La personne sous emprise perd son libre arbitre, son sens critique. Sa personnalité est noyée dans la masse quand elle fait partie d’un groupement sectaire, elle n’existe plus en tant qu’individu. Les personnes sous emprise sombrent dans la honte, la dépréciation de soi et dans la confusion. Elles éprouvent une forte culpabilité. L’emprise provoque des dégâts psychologiques, elle induit de l’anxiété, la dépression, des symptômes psychosomatiques voir la destruction de la personnalité.
Le gourou alimente progressivement sa domination sur sa victime. Le manipulateur a un vrai impact sur l’intégrité psychique et morale de sa victime. Elle est sous un tel contrôle qu’elle ne vit plus sa propre existence. La personne en état de sujétion psychologique n’est pas libre, ni dans ses pensées, ni dans ses gestes. Tout est dicté ou presque par le gourou. Elle n’aura pourtant de cesse de clamer qu’elle est parfaitement libre et qu’elle est maître de ses décisions.
Lorsqu’une personne a été placée sous emprise mentale, la difficulté majeure est de sortir de ladite emprise.
Les proches de cette personne, souvent victimes indirectes, de ce qui se déroule sous leurs yeux, se sentent, à juste titre, particulièrement impuissants, car la personne placée sous emprise mentale n’a pas la même « rationalité ». Ce qu’elle vit est pour elle très logique et conforme à ses attentes mais en vérité, cela contraste fortement avec sa vie avant l’emprise. Cette dernière finira par couper les liens avec ses proches qui deviennent à leur tour les victimes indirectes du manipulateur.
La loi récente n°2024-20 en date du 10 mai 2024 visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes, publiée au JORF le 11 mai 2024 a été établie avec la volonté d’aider les victimes d’emprise mentale.
Cette loi a vocation à consacrer les pouvoirs et le rôle de la mission interministérielle chargée de la mise en œuvre de la politique de prévention et de lutte contre les dérives sectaires, et à faciliter et renforcer les poursuites pénales.
C’est ainsi que la section relative à l’infraction « de l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse et de la sujétion psychologique ou physique » (articles 223-15-12 à 223-15-5 du Code pénal), infraction communément nommée « abus de faiblesse », a été complétée par cette loi. Cette infraction est particulièrement visée dans les chefs de prévention des dossiers relatifs aux victimes de dérives sectaires.
L’objet de notre étude est d’examiner la situation d’une personne dès sa sortie d’emprise et le chemin qu’elle va parcourir pour sa reconstruction. En effet, une fois que la victime se rend compte des dégâts causés par l’emprise tant chez elle qu’auprès de ses proches, se pose la question : comment vivre après l’emprise ?
Nous étudierons dans un premier temps, la sortie de l’emprise d’une victime de dérive sectaire (I), avant de voir dans un second temps, la reconstruction de la victime après l’emprise sectaire (II).
I. La sortie de l’emprise d’une victime de dérive sectaire.
L’emprise, qu’elle soit psychologique ou relationnelle, s’installe progressivement et insidieusement. Elle est un mélange entre manipulation, chantage et dépendance affective et c’est la raison pour laquelle il est si difficile d’en sortir.
Personne ne peut dire ou prédire quand la victime directe sortira d’une emprise mentale liée à une dérive sectaire.
L’emprise peut durer quelques semaines, mois, années, plusieurs décennies, voire toute une vie. De sorte qu’il n’est pas possible de savoir ce qui va permettre à une victime de sortir d’emprise. Chaque individu peut avoir un déclic pour une raison totalement différente du déclic provoqué chez une autre personne.
Pour certaines victimes rencontrées, le fait qu’une simple plainte soit déposée contre le gourou par un ancien membre et d’être entendues par les services enquêteurs provoquait chez elles le déclic -comme ce fut le cas dans une affaire examinée par la Cour d’Assises du Val d’Oise (Arrêt criminel en date du 22/10/2019 N°18/0022)- alors que pour d’autres, même une condamnation définitive du gourou par une juridiction n’ouvrait pas les yeux des adeptes. Pour une autre victime encore, le fait d’entendre le cœur du fœtus battre alors que le gourou dont elle était enceinte et qui lui demandait d’avorter conduisait au déclic -comme dans l’affaire dite « Zeus » où le gourou a été condamné en première instance (Arrêt criminel de la Cour d’Assises de la Gironde N°2022/30, culpabilité confirmée par un Arrêt criminel de la Cour d’Assises de la Dordogne le 26 mars 2024) - alors que d’autres victimes allaient jusqu’à commettre des actes délictuels (Jugement du Tribunal correctionnel de Libourne en date du 05/1016 N°14170000001) ou criminels à la demande du gourou et n’ouvraient aucunement les yeux en dépit de la violence de leurs actions.
