I. Rappel du cadre législatif.
L’interprofessionnalité dans les professions libérales réglementées a connu une évolution progressive.
La loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite « loi Macron », a permis la création des SPE, offrant un cadre pour l’exercice en commun de plusieurs professions réglementées du droit et du chiffre. À cette époque, seules neuf professions pouvaient y être exercées en commun : avocat, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, commissaire-priseur, huissier de justice, notaire, administrateur judiciaire, mandataire judiciaire, conseil en propriété intellectuelle et expert-comptable.
Cette initiative visait à renforcer la compétitivité des professions libérales face à la concurrence, notamment européenne. L’interprofessionnalité est en effet déjà pratiquée depuis longtemps au Royaume-Uni (depuis 1990 puis 2007 avec le Legal Services Act) ou en Allemagne (depuis 1990).
L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 a poursuivi cette dynamique en unifiant les règles relatives à l’exercice en société des professions libérales réglementées. Elle a posé les bases d’une réforme se voulant plus cohérente et harmonisée, nécessitant des décrets d’application pour sa mise en œuvre :
- décret n° 2024-872 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession d’avocat [1],
- décret n° 2024-873 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de notaire [2],
- décret n° 2024-874 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de commissaire de justice [3],
- décret n° 2024-875 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de greffier de tribunal de commerce,
- décret n° 2024-876 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation [4].
L’ordonnance du 8 février 2023 a également ouvert le champ des professions incluses dans le spectre de la SPE en y intégrant les commissaires aux comptes et les géomètres experts. Les huissiers et commissaires-priseurs ont été refondus dans la profession de commissaire de justice.
Le décret n°2025-131 du 13 février 2025 est ainsi venu compléter la liste des décrets d’application de l’ordonnance du 8 février 2023, pour l’application du régime des SPE ainsi que des SPFPL PP.
II. Les apports mineurs du décret n°2025-131 du 13 février 2025.
Le décret du 13 février 2025 reprend à droit constant le régime antérieur, notamment celui du décret n°2017-794 du 5 mai 2017. Les apports sont mineurs mais nécessaires :
- il intègre les professions de commissaire aux comptes et de géomètre-expert et fait désormais la mention unique de « commissaire de justice » (résultant de la fusion des professions d’huissier et de commissaire-priseur). Les SPE peuvent ainsi s’ouvrir au foncier et au contrôle des comptes, comme l’ordonnance du 8 février 2023 l’avait déjà prévu. Le décret intègre donc, dans ses différents articles, les mentions nécessaires à l’inclusion de ces deux nouvelles professions.
- il unifie les textes applicables aux différentes professions pouvant être pratiquées par la SPE, en abrogeant le décret n°2017-794 du 5 mai 2017 ainsi que 7 autres décrets sectoriels [5]. Cela permet d’avoir un corpus unique pour les SPE, constitué de l’ordonnance du 8 février 2023 et du décret du 13 février 2025.
- le décret fixe le 1ᵉʳ mars de chaque année comme date limite du reporting annuel prévu par l’article 100 de l’ordonnance du 8 février 2023 [6]. Concrètement, la SPE doit transmettre : la répartition du capital et des droits de vote, ses statuts à jour et toute convention de gouvernance modifiée durant l’exercice. Cette obligation est également imposée pour les SPFPL pluriprofessionnelles [7].
Depuis l’ordonnance du 8 février 2023, ce reporting s’impose à l’ensemble des structures d’exercice et aux SPFPL.
- le décret autorise les SPFPL PP à détenir des parts ou actions de sociétés commerciales constituées sous forme de SA, SAS, SARL et SCA, exerçant des activités accessoires que les professionnels détenant la SPFPL PP sont autorisés à exercer, conformément aux règles applicables à chacune de leurs professions.
L’ordonnance du 8 février 2023 prévoyait déjà cette possibilité d’ouverture par décret, désormais actée : on peut, par exemple, créer une SPFPL PP réunissant experts-comptables, CAC, notaires et avocats, détenant une SEL d’avocats dans laquelle ils n’exerceraient pas et investissant dans une SAS de legaltech (formation juridique et comptable en ligne, logiciels d’aide à la rédaction juridique, développement d’outils d’IA documentaire, ou autre).
Ces apports permettent de mettre en musique l’ordonnance du 8 février 2023.
L’ensemble des autres dispositions du décret étaient déjà précisées dans les textes antérieurs [8] et ne sont pas modifiées par ce nouveau décret.
III. Le régime et les opportunités des SPE et SPFPL PP ensuite de l’ordonnance du 8 février 2023 et du décret du 13 février 2025.
Il existe aujourd’hui plusieurs types de structures d’exercice capitalistiques pour les professionnels des PJJ :
- la SCP, structure la plus ancienne créée par la loi n°66-879 du 29 novembre 1966,
- les SEL, créées par la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990,
- les SPFPL, également créées par la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990,
- les SPE, créées par la loi n°2015-990 du 6 août 2015 (loi « Macron »).
