Même si leur histoire a commencé depuis plus longtemps qu’on ne pourrait le croire (voir l’article de Quentin de Beauchesne [1]), les NFT n’ont pour beaucoup été un acronyme accrocheur que depuis la vente aux enchères par Christie’s d’une œuvre numérique de l’artiste Beeple, adjugé à 69,3 millions de dollars.
Comme nous le savons [2], un NFT n’est pas en réalité l’œuvre elle-même, mais lui reste intimement lié.
Le NFT est un certificat d’authenticité inscrit sur la blockchain à un instant T, par une personne potentiellement anonyme, prétendue titulaire des droits portant sur un fichier numérique, lequel reproduit l’œuvre (sachant qu’un NFT peut concerner autre chose qu’une œuvre). Aujourd’hui, le principe des NFT séduit les investisseurs mais également les créateurs, et ceci dans divers domaines (arts plastiques, musique, audiovisuel, mode et design) avec des problématiques aux aspects juridiques fort différents.
1. NFT et Art.
Dans le domaine des arts plastiques, des plateformes ont vu le jour, permettant aux auteurs d’œuvres plastiques ou graphiques de vendre celles-ci sous forme de NFT aux enchères en ligne, par exemple Opensea, SupRare, etc. Les NFT peuvent apparaître ainsi dévolus aux œuvres numériques mais pas seulement, dans la mesure où le NFT peut être attaché à la reproduction photographique d’une œuvre plastique, telle qu’une sculpture, un tableau, etc. Certains musées ont d’ores et déjà franchi le pas, la galerie des Offices, à Florence, le British Museum [3], à Londres.
Force est de constater que le secteur des arts plastiques s’est résolument emparé des NFT.
Le site belge Arteïa propose la vente d’objets d’art couplés à un NFT en leur associant une puce NFC. Il travaille actuellement à des applications dans le métavers [4] : « Une fois que l’œuvre physique a obtenu son certificat d’authenticité, il sera possible d’y relier un avatar 3D qui pourra être exploité dans différents métavers ».
Comme le souligne Lucie-Eléonore Riveron, co-fondatrice et présidente de la maison de vente aux enchères FauveParis, la première à avoir organisé une vente aux enchères physique de NFT, une des difficultés résulte de la législation applicable qui ne prévoyait pas la vente aux enchères de biens meubles incorporels.
La loi du 28 février 2022 a modifié l’article L230-1 du Code de commerce pour pallier à cette difficulté sans que toutefois aucun décret d’application n’ait été encore pris. La loi a bien été changée et prévoit la vente de certains biens incorporels, mais le décret d’application n’est toujours pas sorti.
Une autre question se pose, de savoir si ces ventes dans le domaine des NFT Art sont soumises au droit de suite prévu par l’article L122-8 du Code de la propriété intellectuelle pour les œuvres originales graphiques et plastiques, et qui consiste en un droit de participation de l’auteur au produit de la revente d’une œuvre, sous certaines conditions.
En pratique, le smart contract qui génère le NFT prévoit une rémunération au profit de l’auteur à l’occasion de la revente du NFT. Masi ce droit de suite doit-il obéir au droit de suite légal qui impose des conditions précises ? Pour les œuvres de second marché, FauveParis, à l’occasion d’une vente off-Chain (vente aux enchères traditionnelle), a déclaré le droit de suite à l’ADAGP. Lucie-Eléonore Riveron ne voit d’ailleurs pas la révolution NFT comme étant liée au Métavers, mais plutôt à la sécurisation et à la traçabilité offertes par les NFT [5].
2. NFT, Création mode et design.
En revanche, dans le domaine de la mode, le NFT apparaît très lié au Métavers. Ainsi, les marques de luxe émettent-elles des NFT de leurs créations en vue d’une utilisation dans le web3 [6]. Eric Briones, directeur du Journal du Luxe expliquait à l’AFP [7] que « les marques de luxe n’ont pas le choix. Si vous n’êtes pas dans le web3, le web3 viendra à vous », en évoquant le cas du célèbre sac Birkin ayant inspiré l’artiste Mason Rotschild. Ses « MetaBirkins », une série de 100 interprétations NFT du célèbre sac Hermès, ont été proposées à la vente sur OpenSea en décembre dernier, occasionnant un contentieux fondé sur le droit des marques engagé aux Etats-Unis.
