(Découvrir/Exposition) : Maximilien Luce, l’éclat d’un regard libre au Musée de Montmartre.
Dans le sillage de Georges Seurat et Paul Signac, Luce s’impose comme l’un des pionniers du divisionnisme, plus connu sous le nom de pointillisme, cette technique de peinture qui décompose la lumière en touches colorées vibrantes. Mais là où ses contemporains s’intéressaient avant tout aux jeux optiques et aux scènes mondaines, Luce ancre sa palette dans la vie populaire, dans les transformations sociales et urbaines d’une France en pleine mutation. L’exposition, orchestrée avec justesse par Jeanne Paquet et Alice S. Legé, dévoile un artiste total : peintre, dessinateur, lithographe, militant, qui n’a cessé de conjuguer engagement politique et création plastique.
- Vue aérienne du musée de Montmartre © Musée de Montmartre
De ses scènes de forge et d’usines du nord de la France aux paysages paisibles de Rolleboise dans les Yvelines, où il s’éteindra en 1941, Luce peint les hommes au travail, les luttes ouvrières, les bouleversements de Paris ou encore la grâce fragile de la vie foraine. Il capte les crues de la Seine, les gares, les boulevards en chantier, les trains filant vers l’Exposition universelle, mais aussi les cirques ambulants, les quais et la douceur méridionale de Saint-Tropez, où il séjourne régulièrement à partir de 1892, séduit par les couleurs du Sud.
Mais Luce n’était pas seulement un observateur attentif. C’était un homme de convictions, un militant anarchiste proche de Jean Grave et Émile Pouget, qui n’hésitait pas à illustrer des journaux politiques, à réaliser des affiches appelant à la révolte. En 1894, dans le climat répressif qui suit l’assassinat du président Sadi Carnot, Luce est arrêté, accusé d’avoir « attisé la révolte » par ses dessins. Il passera plusieurs semaines dans la prison aujourd’hui disparue Mazas, près de la gare de Lyon, où il réalisera une série de croquis poignants de sa cellule, des couloirs, du promenoir. Un témoignage rare, d’une intensité sobre, aujourd’hui exposé dans l’une des salles les plus émouvantes du parcours.
À la présidence de la Société des Artistes Indépendants, qu’il occupe à partir de 1935, Luce poursuit son combat pour la liberté de création. En 1940, révolté par la politique antisémite du régime de Vichy, il démissionne avec fracas, refusant de cautionner l’exclusion des artistes juifs. Un geste fort, ultime pied de nez d’un homme fidèle à ses valeurs jusqu’au bout.
- Le seuil, rue Cortot, vers 1880, collection particulière © Patrice Schmidt 2024
Avec près de 4 000 peintures et autant de dessins et estampes produits tout au long de ses 65 années de création, Maximilien Luce laisse une œuvre immense, d’une richesse encore trop peu connue du grand public. Admirateur de Poussin et de Corot, il puise dans la tradition classique une rigueur de composition qu’il conjugue avec la lumière éclatante du néo-impressionnisme. Sa peinture à la fois politique et poétique, forme un pont rare entre esthétique et éthique.
Les œuvres réunies proviennent de prestigieuses institutions : le musée d’Orsay, le musée de l’Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie, le musée Lambinet de Versailles, les musées de Charleroi et d’Ixelles, ou encore l’Association des Amis du Petit Palais de Genève. Une sélection d’une finesse remarquable, qui permet de saisir la pluralité des regards portés par Luce sur son temps.
C’est dans le cadre unique du Musée de Montmartre, l’un des lieux les plus emblématiques de la Butte, que cette rétrospective prend toute sa dimension. Installé dans la Maison du Bel Air, demeure du XVIIe siècle, ce musée habité par l’esprit de Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, Raoul Duffy et Auguste Renoir, qui y installa son atelier dans les années 1870, offre un écrin chargé de mémoire à une œuvre elle-même nourrie de l’histoire. Les jardins Renoir, avec leur vue bucolique sur les vignes du Clos Montmartre, prolongent la visite dans une atmosphère suspendue, entre passé artistique et poésie végétale.
Avec cette exposition exceptionnelle, le Musée de Montmartre rend justice à un artiste dont l’humanisme ardent résonne avec une acuité toute contemporaine. Maximilien Luce, plus qu’un peintre pointilliste, apparaît ici dans toute sa vérité : un témoin engagé, un poète du quotidien, un éclaireur du réel.
- La Baignade, vers 1902-1905, Maximilien Luce © Musée de l’Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie – photo JLRF
« Maximilien Luce, l’instinct du paysage », jusqu’au 14 septembre 2025
Musée de Montmartre, 12, rue Cortot Paris 18ème arrondissement, métro Lamarck-Caulaincourt.
Informations : https://museedemontmartre.fr/exposi...
Photo en logo : Rue des Abbesses, l’épicerie, 1896, Maximilien Luce © Association des Amis du Petit Palais de Genève