Répondre à cette question implique de déterminer, succinctement, si, sur le trébuchet des procédures collectives, les dangers qui se profilent à l’ombre d’un régime simplifié de licenciement économique dans la sauvegarde (1) sont contrebalancés par les avantages qui pourraient résulter d’une telle évolution (2).
1. Des dangers d’un régime simplifié de licenciement économique au sein de la procédure de sauvegarde
Le législateur du 26 juillet 2005 a voulu d’emblée montrer son attachement à la protection de l’emploi au sein de la nouvelle procédure de sauvegarde. Ainsi, est-il affirmé que la procédure de sauvegarde, ouverte à la demande d’un débiteur justifiant de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à le conduire à la cessation des paiements, « est destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ».
Cet attachement à la protection de l’emploi ne s’est pas limité aux déclarations d’intention mais se retrouve au cœur de la procédure phare.
En effet, en principe, les licenciements effectués au sein de la procédure de sauvegarde restent soumis au droit commun des licenciements économiques, qu’ils soient réalisés au cours de la période d’observation ou dans le cadre de l’arrêt du plan de sauvegarde.
Cette situation tranche avec ce qui prévaut en matière de redressement judiciaire, puisque pour cette procédure, la loi aménage le droit du licenciement économique tel que prévu par le Code du travail.
Sans prétendre nullement à l’exhaustivité quelques assouplissements peuvent être rappelés.
En premier lieu, au cours de la période d’observation, le juge commissaire peut autoriser l’administrateur judiciaire à procéder à des licenciements économiques qui présentent un « caractère urgent, inévitable et indispensable ».
En second lieu, par dérogation au droit commun, les licenciements économiques prévus par le plan peuvent intervenir dans un délai d’un mois à compter du jugement, sur simple notification de l’administrateur .
En dernier lieu, des assouplissements sont prévus en matière d’autorisations et de reclassement des salariés.
Lors des débats parlementaires, à l’occasion de l’élaboration de la loi du 26 juillet 2005, la question de l’adoption d’une procédure dérogatoire de licenciement économique au sein de la sauvegarde avait été âprement discutée. Néanmoins, le législateur s’était résolu à ne pas franchir le Rubicon en raison du fait que la transposition du régime simplifié de licenciement du redressement à la sauvegarde avait soulevé des craintes auprès de certains députés et des syndicats de salariés.
L’un des risques mis en avant a été celui de voir des dirigeants soucieux d’accélérer et de sécuriser les procédures de licenciements utiliser la sauvegarde comme instrument de gestion de la masse salariale et d’éventuels sureffectifs.
Pour les opposants à cette réforme, une procédure allégée de licenciement économique au sein de la sauvegarde aurait été synonyme d’un haut risque de contournement des règles protectrices des salariés telles que prévues par le droit commun du travail. En effet, pourquoi un dirigeant s’aventurerait-il sur « les pentes escarpées » du droit du travail alors même que le droit des entreprises en difficulté lui offrirait la possibilité de se séparer de ses salariés rapidement et à moindre coût ?
Au demeurant, ce danger ne doit en aucun cas être minimisé, d’autant que le projet d’ordonnance prévoit d’assouplir les conditions d’ouverture de la sauvegarde.
En effet, la procédure de sauvegarde serait accessible à celui « qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter ».
Ainsi, pour pouvoir accéder à la protection judiciaire constituée par la sauvegarde, le débiteur n’aurait plus à faire état de difficultés de nature à le conduire à la cessation des paiements, comme c’est le cas aujourd’hui, il lui suffirait de démontrer qu’il fait face à des difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter.
L’ouverture de la procédure étant rendue plus aisée, le risque d’instrumentalisation de la sauvegarde, notamment pour gérer la masse salariale, s’en trouverait accru.
Le projet d’ordonnance, s’il était adopté tel quel, rapprocherait indubitablement la procédure de sauvegarde du chapter eleven américain, sans pour autant être aussi libéral que ce dernier. Effectivement, ce fameux chapitre du droit américain des entreprises en difficulté permet à une entreprise de se réorganiser sous main de justice sans que l’enclenchement de la procédure ne soit subordonné à un critère d’insolvabilité ou d’illiquidité.
Or, précisément, cette approche particulièrement libérale des conditions d’ouverture de la procédure a pu favoriser des recours parfois abusifs à la protection judiciaire.
Ainsi, certaines entreprises peu scrupuleuses ont utilisé le chapter eleven pour rompre plus facilement les contrats de travail de leurs salariés. La défaillance est alors utilisée comme véritable instrument de gestion de l’entreprise au dépend des salariés, ainsi que des concurrents qui n’utilisent pas de telles artifices pour affronter leurs adversaires économiques.
Mutatis mutandis, ces dérives constatées outre-Atlantique pourraient se reproduire au sein du droit interne français en cas d’adoption d’un régime dérogatoire de licenciement dans la sauvegarde jumelée à un assouplissement important des conditions d’ouverture de la procédure .
Malgré ces risques que l’on ne saurait nier, il existe, à l’autre extrémité de la balance, des arguments de taille plaidant en faveur d’une procédure simplifiée de licenciement au sein de la sauvegarde.
