligation de sécurité [3] si l’outil IA présente des risques psychosociaux ou des biais discriminatoires mal maîtrisés ;
- Un frein à l’adaptation professionnelle, susceptible de remettre en cause la légitimité d’un licenciement pour inaptitude ou insuffisance ;
- Un risque de sanction administrative ou réputationnelle, en cas de contrôle sur l’usage éthique de l’IA ;
- En cas d’audit RGPD ou d’audit social, la traçabilité des formations à l’IA peut être exigée comme gage de conformité.