Pourquoi le Savon de Marseille n’est-il pas forcément marseillais ?

Par Manuel Roche, CPI.

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Explorer : # indication géographique # contrefaçon # protection juridique # savon de marseille

Le "Savon de Marseille" est un produit de toilette très populaire en France, qui jouit d’une image particulièrement attractive tirée des méthodes de fabrication artisanales de quelques savonneries provençales respectueuses d’une tradition séculaire.

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En France, on trouve aisément du "Savon de Marseille" dans tous les commerces proposant un rayon hygiène et beauté. Pourtant, à lire les étiquettes apposées sur les produits, il est rare que le savon ait été effectivement fabriqué à Marseille. Il provient même très souvent de l’étranger.

Cela peut paraître trompeur pour le consommateur, et cela l’est évidemment dans une certaine mesure, mais la raison de cet état de fait est simple et implacable : le "Savon de Marseille" n’existe pas juridiquement. Plus précisément, l’appellation "Savon de Marseille" n’est pas juridiquement protégée ni a fortiori réservée aux seuls savons fabriqués à Marseille, qu’ils respectent des méthodes de production particulières ou non.

Le cadre législatif actuel, qu’il soit français ou communautaire, ne permet pas en effet de protéger des indications géographiques en relation avec des produits manufacturés mais uniquement en relation avec des produits agricoles ou des denrées alimentaires, les plus connues d’entre elles étant, terroir français oblige, les A.O.C. (appellations d’origine contrôlée) ou A.O.P. (appellations d’origine protégée) applicables aux vins.

Récemment appelé à s’exprimer au Sénat sur la "situation préoccupante des savonneries provençales" présentées comme victimes de "la concurrence déloyale d’entreprises étrangères venant de Chine, de Malaisie, d’Italie et d’ailleurs, usurpant le nom ‘Savon de Marseille’ et inondant le marché de contrefaçons de savons, n’ayant de Marseille que le nom", le Ministère chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation a affirmé que le "Gouvernement proposera, dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation, un dispositif permettant, sous le contrôle de l’institut national de la propriété industrielle (INPI), de protéger et valoriser les productions industrielles et artisanales locales qui possèdent une qualité déterminée ou une réputation qui peuvent être attribuées essentiellement à leur origine géographique" (réponse publiée dans le Journal Officiel du Sénat du 6 juin 2013, page 1723, à la question écrite N°05078 de M. Roland Povinelli).

Compte tenu du caractère général et flou des propos précités, il est vraisemblable que cette réponse ne rassurera pas les membres de l’Union des Professionnels du Savon de Marseille qui ont déposé une marque à vocation de "label" et destinée à défendre l’authenticité de leur tradition industrielle et à garantir le respect des procédés spécifiques de saponification pour l’obtention d’un savon aux qualités recherchées par le consommateur (http://www.label-savon-de-marseille.fr/), mais dont la nature juridique semble pour l’heure encore peu claire à en croire la base de données de l’INPI.

D’ailleurs, la tâche ne sera sans doute pas aisée à voir le nombre de marques déjà déposées et enregistrées, contenant la dénomination "Savon de Marseille". On peut ici tenter un parallèle avec le sort judiciaire réservé à la commune de Laguiole qui estimait en septembre 2012 avoir été dépossédée de son nom par le déposant de la marque éponyme, à la suite d’une décision du Tribunal de grande instance de Paris (dont appel aurait été interjeté).

Cela étant, il est sans doute fondamental que la France, comme les autres pays, se dotent de nouvelles armes pour lutter contre ce qui pourrait être qualifié, à défaut d’autres termes juridiquement valables, de parasitisme d’image ou de renommée au préjudice des savoir-faire industriels nationaux, régionaux ou locaux. Car, dans l’économie globalisée que nous connaissons, ces savoir-faire et leurs dénominations constituent très certainement tout autant des atouts commerciaux d’avenir que des sources de convoitise.

Manuel ROCHE
Conseil en propriété industrielle - Marques & Modèles
INSCRIPTA
http://www.inscripta.fr

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  • par PCO , Le 27 février 2015 à 13:55

    Le Code des douanes français et le Code de la consommation prévoient qu’un produit importé pouvant par son image, son appellation (exemple Marseille), sa symbolique, pouvant faire penser aux consommateurs qu’il a été fabriqué en France celui-ci, doit avoir un marquage d’origine avec le "Made in.....".
    Ce dispositif permet quand même aux consommateurs de voir qu’ils achètent, exemple : un savon de Marseille....Made in China et/ou Turquie....etc....
    Ce règlement devrait être plus suivi avec des visites douanières dans les conteneurs et colis et/ou par la DGCCRF chez les revendeurs et autres boutiques qui vendent ce type de produit....

  • Que l’on s’attaque au pseudo ’savon de Marseille’ importé de l’étranger ok ,mais vu les dégats causés par les actualités et notamment la télévision ,je suis sans arrêt interpellé par des pseudo clients ,voire parfois insulté comme quoi ,je vends des faux savons de Marseille puisqu’ils sont fabriqués en Provence (et non à Marseille) et que mon grossiste est breton.Ras le bol du savon de Marseille désormais ce sera du savon parfumé fabriqué en Provence ! Pour rappel la plus grosse production de savon de Marseille (cube olive 72 % 300g) était jusqu’en 1998 dans une savonnerie du Nord ! Alors le moi marseillais ! surtout quand on sait qui sont les agitateurs comme la compagnie des savons de Marseille qui aujourd’hui appartient à CHIMITEX qui est à Nice (Nice Marseille 200km) mdr

    • Merci pour cet article,
      Je partage l’avis d’edstaw, il ne s’agit pas vraiment d’un problème de géographie, mais de qualité du produit, or l’ancrage territorial d’une usine ne garantit pas la bonne fabrication du produit. En ce sens l’initiative "Label Savon de Marseille" est intéressante, car elle tente de garantir l’usage d’un certain procédé de fabrication.

  • Bonjour Manuel,

    Excellent article.
    Merci

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