I. Identifier ce qui est protégeable.
A. Le droit d’auteur : un droit automatique mais exigeant.
L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous [1].
Le droit d’auteur protège toute création de forme originale : logiciel, application mobile, design graphique, contenus éditoriaux, charte graphique, etc [2]. L’originalité suppose un effort créatif révélant la personnalité de l’auteur, la seule qualité technique d’une réalisation ne suffisant pas (par exemple, pour un portrait photographique ou un design d’interface technique).
Les logiciels peuvent donc être protégés comme œuvres de l’esprit [3] [4], sous réserve d’un apport intellectuel propre [5].
B. Les droits de propriété industrielle : protection par dépôt.
- Le brevet : il s’applique aux inventions techniques nouvelles, impliquant une activité inventive et susceptible d’application industrielle. La condition de nouveauté est impérative, et une divulgation prématurée et publique fera perdre la possibilité d’obtenir un brevet. Le brevet accorde un droit exclusif d’exploitation pendant 20 ans à compter de la date de dépôt, sous réserve du paiement des annuités.
Pour les inventions à cycle de vie court, il convient de privilégier le certificat d’utilité, qui offre une protection d’une durée maximale de 10 ans mais a l’avantage de présenter des exigences moins contraignantes (pas de rapport de recherche) et une procédure plus rapide.
L’article L611-10 du Code de la propriété intellectuelle exclut expressément « les programmes d’ordinateur en tant que tels » du champ de la brevetabilité. Cette exclusion est conforme à la Convention sur le brevet européen [6]. Toutefois, un logiciel peut être breveté s’il contribue à une invention technique, c’est-à-dire s’il apporte une solution technique mesurable à un problème technique.
- La marque : elle permet de protéger un nom, un logo, voire une identité sonore ou une couleur, en lien avec des produits ou services déterminés. Son dépôt est territorial (national, européen, voire international) et renouvelable indéfiniment, pour autant que le signe déposé est effectivement exploité.
En effet, les titulaires de marques font souvent l’erreur de ne pas restreindre le dépôt de la marque aux produits et services nécessaires à leur exploitation : dans ce contexte, toute personne ayant un intérêt à agir peut demander la déchéance de la marque ce qui peut avoir des conséquences financières importantes.
Depuis la réforme du droit des marques de 2015 [7], cette procédure de déchéance a été simplifiée puisqu’elle relève, non plus du juge judiciaire, mais de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI).
Ce risque, non négligeable, nécessite une analyse plus approfondie des classes de produits et services lors des dépôts de marque, par l’intermédiaire d’une recherche d’antériorité.
- Les dessins et modèles : ils concernent l’apparence des produits (formes, textures, couleurs), dès lors qu’elle est nouvelle, dotée de caractère propre, et que l’esthétique n’est pas uniquement liée à une fonction technique [8].
C. Le droit sui generis du producteur de base de données : un droit à part entière.
Ce droit conféré par le Code de la propriété intellectuelle [9] permet au producteur d’une base de protéger l’investissement financier, matériel ou humain qu’il a consenti pour constituer, vérifier ou présenter les données.
Il est indépendant du droit d’auteur et permet d’interdire toute extraction ou réutilisation substantielle non autorisée du contenu.
D. Le savoir-faire et les secrets d’affaires.
La protection du savoir-faire repose sur la réunion de trois conditions cumulatives : son secret, sa valeur commerciale, et sur les mesures raisonnables de protection prises pour conserver le secret. L’entrepreneur devra veiller à organiser la confidentialité (accords de non-divulgation, clauses dans les contrats, mesures techniques internes) pour bénéficier de la protection de la directive UE 2016/943 transposée dans le Code de commerce [10].
II. Sécuriser les droits et structurer la chaîne de valeur juridique.
A. Droit d’auteur : distinguer créateur et titulaire.
L’article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle instaure une présomption de la qualité d’auteur au profit de celui qui est identifié comme tel lors de la divulgation de l’œuvre. Cette présomption est réfragable : elle peut être renversée par toute preuve contraire apportée par une personne revendiquant la qualité d’auteur réelle. En outre, elle ne bénéficie qu’aux personnes physiques.
Ainsi, même si une startup conçoit une application, les droits d’auteur peuvent demeurer entre les mains des développeurs ou designers externes, à défaut de contrat de cession conforme à l’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle (mention des droits cédés, durée, territoire, destination).
Concernant les salariés, la loi prévoit une cession automatique pour les logiciels [11].
En revanche, pour les autres œuvres (textes, visuels, musiques), une clause expresse est nécessaire.
Pour les dirigeants non-salariés, la cession n’est jamais présumée.
La constitution de preuves sur l’antériorité de la création est essentielle (enveloppe Soleau, horodatage blockchain, constat d’huissier, dépôt à l’APP, etc) pour revendiquer la date de priorité en cas de conflit.
B. Marque, brevet, dessins et modèles : l’enregistrement comme fondement.
En matière de marque et sans enregistrement, il n’existe aucun droit exclusif sur le signe, sauf rares exceptions (marques notoires).
L’enregistrement auprès de l’INPI ou d’autres offices (EUIPO, OMPI) permet, sur une durée de 10 ans, d’agir en contrefaçon, de valoriser la marque (cession, licence, apport en société), et de se défendre dans les conflits de noms de domaine ou de référencement.
