En 2015, avant même l’ouverture de leur restaurant à Dijon, des restaurateurs ont eu la surprise de découvrir un commentaire sur leur nouveau profil TripAdvisor [1].
En 2019, une dentiste saisit le Tribunal de Grande Instance de Paris afin de voir supprimer son profil Google Business après la lecture d’avis qu’elle considérait comme dénigrants.
Trustpilot, le site d’information référence en matière d’avis sur les sociétés est lui-même, sur des forums de consommateurs (netlitiges.com), sujet de topics, les décrivant comme protégeant des faux avis ou des avis trompeurs.
Or, les avis publiés sur internet ont une influence directe sur la réputation des entreprises, qui se répercutent sur leur clientèle et leur chiffre d’affaires.
80% des acheteurs en ligne parcourent les avis afin de prendre une décision d’achat ; c’est dire l’importance d’une information sincère.
Les avis du net.
On peut considérer que les avis se classent en trois types :
1. Les avis positifs, qui ne feront pas l’objet de commentaires dans cet article ;
2. Les avis faux, dénigrants, malveillants ou simplement négatifs ;
3. Les avis issus d’un litige avec le prestataire, le suivi et la résolution de ce litige, ainsi que la permanence des litiges résolus sur la page web.
I. Les avis faux, malveillants ou simplement négatifs.
La lutte contre « l’avis négatif » est la priorité pour tout e-commerçant, mais aussi pour tout commerçant.
Comment les vérifier, les supprimer, les modérer ?
La première étape appartient à l’entreprise de notation elle-même, mais elle ne semble pas suffisante. Pour preuve, le groupe Expedia (dont TripAdvisor) a été condamné en 2011 pour pratiques déloyales devant le Tribunal de Grande Instance de Paris [2].
Le site a également été condamné par l’autorité de la concurrence italienne à une amende de 500.000€ à cause de commentaires faux [3].
Google est également régulièrement assigné s’agissant des profils Google Business par des professionnels (décision du Tribunal de Grande Instance en 2019) notamment [4]. Et il s’agit là simplement d’exemples, le phénomène des faux avis ou des avis dénigrants touchant l’intégralité du secteur.
Au plan légal, la DGCCRF est compétente, et s’appuie sur la norme NF Z74-501 mise en place par l’AFNOR [5]. Celle-ci renforce le contrôle des avis postés en obligeant à une vérification de l’origine du service ou du produit critiqué. Ce renforcement est de pur convenance, puisqu’il procède plus par recommandations que par véritable contrôle.
Force est de constater que les seuls acteurs à l’origine ou susceptibles de modifier l’avis, et même de considérer son caractère dénigrant, faux ou obsolète, sont les grands du net tel que TripAdvisor, Trustpilot ou encore Google.
On pourrait s’interroger sur l’intervention des pouvoirs publics aux fins de contrôle, de normes, ou de sanctions. En France, seule la sanction judiciaire par les procédures de droit commun reste envisageable.
Le premier obstacle tient au fait que ces acteurs ne sont encadrés par aucune législation pertinente du fait de leur caractère international.
Les pouvoirs publics leur laisse donc carte blanche concernant les situations évoquées afin de mettre en place leur propre justice privée, comme c’est par exemple le cas pour TripAdvisor.
II. Les modes de règlement amiable : mis en place par TripAdvisor.
Notons tout d’abord que conformément à l’article 6.4 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), toute personne désignée ou nommée sur un site internet dispose d’un droit de réponse.
La réponse du professionnel sera donc visible pour les utilisateurs à la suite du commentaire litigieux. Cependant, l’avis reste inchangé, son impact négatif reste donc le même.
Dans un second temps, le professionnel pourra signaler à TripAdvisor le commentaire en question : dans un encadré limité à 500 caractères, il pourra décrire sa situation.
Ce signalement sera analysé par le site lui-même puis le commentaire sera supprimé ou non. La politique du site est totalement opaque pour les utilisateurs.
TripAdvisor a mis en place une adresse e-mail. Le professionnel doit envoyer à cette adresse sa demande. Cette solution est la dernière alternative proposée, sans aucun retour du site.
Le géant du tourisme affirme avoir plus de 300 employés disponibles 24h/24 et 7 jours sur 7 ayant pour objectif de traquer les faux commentaires et les comportements suspects [6].
