I. Le contexte juridique et factuel de l’affaire.
A. Le cadre légal restrictif de la publicité pour les boissons alcooliques.
L’article L3323-4 du Code de la santé publique, issu de la loi Evin, pose un principe fondamental : la publicité en faveur des boissons alcooliques est strictement limitée à certaines mentions exhaustivement énumérées.
Ces mentions autorisées comprennent :
- Le degré volumique d’alcool
- L’origine du produit
- La dénomination et la composition
- Le nom et l’adresse du fabricant, des agents et dépositaires
- Le mode d’élaboration
Les modalités de vente
- Le mode de consommation.
Le texte autorise également des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues et aux appellations d’origine. Il permet aussi des références objectives concernant la couleur et les caractéristiques olfactives et gustatives du produit.
Cette réglementation s’applique à tous les supports publicitaires, y compris le conditionnement du produit lui-même. La jurisprudence a régulièrement réaffirmé que cette liste est limitative et d’interprétation stricte.
B. Les faits de l’espèce.
Dans le cas d’espèce [1], une boisson alcoolisée avait été mise en vente sur un site internet [2].
Cette boisson, un cocktail au vin pétillant et au cassis, présentait la particularité d’utiliser dans son conditionnement et sa communication la mention "Emily in Paris", faisant référence à une série télévisée populaire diffusée sur Netflix.
Le 30 octobre 2024, un constat d’huissier a relevé que le produit était commercialisé en deux formats (bouteille de 20 cl et canette de 25 cl) arborant tous deux la mention "Emily in Paris" de manière centrale sur leur conditionnement. La commercialisation s’accompagnait d’une présence sur les réseaux sociaux, notamment Instagram et Facebook, avec des publications renvoyant vers le site de vente Carrefour.
II. L’analyse juridique de la décision.
Le tribunal rappelle que la publicité pour les boissons alcooliques doit se limiter à des éléments informatifs et objectifs. Cette exigence d’objectivité est globale et ne se limite pas aux seules références relatives à la couleur et aux caractéristiques organoleptiques du produit.
Le juge relève que la mention "Emily in Paris" présente sur le conditionnement :
- Ne correspond à aucune des mentions limitativement autorisées par l’article L3323-4 du Code de la santé publique
- A pour unique objet d’inciter le consommateur à acheter le produit en faisant référence à un programme télévisuel populaire
- Est utilisée de manière centrale et particulièrement visible sur le produit.
Cette utilisation est d’autant plus caractérisée que le descriptif du produit sur le site de vente assume explicitement le lien avec la série, indiquant que la boisson a été "développée avec les créateurs de la série dans un packaging sophistiqué qui capture parfaitement l’esprit chic et dynamique d’Emily in Paris".
B. Les mesures ordonnées pour faire cesser le trouble.
Le Président du tribunal en référé ordonne :
- Le retrait de toute représentation des boissons alcoolisées comportant la mention "Emily in Paris" sur le site de l’enseigne Carrefour
- L’interdiction pour Carrefour Drive de proposer à la vente ces produits.
Ces mesures sont assorties d’une astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction constatée, pour une durée maximale de trois mois.
III. Les implications pratiques et théoriques de la décision.
A. La confirmation d’une interprétation stricte.
Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment son arrêt du 20 mai 2020 [3], en confirmant que toute référence publicitaire ne correspondant pas strictement aux mentions autorisées est interdite.
Le jugement démontre la capacité du dispositif légal à s’adapter aux nouvelles stratégies marketing, notamment celles reposant sur des collaborations avec l’industrie du divertissement et utilisant les réseaux sociaux comme vecteurs de communication.
B. Les conséquences pour les acteurs économiques.
La décision établit clairement la responsabilité des plateformes de distribution en ligne dans le contrôle des publicités pour l’alcool.
En condamnant Carrefour pour avoir simplement proposé à la vente ces produits, le tribunal confirme que la simple diffusion de contenus publicitaires illicites engage la responsabilité du distributeur.
Cette décision devrait inciter les professionnels du secteur à :
- Revoir leurs stratégies de co-branding avec l’industrie du divertissement
- Renforcer leurs procédures de contrôle des supports publicitaires
- Adapter leur communication digitale aux exigences de la loi Evin.
Conclusion.
Cette décision démontre la permanence et l’efficacité du dispositif mis en place par la loi Evin, même face aux nouvelles formes de marketing digital. Elle confirme que l’encadrement de la publicité pour l’alcool reste une priorité de santé publique que les tribunaux font respecter avec rigueur.
Cette décision rappelle également que la protection de la santé publique prime sur les intérêts commerciaux et les stratégies marketing innovantes.
Elle invite les professionnels du secteur à redoubler de vigilance dans leurs communications publicitaires, particulièrement dans l’environnement numérique où les frontières entre information commerciale et divertissement tendent à s’estomper.