Ainsi, il n’est pas possible de dire ce qui va engendrer la sortie d’emprise pour tel ou tel adepte.
Inutile de vouloir faire changer le gourou il est dans le déni de ses conduites hautement toxiques. La victime peut avoir un déclic ou pas mais quoiqu’il en soit elle va avoir besoin d’aide. L’entourage quand c’est possible peut l’accompagner dans un processus de prise de distance pour pouvoir les aider à partir.
Dans ce genre de situation, la meilleure attitude que la famille et les proches doivent adopter c’est de ne rien forcer. Il faut montrer que l’on est présent et surtout ne pas juger sa situation. Seule la victime pourra se débarrasser des liens qui l’unissent à son bourreau.
Nous constatons que certains comportements ne favorisent pas la sortie d’emprise et accentuent le lien néfaste entre le gourou et la victime. Cela sera le cas, lorsque le gourou est directement ou indirectement critiqué par les proches de la victime.
Il faut comprendre que la sortie d’emprise est d’une violence inouïe pour celui qui la vit. La victime se rend soudainement compte qu’elle a été abusée sur de nombreux plans (financiers, familiaux, sexuels…) et comprend qu’elle n’a plus eu le contrôle de sa vie tout le temps où elle a été placée sous emprise, comme si elle se réveillait d’un coma où elle a été pourtant acteur sans rien contrôler et en « acceptant » de se faire abuser. Le sentiment de honte est immense.
Se libérer de l’emprise n’est pas chose aisée. Il faut tout d’abord rompre tout lien avec son gourou. Par la suite, c’est en prenant conscience de sa dépendance affective, du traumatisme vécu et se reconnaître comme victime qui permettra de se libérer de l’emprise.
La victime pourra tenter de mettre fin à ses jours, subir une dépression, ne plus savoir comment vivre dans le quotidien. Elle sera partiellement ou totalement désorientée dans le temps et l’espace et certaines peuvent avoir de nombreux trous noirs.
Dans ce contexte, peu sont celles qui déposent plainte juste après avoir eu ce déclic.
Pourtant le dépôt de plainte est important pour sortir totalement de l’emprise, car le gourou et les adeptes seront toujours tentés de faire taire la victime qui s’est réveillée. Les groupements sectaires n’hésitent pas à faire couper tous les liens avec les autres adeptes, y compris si ces derniers sont membres de la même famille que celui qui est sorti du groupe. Certaines victimes supporteront des menaces, du chantage et dans les cas les plus extrêmes, l’ancien adepte sera poussé au suicide, ou il sera directement attenté à sa vie par un ou plusieurs membres du groupe.
La victime peut déposer plainte seule ou être accompagnée d’un avocat (article 10-4 du Code de procédure pénale) auprès d’un service de police ou de gendarmerie. Son Conseil peut aussi être rédacteur de la plainte adressée au Procureur de la République et pourra procéder à une plainte avec constitution de partie civile.
L’avocat peut aussi assister la victime lors de la confrontation avec le gourou (article 61-2 du Code de procédure pénale).
La victime, tout au long de la procédure et dès le dépôt de plainte, pourra remettre aux services enquêteurs des éléments de preuve démontrant l’emprise exercée sur elle (SMS, mails, courriers, vidéos, photographies, liste des personnes qui ont pu être témoins des faits, etc).
Le dépôt de plainte peut donc être un moyen de protéger la victime en espérant que la justice fasse son œuvre, à savoir en la protégeant soit en ordonnant un contrôle judiciaire que doit respecter le gourou avec une interdiction d’entrer en contact avec telles ou telles parties, soit en plaçant le gourou en détention provisoire.
Se sortir d’emprise, c’est d’abord se protéger et « se mettre à l’abri ». Il est donc essentiel a minima que le gourou est une interdiction d’entrer en contact avec le plaignant.