Les employés en question sont directement employés par le site internet : il ne s’agit donc pas d’une agence indépendante.
TripAdvisor a mis en place un système volontairement obscur pour la gestion des avis dont il est le seul maître.
TripAdvisor vend en outre des abonnements aux professionnels du tourisme qui mènent à favoriser et mettre en avant leurs services plus que les autres.
On peut d’ailleurs s’interroger, puisque aujourd’hui TripAdvisor a une adresse en France, sur l’absence de mentions légales concernant cette filiale.
Il convient d’observer que ce problème d’adresse est une volonté commune des sites ne voulant pas rendre de comptes, notamment à la justice française.
III. Alors, sites commerciaux ou sites indépendants, on peut légitimement douter de la loyauté des informations fournies.
TripAdvisor a été condamnée en France en 2011 pour pratique commerciales trompeuses [7].
TripAdvisor était à l’origine un site bien connu qui proposait des avis sur des voyages. La société TripAdvisor a été rachetée par Expedia, le géant du voyage, qui s’en est par la suite débarrassée après que TripAdvisor ait été notamment en 2011, condamnée en France pour pratique déloyale.
Le juge a estimé que : « l’information donnée aux internautes, selon laquelle certains hôtels étaient complets, alors que ce n’était pas le cas en réalité, et le fait de renvoyer les clients vers un autre hôtel ; hôtel partenaire payant du site, constituait une pratique déloyale et trompeuse. »
Aujourd’hui, Expedia et Priceline (booking.com) ont formé une association gigantesque qui couvrirait 95% des demandes de voyages.
Or, TripAdvisor a mis en place une plateforme similaire, TripConnect, qui a réuni de grandes chaînes hôtelières, dont Accor.
De fait, cette dualité : d’un côté vendeur, et d’un autre organisme de notation, pose bien évidemment des questions s’agissant de l’impartialité.
Idem pour Google qui vend d’un côté un service de publicité incontournable : ad word, et d’un autre côté met en ligne le profil business d’entrepreneur ou de profession libéral en utilisant les données personnelles de ces derniers sans aucun consentement (TGI Paris, 6 avril 2018, Monsieur X. / Google France et Google LLC) [8].
Enfin, Trustpilot qui se veut le chantre du consommateur et espace d’échange sur les sociétés et leurs services, propose un système « d’optimisation » des avis payants. La société propose trois différentes formules payantes.
Cette double casquette qui est a priori choquante, l’est forcément plus quand on oblige aimablement le professionnel à s’abonner afin de pouvoir répondre aux avis présents sur sa page : ces sites ont mis en place des abonnements spéciaux pour les professionnels.
On comprend que ces entreprises veulent garder la maîtrise des avis.
Le système toutefois manque d’efficacité au regard des statistiques de la DGCCRF, puisque environ 35% des avis sont suspicieux [9]. Il existe même des spécialistes de la vente de faux commentaire sur Internet (tel que acheter-des-avis.com ou acheter-des-fans.com).
Aujourd’hui, la législation française punit la publication de faux avis. L’article 121-1 du Code pénal classifie la publication de faux commentaires comme relevant de la pratique commerciale trompeuse puisque repose « sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur ». La pratique commerciale trompeuse peut être punie d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 37 500 euros. Ce texte de loi ne peut s’appliquer qu’aux personnes morales, ou personnes physiques affiliées à une personne morale.
Le commerçant doit-il se tourner vers l’action judiciaire de droit commun ?
On peut d’abord se demander pourquoi la justice privée ne fonctionne pas dans ces situations où les professionnels se retrouvent face à des faux avis. Concernant cette première question, la présence du grand nombre de requêtes est le premier et majeur facteur mettant à mal cette justice privée. Ces sites sont dans l’incapacité évidente de faire le tri entre les vrais et les faux avis.
Pourquoi existe t-il aussi peu de jurisprudences en France ?
Cela tient au caractère international des sociétés :
1. Absence de personnalité juridique en France : ces grandes sociétés ont la volonté d’échapper à la loi et ont donc pour la plupart aucune représentation en France.
En France, la personnalité juridique est un statut qui confère les droits et les devoirs. La personnalité juridique se définit donc comme l’aptitude à être titulaire de droits et à être soumis à des obligations.