Parmi ces structures, la SPE est la seule qui permet l’exercice de plusieurs PJJ au sein d’une même structure. Les SPE permettent de réunir des PJJ en capital et en exercice.
Toutes les autres sociétés ne permettent l’exercice que d’une seule activité juridique ou judiciaire (dans leur objet social), bien que les SEL puissent désormais être détenues par tout professionnel exerçant une PJJ, directement ou indirectement via une SEL ou une SPFPL. L’ouverture se fait dans ce cas uniquement au niveau du capital social, ce qui entraîne toutefois une collaboration de fait dans la vie de la société (par exemple lors des AGOA ou au niveau de la gouvernance).
C’est une opportunité évidente d’investissement et de développement des marchés du droit, du chiffre et du foncier, bien que la SPE et la SPFPL PP soient encore minoritaires sur ces marchés. Les professionnels, notamment du droit, sont réticents à envisager de telles associations en raison de questionnements déontologiques (secret professionnel, conflit d’intérêt) et d’une habitude marquée pour les structures mono professionnelles.
La SPE implique une organisation assez stricte des relations entre les professionnels exerçant en son sein, puisque chaque professionnel doit appliquer la réglementation de sa profession. L’ordonnance du 8 février 2023 et le décret du 13 février 2025 viennent toutefois rappeler certaines bases de cette collaboration, qui étaient déjà prévues par les textes antérieurs :
- un contrat écrit avec chaque client doit être établi en précisant les éléments suivants :
- le client doit être informé de toutes les prestations que la SPE peut lui fournir en précisant qu’il reste libre de choisir les prestations qui lui conviennent. Le client choisit les professionnels auxquels il confie ses intérêts [9] et leur identité doit être indiquée dans le contrat [10].
- le secret professionnel peut être partagé entre les professionnels de la SPE si le client y consent par écrit [11]. Les informations communiquées ainsi que l’identité de la personne à qui ces informations sont confiées sont également inscrites par écrit. Le client reste libre d’y renoncer à tout moment.
- pour éclairer le client, les mentions de l’article 26 du décret du 13 février 2025 doivent être reproduites dans le contrat.
- les statuts de la SPE doivent contenir des stipulations propres à garantir l’indépendance dans l’exercice professionnel des associés, collaborateurs et salariés ainsi que le respect des règles applicables à chaque profession exercée par la SPE [12]. Cela implique un travail de fond, avec un regard pratique, dans l’établissement des statuts.
- tout conflit d’intérêt susceptible de naitre doit être signalé par chaque professionnel exerçant au sein de la SPE dès qu’il en a connaissance [13].
- les comptes annuels de la SPE doivent contenir une comptabilité distincte pour chaque profession exercée. S’il existe plusieurs offices relevant de la même profession, une comptabilité par office [14].
- les dirigeants doivent être des associés exerçants. Il faut se référer à l’ordonnance du 8 février 2023 sur ce point, en fonction de la forme adoptée par la SPE [15].
Ces lignes directrices sont utiles ; il reste néanmoins indispensable de préciser, via des conventions (statuts, pacte d’associés, etc.), la gouvernance, la sortie des associés, ou la valorisation des titres notamment. En pratique, l’organisation doit être pensée et calibrée par les associés exerçants (en effet, la SPE peut être détenue par des professionnels non exerçants, dès lors qu’ils réalisent, au sein de la société ou en dehors, l’une des PJJ et exercées en commun au sein de la société - la détention peut être directe ou indirecte via une SPFPL).
Outil de holding désormais accessible à plusieurs métiers, la SPFPL pluri-professionnelle (SPFPL PP) permet quant à elle de fédérer les PJJ au sein d’une même structure capitalistique ; elle peut ainsi prendre, seule ou avec d’autres associés, des participations croisées - majoritaires ou minoritaires - dans plusieurs SEL complémentaires ou dans des SPE. Grâce au décret du 13 février 2025, ces holdings peuvent financer des croissances externes par effet de levier (les intérêts d’emprunt restent fiscalement déductibles) tout en faisant remonter des dividendes quasi exonérés via le régime mère-fille ou, le cas échéant, l’intégration fiscale.
Concrètement, la SPFPL PP ouvre la voie à des groupes pluri-services capables d’investir simultanément dans une SEL d’avocats, une legaltech, une SCI propriétaire de leurs murs ou une société de back-office commun, sans sacrifier le contrôle professionnel exigé par la réglementation.
Le décret du 13 février 2025 vient confirmer la convergence des pratiques du droit, du chiffre et du foncier. Cette réforme, initiée par l’ordonnance du 8 février 2023 ouvrira à terme des possibilités de croissance externe, mais exigera une gouvernance contractuelle et pratique irréprochable pour gérer les conflits d’intérêts et préserver le secret professionnel.