2. Des avantages d’un régime simplifié de licenciement économique au sein de la procédure de sauvegarde
L’exclusion ou tout du moins l’atténuation des obligations du droit commun du licenciement au sein de la sauvegarde présenterait de multiples avantages, quelques uns peuvent être rappelés ici.
D’abord, il faut redire, avec la doctrine autorisée, que la sauvegarde est une procédure de redressement anticipé. En effet, la sauvegarde emprunte un certain nombre de ses principaux traits au redressement (jugement d’ouverture, période d’observation, bilan économique et sociale, plan de continuation), la différence essentielle étant que la sauvegarde suppose nécessairement une absence de cessation des paiements.
En définitive, entre la sauvegarde et le redressement, il existe plus de choses qui les rapprochent que de choses qui les séparent. Par conséquent, rien ne justifie objectivement un traitement différencié des licenciements, selon que l’on est au sein de l’une ou de l’autre des deux procédures.
Afin que la restructuration de l’entreprise puisse être menée à bien dans le cadre de la sauvegarde, il est nécessaire que les procédures de licenciements soient plus rapides et plus souples qu’en droit commun. Par définition, l’entreprise en sauvegarde, même si elle n’est pas encore en cessation des paiements, est loin d’être une entreprise comme les autres, puisqu’elle est aux prises avec des difficultés qu’elle ne peut surmonter seule.
Or, lorsqu’une entreprise est en difficulté ses effectifs sont presque toujours en excès par rapport à ses capacités financières et inadaptés par rapport aux nouvelles exigences du marché, les licenciements deviennent alors un mal nécessaire.
Le maintien des exigences du droit du travail peut ainsi compromettre le sauvetage de l’entreprise en sauvegarde, au point que celle-ci risque de se retrouver finalement en cessation des paiements, relevant alors du redressement voire de la liquidation.
Ensuite, les partisans d’une éviction des exigences du Code du travail mettent en avant le risque de law et de forum shopping au dépend du droit français de l’insolvabilité.
En effet, aux termes du règlement communautaire n°1346/2000 du 29 mai 2000 sur les procédures d’insolvabilité , le tribunal compétent est celui de l’Etat membre sur le territoire duquel se trouve « le centre des intérêts principaux » de l’entreprise à l’égard de laquelle la procédure est ouverte . S’agissant de la loi applicable à la faillite, le règlement donne compétence à la loi d’ouverture de la procédure.
Pour les sociétés et autres personnes morales le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être celui du siège statutaire.
Or, d’aucuns rappellent que les entreprises disposent d’une certaine liberté dans le choix de leur siége social. Le danger est donc de les voir choisir des siéges sociaux hors de l’Hexagone afin de pouvoir bénéficier de législations qui leur seront plus favorables, notamment sur le terrain de la restructuration sociale.
Enfin, et cela transparaît déjà dans les travaux préparatoires de loi du 26 juillet 2005, l’exclusion de tout assouplissement du licenciement économique peut inciter les dirigeants à ne pas demander l’ouverture d’une sauvegarde, mais à attendre la cessation des paiements pour pouvoir se placer sous le redressement judiciaire et bénéficier ainsi du régime dérogatoire en vigueur au sein de cette procédure. Un tel résultat serait évidemment à rebours des objectifs d’anticipations des difficultés que le législateur entend promouvoir.
Conclusion
Au terme de ce survol des forces en présence, sans sombrer dans un relativisme absolu, d’un point de vue théorique, il faut avouer qu’il existe des arguments légitimes tant du côté des contempteurs d’un régime dérogatoire de licenciement dans la sauvegarde que du côté des thuriféraires d’une telle réforme. Pour tenter de les départager peut être est-il opportun de se tourner vers la pratique.
Au regard de la pratique qui se dégage des premières applications de la procédure de sauvegarde, deux remarques peuvent être faites.
D’une part, il semblerait que le risque tant redouté d’utilisation de la sauvegarde à des fins de compression des effectifs ne se soit pas réalisé dans les faits. En effet, les demandes de licenciements effectuées auprès de l’AGS ont été peu nombreuses.
D’autre part, on peut noter que les débuts de la sauvegarde sont timides pour ne pas dire poussifs. Certes, ces premiers résultats doivent être considérés avec prudence s’agissant d’une procédure nouvelle, emportant des innovations considérables, il est nécessaire de lui donner le temps d’entrer dans les mœurs économiques et juridiques. Néanmoins, force est de constater que la relative modestie du nombre de sauvegardes ouvertes déçoit quelque peu au regard des ambitions qui avaient été affichées par le législateur.
Eu égard à ces constations, il semble que les premiers échos de la pratique plaident donc en faveur d’un allégement du régime du licenciement économique au sein de la sauvegarde. Une telle réforme pourrait contribuer à relancer l’attractivité de la sauvegarde, sans que cela ne se traduise forcément par une instrumentalisation de la procédure au dépend de l’emploi. Le projet d’ordonnance serait, en conséquence, bien avisé de revenir sur sa position initiale en supprimant ou au moins en assouplissant les exigences du droit commun du licenciement dans le cadre de la sauvegarde. Une telle évolution, si elle devait avoir lieu, nécessitera toutefois une vigilance de chaque instant de la part du tribunal ainsi que des organes de la procédure, afin d’éviter que la sauvegarde ne soit utilisée comme simple instrument d’ajustement de la masse salariale.
Cheik Galokho
Doctorant en droit privé