La personnalité juridique d’une société (donc d’une personne morale) débute avec l’immatriculation de celle-ci au Registre du Commerce et des Sociétés (R.C.S.). Les sociétés qui ne sont pas donc pas domiciliées en France ne peuvent pas être enregistrées au registre du commerce, et ne possèdent donc pas de personnalité juridique en France. C’est par exemple le cas de la société Trustpilot.
2. Les juridictions françaises font face à des contentieux mettant en jeu ces géants du net.
La Cour d’appel de Versailles a rendu une décision à propos de ce sujet en date du 22 novembre 2018 [10]. Suite à un commentaire jugé diffamatoire, le demandeur (propriétaire d’un restaurant) assigne la société TripAdvisor afin de faire retirer celui-ci.
La Cour d’appel statuera en attribuant une clause attributive de compétence au profit du tribunal du Massachusetts aux Etats Unis, puis, à titre subsidiaire, du tribunal de grande instance de Paris. Cette incompétence prononcée est discutable puisque les faits se déroulent en France, et les victimes françaises n’ont pas forcément les moyens d’assigner la société aux Etats-Unis. Cette décision démontre l’incompétence évidente des juges dans ce types d’affaires.
L’impossibilité de les atteindre est un véritable obstacle, et explique une apparente absence de contentieux. C’est par exemple le cas de l’entreprise Trustpilot qui a une activité commerciale en France (elle vend des services à des sociétés françaises) mais qui est domicilié au Danemark. La société danoise génère donc des revenus en France sans y payer d’impôts.
Concernant TripAdvisor, bien que le site ait une adresse en France, il invoque systématiquement le caractère d’extranéité résultant du siège de la maison mère aux Etats-unis pour ne pas répondre à la justice française.
De même, Google utilise la même stratégie transnationale afin de s’exonérer aisément d’une quelconque responsabilité ou même d’une simple demande d’explication.
Le justiciable se trouve donc dans l’impossibilité de fait d’assigner en justice puisque les demandes internationales sont extrêmement complexes et onéreuses à mettre en oeuvre.
A titre d’exemple des difficultés rencontrées, deux espèces similaires sont venues devant le TGI de Paris en 2018 et en 2019 concernant Google business. Celles-ci démontrent la difficulté d’appréciation du critère national ou international.
Dans la première affaire, en date du 6 avril 2018, sur le fondement de la protection des données personnelles résultant de la loi LCEN, mais aussi sur le fondement de l’article 226-18-1 du code pénal, Google LLC soit la maison mère a été condamnée pour trouble manifestement illicite.
La société Google France a été mise hors de cause sur une argumentation maladroite du juge qui demande, renversant ainsi la charge de la preuve, au demandeur de prouver le mandat entre Google france et Google LLC.
De même, le juge s’attache aux conditions générales du site pour en exciper la compétence de Google LLC.
Or, les conditions générales de Google forment un contrat d’adhésion qu’il est impossible de modifier, et leur acceptation ne peut se faire qu’en totalité.
Elles ont d’ailleurs fait l’objet d’une procédure pour clause abusive.
C’est pourquoi en avril 2019, l’argumentation du juge de la même chambre reprend la solution de mettre hors de cause Google France.
Toutefois, dans la première espèce, Google est condamnée au terme du droit d’opposition de chacun à l’utilisation de ses données.
Dans la seconde, le juge met en avant le caractère public des données du professionnel et en tire la conséquence suivante : le professionnel ne peut s’opposer à la publication de données considérées comme publiques par le juge et ne peut demander la suppression des avis ou commentaires sur le profil Google Business suivant le principe de la liberté d’expression.
Le tribunal affirme que :
« toute information qui permet l’identification d’une personne physique, comme ses nom et prénom, son adresse ou son numéro de téléphone, est constitutive d’une donnée à caractère personnel. La circonstance que de telles données soient relatives, comme en l’espèce, à l’activité professionnelle de la personne en question est donc sans incidence sur cette qualification, dès lors qu’elle est désignée ou rendue identifiable, la notion n’étant pas restreinte, contrairement à ce que soutient la défenderesse, aux seules informations relatives à la vie privée » [11].
Il est évident que cette décision renforce la justice privée opérée par les acteurs d’internet eux-mêmes, le juge semblant ne pas vouloir interférer.
Cette situation est pourtant particulièrement inquiétante puisqu’il a été rappelé l’importance des avis laissés sur internet, le double jeu des acteurs de ce secteur et la fragilité des entreprises soumises à ces commentaires.