À ce sujet, François-Henri Pinault a souligné que « aujourd’hui la marque ne touche rien sur un produit revendu en seconde main. Demain, un contrat pourra être attaché au NFT, faisant qu’à chaque revente, une partie reviendra à la marque » [8]. Un propos qui évoque la question de l’épuisement du droit de distribution, prévue par le code de la propriété intellectuelle et le droit européen.
L’épuisement du droit de distribution signifie que seul le titulaire de droit d’auteur peut autoriser la première mise en vente des exemplaires de son œuvre ; mais, ceux-ci, une fois commercialisés avec son autorisation, doivent pouvoir circuler librement dans l’espace économique européen, et donc être revendus sans qu’il puisse s’y opposer (sous réserve du jeu du droit de suite vu ci-dessus). Or cette règle ne devrait pas s’appliquer aux NFT [9].
3. NFT et jeux vidéo.
Les NFT ont assez vite parus adaptés aux jeux vidéo. D’une part, les jeux vidéo ont longtemps fonctionné avec certains éléments ou personnages détachés commercialement du jeu, pouvant donc facilement permettre l’émission d’un NFT.
D’autre part, parce que les jeux vidéo sont adeptes du « play to earn », jouer pour gagner des revenus, ce qui est également assez adapté aux NFT.
« L’objectif affiché serait d’autoriser les joueurs à créer des éléments de jeu dont ils deviendraient propriétaires et qu’ils pourraient vendre à d’autres joueurs, générant ainsi des revenus » [10], ce qui pourrait leur permettre de revendiquer éventuellement un droit d’auteur et supposerait de bien rédiger les conditions générales d’utilisation, les fameuses CGU. Cependant, l’introduction des NFT dans les jeux vidéo soulève des critiques [11] en raison de son caractère spéculatif.
4. NFT et musique.
Il y a également des NFT émis pour des œuvres musicales. La plateforme Pianity propose aux artistes musiciens de transformer leurs morceaux en édition limitée sous forme de NFT.
Les créateurs d’œuvres musicales, contrairement aux œuvres plastiques, ne peuvent pas monnayer le support physique de l’œuvre. L’édition de NFT par l’artiste musicien peut lui permettre de trouver une nouvelle source de revenus.
Kevin Primicerio, co- fondateur de Pianity, souligne que la vente de NFT rapporte beaucoup plus aux artistes que ce qu’ils peuvent espérer du streaming. La vente est directe, de l’acheteur au vendeur. La plateforme prend 20 % sur chaque transaction.
Pianity précise qu’elle n’est pas obligée d’accorder un droit de suite aux artistes, mais elle le fait volontairement sur le marché secondaire (à savoir non pas lors de la première vente de NFT mais lors de sa revente), et l’artiste perçoit 8 % sur chaque plus-value issue de la revente d’un de ses NFT.
En dépit de cette bonne volonté de Pianity, il n’est pas certain que tous les opérateurs feraient de même et il paraît opportun, et prudent, que le législateur prévoie expressément que l’auteur dispose d’un droit de suite en cas de revente du NFT. Certes, il paraît difficile d’émettre un NFT sans l’accord de l’auteur, surtout si le NFT est commercialisé sur une plateforme.
Cependant, ainsi que nous l’indique Kevin Primicerio, co-fondateur de Pianity, « la plateforme a vocation à devenir également une plateforme d’écoute musicale ». D’ailleurs, Pianity est actuellement en train de négocier un accord avec la SACEM.
5. Les autres domaines : littérature, cinéma.
Ainsi que le souligne Lucie-Eléonore RIVERON, l’œuvre associée au NFT n’est quant à elle pas enregistrée dans la blockchain, mais stockée sur un serveur off-chain, ce qui devrait avoir certaines conséquences juridiques.