Même si le gourou ne respecte pas son contrôle judiciaire, la violation de celui-ci pourrait lui coûter sa liberté.
La victime peut parallèlement se faire accompagner par une association d’aide aux victimes et peut réaliser, y compris avec le concours de son avocat, un signalement auprès de la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires). En effet, cette dernière est susceptible d’avoir reçu d’autres signalements s’agissant du gourou visé et peut donc aider les enquêteurs dans leur travail de recueil des témoignages notamment.
La sortie d’emprise puis la reconstruction de la victime passe par un arrêt total des liens avec le gourou, ce à quoi une interdiction d’entrer en contact peut aider.
II. La reconstruction de la victime après l’emprise sectaire.
Même si obtenir réparation de la justice pour les victimes est primordial se remettre d’une emprise psychologique est un travail de longue haleine. Les dégâts psychologiques causés sont considérables et peuvent aller jusqu’à la dépression, les conduites addictives voir le suicide.
La victime va devoir reconstruire son âme, sa vie. C’est un énorme travail de se débarrasser des peurs et des violences subies. La victime doit pouvoir se retrouver et retrouver ses repères dans la réalité.
Lorsque la victime est prête à sortir de l’emprise, les proches doivent être présents et se montrer très patients. La victime aura besoin d’écoute et de temps. Son entourage l’aidera tout doucement à reprendre une vie sociale en lui proposant des activités. La famille apportera une présence affective en renvoyant une image positive à la victime. L’entourage sera aidant en reconnaissant son statut de victime.
L’aide de l’entourage sera bénéfique mais insuffisant pour que la victime puisse se reconstruire. Proposer une aide psychologique est la meilleure chose à faire car dans ce genre de situation rien ne remplace un professionnel et deux aides valent mieux qu’une. Il est alors fondamental qu’elle soit accompagnée tant sur le plan psychologique que juridique.
Une aide thérapeutique aidera à reconstruire une image de soi malmenée par ce type de relation. C’est le manque de confiance en soi et en ses capacités qui peut par moment nous faire tomber dans les filets des manipulateurs. Travailler sur soi, se reconstruire c’est aussi nous donner la possibilité de ne plus tomber dans les mailles du filet.
Dans tous les cas, la victime fera son propre chemin vers sa reconstruction. Elle sera parsemée d’embûche entre désorientation, culpabilité, apathie, colère... C’est un long parcours qui attend la victime pour se reconnecter avec son soi et sa force de vie. Même si ce parcours thérapeutique sera difficile et long - des mois voire des années - il n’empêche qu’il sera le travail d’une reconstruction où l’on panse ses blessures, où l’on se reconstruit pour que la vie reprenne le dessus. Il nous fera sortir plus fort et apaisé.
En dépit de nos propos, sur le plan juridique, il reste difficile pour la victime d’espérer que la justice l’aide à se reconstruire après un tel « viol psychique ».
À bien des égards, la victime se sent totalement démunie et ne comprend pas le fonctionnement de la justice chez qui, elle trouve le plus souvent une certaine forme de violence.
En effet, la répétition du vécu par la victime auprès des enquêteurs et des magistrats est très douloureux. Elle a l’impression de vivre sans cesse la situation et de ne pas couper les liens avec le gourou auprès duquel elle sera tôt ou tard confrontée. Elle pourra également être confrontée auprès des autres membres du groupe qui se comporteront en véritables bras droit du gourou et le soutiendront sans faille. Autrefois « amis » avec la victime, ils deviendront des ennemis haineux à son encontre.
La procédure juridique ne permettra pas à la victime de se reconstruire sur un plan psychologique, mais cela permettra tout de même de reconnaitre la partie civile comme victime et de signifier à celle-ci que non elle n’est pas folle, que ce qu’elle a vécu est malheureusement bien réel.
La procédure juridique peut aussi permettre d’obtenir des dommages et intérêts en réparation des divers préjudices subis (perte d’emploi, dépouillement financier au profit du gourou et/ou de la communauté, suivi psychologique et/ou psychiatrique après l’emprise, remboursement des frais de procédure …).
L’avocat sollicitera pour le compte de la victime la réparation de son préjudice et aidera sa cliente à chiffrer les divers postes de préjudices, que cela concerne des préjudices patrimoniaux ou extra-patrimoniaux, en demandant par exemple des expertises médico-légales, des expertises comptables.