Le brevet est délivré après un examen par l’INPI ou l’OEB. C’est un droit opposable à tous permettant, sur une durée de 20 ans, d’interdire l’exploitation par des tiers, d’attaquer en contrefaçon, et de monétiser l’innovation par des contrats (licences, cessions).
C. Cartographier les actifs par l’intermédiaire de la due diligence.
Un audit de propriété intellectuelle (due diligence) est un préalable indispensable pour toute entreprise qui veut valoriser ses actifs. Il consiste à identifier les actifs protégés (marques, brevets), vérifier leur statut juridique (titularité, renouvellements, oppositions), et qualifier leur valeur stratégique selon les marchés visés.
Les contrats de propriété intellectuelle sont au cœur de la chaine de valeur : contrats de cession ou de licence (marques, brevets), clauses de confidentialité pour protéger les savoir-faire avant dépôt, clauses de copropriété, de territoire ou de redevances dans les accords de transfert technologique.
La qualité rédactionnelle de ces contrats est déterminante pour éviter les litiges de titularité ou de contrefaçon.
III. Valoriser les droits : contrats et stratégies d’exploitation.
A. La licence : outil de diffusion contrôlée.
La licence permet de conserver la propriété tout en autorisant des tiers à exploiter un droit. Elle peut être exclusive, non-exclusive ou co-exclusive et prévoit généralement une redevance ou un pourcentage sur les revenus.
Elle est fréquente en matière de brevet dans les secteurs pharmaceutique, électronique, ou des technologies vertes.
B. La cession : un transfert irréversible à encadrer strictement.
La cession peut prendre plusieurs formes : à titre gratuit, onéreux, dans le cadre d’une opération plus vaste (apport, levée …).
Il convient cependant de faire attention aux cessions d’actifs de propriété intellectuelle à titre gratuit puisqu’une telle cession constitue une donation qui doit être passée devant notaire [12], à peine de nullité, en vertu de l’article 931 du Code civil.
En pratique, il conviendra donc d’éviter toute cession complètement gratuite et de prévoir dans l’acte, a minima, une contrepartie ainsi que l’absence d’intention libérale.
Toute cession de droit d’auteur ou de droit voisin doit respecter le formalisme strict de l’article L131-3 CPI et détailler par écrit, de façon précise, les droits cédés, leur durée, territoire, usage. A défaut, la nullité peut être soulevée.
C. La place de la propriété intellectuelle dans les levées de fonds et M&A.
Les titres de propriété industrielle peuvent être :
- apportés en société (augmentation de capital),
- utilisés en garantie (nantissement de marque),
- valorisés dans les bilans et levées de fonds.
Les investisseurs exigent des garanties sur la chaîne des droits, notamment via les audits de due diligence.
Toute incertitude (absence de cession de droits, logiciels non déclarés, noms non déposés) peut impacter la valorisation de l’entreprise.
IV. Protéger et faire respecter ses droits : de la veille au contentieux.
A. Anticiper : organiser une veille proactive.
Il est conseillé d’activer des outils de surveillance (INPI, EUIPO, WIPO) pour les marques, brevets, dessins et modèles. Les atteintes en ligne peuvent être repérées via des outils de reconnaissance d’image ou de crawl.
Plusieurs types de veille peuvent être mis en œuvre :
- Veille sectorielle : sur les dépôts concurrents ou les évolutions technologiques dans un domaine d’activité) ;
- Veille nominative : sur les dépôts de noms proches ou similaires à une marque déposée ;
- Veille territoriale : sur les zones géographiques stratégiques de l’actif protégé.
B. Agir : les voies d’action à disposition.
Outre la mise en demeure et la négociation amiable, le Code de la propriété intellectuelle permet d’agir en contrefaçon devant le tribunal judiciaire [13].
Des mesures préventives (saisie contrefaçon, saisie douanière) peuvent être obtenues rapidement.
C. Utiliser les MARD : modes alternatifs de résolution des conflits.
La médiation, l’arbitrage ou les comités d’experts (AFNIC, EUIPO, OMPI) permettent souvent de résoudre plus efficacement les litiges, à moindre coût et de façon confidentielle.
V. Bonnes pratiques et écueils à éviter.
- Formaliser par écrit toutes les cessions ou licences, dans le respect du formalisme prévu par le Code de la propriété intellectuelle.
- Vérifier systématiquement la disponibilité d’une marque avant usage public.
- Organiser une gouvernance interne de la PI (désignation d’un référent, suivi des dépôts, renouvellements, contrats, conserver les dates et preuves de création).
- Sensibiliser les équipes à la confidentialité et à la protection du savoir-faire.
- Ne pas négliger les contributions externes et formaliser les contributions des prestataires ou partenaires techniques.
Conclusion.
L’entrepreneur innovant est un stratège autant qu’un créateur. Il lui appartient d’intégrer la propriété intellectuelle comme un axe central de son développement : non seulement pour protéger, mais aussi pour convaincre des partenaires, attirer des investisseurs et valoriser son projet.
Une maîtrise des règles juridiques, combinée à une démarche proactive, permettra de transformer la création en avantage concurrentiel durable.