La création du NFT donne lieu à un téléchargement de l’œuvre sur un serveur, typiquement un acte de reproduction. La vente de NFT donne alors lieu à l’exercice du droit de représentation par la présentation de l’œuvre au public sur les plateformes de vente. Il semble donc bien indiscutable que la création du NFT nécessite l’accord de l’auteur ou de ses ayant droits.
Lorsque l’auteur a cédé ses droits par un contrat recouvrant un champ d’exploitation très large, comme c’est le cas par exemple d’un écrivain avec son éditeur ou d’un réalisateur avec son producteur, par un contrat antérieur à la naissance des NFT, doit-on considérer que l’auteur est habilité à créer le NFT ou son ayant droit auquel il a cédé tous ses droits ? C’est l’objet du contentieux entre Quentin Tarantino et Miramax [12]. Miramax reproche au réalisateur la vente d’extraits inédits de son film « Pulp Fiction I », réalisé en 1994, sous la forme de NFT.
Le droit français étant assez restrictif quant à l’étendue des droits cédés puisque n’est cédé par l’auteur que ce qui est expressément mentionné dans le contrat et le NFT n’existant pas à la date création du film « Pulp Fiction », il n’est pas évident que Miramax obtiendrait gain de cause en France.
À n’en pas douter, les contrats de cession vont voir apparaître une nouvelle clause prévoyant le cas de figure de l’émission de NFT. En l’état, il convient de lire attentivement les contrats signés afin de déterminer s’ils englobent la cession du droit de créer un NFT, au besoin en ayant recours à l’interprétation des tribunaux.
Dans le domaine de l’édition littéraire, l’éditeur David d’Equainville pense que les NFT sont une piste de développement intéressante pour constituer un élément complémentaire au livre imprimé, à la condition de proposer une vraie cohérence entre le texte de l’œuvre et les NFT émis.
Il développe actuellement un projet autour des mémoires d’une escort-girl, Confidences de la cellule 381, Archives d’une escort-girl internationale, dont certains passages seront cryptés et pour lesquels il sera nécessaire d’acquérir des clefs de décryptage, une par passage, en achetant les NFT ad hoc, afin de pouvoir découvrir les différentes parties confidentielles de l’histoire.
Concernant la question de l’auteur qui a passé un contrat d’édition avec une maison d’édition, sans que la possibilité d’émettre un NFT sur une partie de l’œuvre ait été envisagée, David d’Equainville estime que l’éditeur ne devrait pas pouvoir émettre un NFT sans l’accord de son auteur, sans un avenant signé. Avenant qui est, en l’état du droit applicable, pas toujours facile à rédiger, eu égard aux incertitudes juridiques.
David d’Equainville souligne que les paiements reçus de la vente d’un NFT étant en cryptomonnaie, la rémunération de l’auteur imposera de tenir à jour, selon les termes du contrat, l’actualisation du cours de la cryptomonnaie de référence, ce qui est une difficulté pratique non négligeable. Il pense que l’émergence des NFT pourrait être aussi une occasion de réviser une partie du modèle économique du livre et la place occupée par les différents acteurs de la chaîne de valeur du livre, sans que cela les oppose les uns aux autres.
Les acteurs du secteur [13] s’accordent pour dire qu’il ne faut pas craindre l’arrivée des NFT qui ne devraient constituer qu’un complément, tant au niveau artistique que financier, des supports qui existent déjà pour les œuvres. Les NFT ne se feront pas aux dépens des supports existants mais en seront plutôt une « extension ».
Jean-Michel Jarre, auteur-compositeur-interprète, précise en revanche l’urgence à ne pas « manquer le train » pour avoir une certaine maîtrise de la distribution et non seulement de la production. Sibyle Veil, PDG de Radio France et Cécile rap-Veber, Directrice de la Sacem, insistent sur la nécessité de travailler avec tous les acteurs de la distribution pour que tout le monde devienne vertueux.