"À travers les murs" : quand la réinsertion passe par l'éloquence.

Extrait de : Du Droit... au Care.

"À travers les murs" : quand la réinsertion passe par l’éloquence.

Propos recueillis par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice

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C’est une histoire de transmission, celle d’étudiants en droit, devenus formateur en éloquence, et qui ont envie de rendre utile ce savoir, au-delà des murs de leurs universités, en passant ceux des prisons. L’association À travers les murs, fondée en 2020, propose à ce titre des formations de prises de parole en milieu carcéral. Une expérience à double sens entre étudiants et détenus, au-delà des préjugés. Ses formateurs bénévoles, sous la houlette d’Ilan Volson-Derabours qui a imaginé cette belle idée, nous confient ici l’état d’esprit qui les anime.

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Village de la Justice : Quelles sont vos motivations à vous confronter à ce milieu ? Qu’en retire-t-on en tant que juriste, ou tout simplement humainement ?

À travers les murs : « Notre motivation première et commune consiste en l’envie d’être utiles. Nous avons tous énormément appris au gré de divers concours d’éloquence et sommes désireux de transmettre. Parce que nous sommes convaincus que la réinsertion est une quête extrêmement complexe sans la maîtrise de l’éloquence et de la rhétorique. Savoir se présenter devant un employeur, un magistrat, une administration, savoir débattre et argumenter, savoir écouter et réfuter, se sentir à l’aise avec soi-même, avec sa voix, avec son expression corporelle, avec ce que l’on renvoie à l’autre, valoriser sa propre parole et être capable d’en user comme un vecteur d’extériorisation des émotions et des ressentiments sont autant de leviers que nous essayons de développer à travers nos enseignements.

« La prise de parole en public confine à l’intime et à l’estime de soi, souvent réduite à néant par l’incarcération. »

De plus, l’association étant majoritairement constituée d’étudiants en droit, d’élèves-avocats et d’auditeurs de justice, nous retirons de nos ateliers une expérience assez unique d’appréhension concrète du monde carcéral. D’autant qu’en intervenant dans les bâtiments, souvent à deux pas des cellules, nous pénétrons dans l’intimité des prisons, là où peu vont, même chez les professionnels du droit. Il s’ensuit une expérience humaine indicible, notamment avec le suivi, semaine après semaine, d’un même groupe. Cela nous permet de constater les progrès, certes, mais aussi les doutes et les échecs. La prise de parole en public confine à l’intime et à l’estime de soi, souvent réduite à néant par l’incarcération. »

VJ : Comment se préparer à cela (sur le fond comme sur la forme) ?

ATLM : « Tout d’abord, en ayant une expérience en tant que formateur à l’éloquence et à la rhétorique en milieu ouvert. C’est notre premier critère de recrutement des bénévoles. Ensuite, malgré les formations internes que l’on propose à nos intervenants, la véritable étape est la première entrée en prison, le premier cours dispensé. Ce lieu fait l’objet de tellement de fantasmes et de représentations erronées que sa première approche est toujours un moment unique, qui permet de déconstruire bien des idées reçues.

Sur le fond, nous avons travaillé pour adapter la discipline de l’éloquence au monde carcéral et à ses besoins. Aussi, notre pédagogie est toujours évolutive, à la faveur des retours que les personnes suivies nous formulent et des pistes d’amélioration que nous identifions. »

Une partie de l’équipe de À travers les murs durant une formation en prison. (Crédit-photo : Benjamin Girette pour Le Monde)

V.J : Quels sont vos besoins pour que l’association progresse ?

ATLM : « Le premier levier de l’élargissement de notre action demeure l’aspect financier. Nous avons fait le choix idéologique de ne pas être subventionnés par le ministère de la Justice ni par les établissements pénitentiaires où nous intervenons. En effet, nous avons toujours souhaité contribuer aux politiques de réinsertion sans jamais constituer une charge, tant on sait que ces dernières sont peu dotées. Toutefois, l’expansion de nos activités sur l’ensemble du territoire français (et même en dehors) suppose un investissement financier conséquent, raison pour laquelle nous cherchons activement des partenaires et nous nous portons candidats à des prix, à l’instar de la 2ᵉ édition du Prix Olivier Cousi organisé par le Barreau de Paris en ce moment.

« Un des enjeux de notre développement est la confiance qui doit nous être accordée et renouvelée régulièrement par les administrations pénitentiaires locales. »

L’autre enjeu de notre développement est la confiance qui doit nous être accordée et renouvelée régulièrement par les administrations pénitentiaires locales. C’est un travail quotidien, tant il s’agit d’une administration singulière, souffrant considérablement du manque de moyens humain et financier. Nos réussites locales permettent notre élargissement, mais le lien est toujours ténu. Dès lors, toutes les perspectives institutionnelles que nous entrevoyons sont bienvenues et constituent des gages de pérennité de notre action. »

Vous êtes donc présents en région ?

ATLM : « Nous avons d’ores et déjà plusieurs antennes régionales et sommes très actifs sur ce point ! En plus de nombreux établissements en Île-de-France, nous sommes actuellement implantés à Bordeaux ainsi que sur l’Île de la Réunion et nous interviendrons très prochainement à Lille, Lyon, en Corse et même à Bruxelles. Nous sommes régulièrement contactés pour travailler sur une implantation dans de nouvelles prisons et nous accompagnons toujours ce développement avec fierté et enthousiasme. »

L’association À travers les murs est reconnue d’intérêt général. Vous trouverez toutes les informations sur son fonctionnement ici.

Propos recueillis par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice

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