En partant de l’hypothèse d’une clause de non-concurrence valide, l’ancien salarié doit-il modifier son profil LinkedIn et Viadeo en effaçant – temporairement - ses compétences faisant l’objet de ladite clause ?
Une notification de mise à jour à ses contacts (et en outre l’affichage de son contenu) est-elle assimilable à un démarchage ?
Telles sont les questions récemment abordées devant une juridiction américaine…..
Elles font écho à quelques dossiers traités en France. [1]
I. Les faits exposés et la décision judiciaire prononcée
A. Les faits [2]
Charlotte Muller, vice-présidente de l’entreprise KNF&T, démissionne de son poste après huit années d’exercice et rejoint l’entreprise Panther Global Group Inc.
On relève (au regard du niveau de responsabilité de la démissionnaire, ce n’est guère surprenant) une clause de non-concurrence d’une durée d’un an et géographiquement délimitée par un périmètre de " fifty mile radius of any office of the Company’s ".
Clause violée, selon KNF&T, notamment du fait de l’actualisation par Madame Muller de son profil LinkedIn annonçant à plus de 500 contacts de son réseau son nouveau poste chez Panther ; cette actualisation étant considérée comme équivalente à une "solicitation of business " auprès des clients de KNF&T. Précisément selon la demanderesse : “the LinkedIn posting was equivalent to a letter soliciting business”, “Updating (and thereby publishing) her LinkedIn profile to announce her position with Panther” [3].
B. La décision [4]
Le Massachusetts Associate Justice Thomas P. Billings, en “footnote” (note de bas de page n°6, p 7 de sa décision. Ce n’est pas un obiter dictum) aborde la question de l’actualisation du profil LinkedIn.
Après avoir souligné, entre autres, l’importance d’une appréciation prudente d’une clause de non-concurrence du fait du déséquilibre entre les parties cocontractantes, du caractère vital pour un salarié de travailler afin de subvenir à ses besoins quotidiens, il juge que la mention du nouveau poste de Madame Muller était formulée en termes suffisamment génériques notamment à propos de ses compétences et expertises (“Staffing Services” and “Recruiting ") sans mentionner spécifiquement des compétences directement liées à son ancien employeur (" no more specific mention of any of KNF&T’s Fields of placement ").
La preuve d’une menace réelle des intérêts de KNF&T n’étant pas rapportée, la demande de cette dernière, avec l’appui d’autres arguments avancés par le juge, est donc rejetée.
II. D’une action d’information à une démarche de prospection
Un équilibre est ainsi toujours recherché entre la protection des intérêts légitimes de l’ancien employeur et la liberté d’exercice professionnel du salarié.
Assimiler une actualisation d’un profil sur un réseau professionnel à un démarchage déloyal le rompt certainement en interdisant au salarié de soigner sa " marque employé " (" Improve your brand " affiche LinkedIn) [5].
A. Informer de sa situation professionnelle
Déjà en 1997 : "Le fait pour un salarié " d’aviser une clientèle de son départ et de la création d’une nouvelle société, alors que cette clientèle est libre de choisir l’entreprise avec laquelle elle veut travailler" n’est pas constitutif d’une faute" [6].
Pour écarter tout excès de restriction à l’égard du salarié, une requalification d’une clause de clientèle en clause de non-concurrence peut être opérée pour finalement neutraliser cette dernière :
" Dès lors qu’une clause de clientèle porte interdiction, y compris dans le cas où des clients de l’employeur envisageraient spontanément, en dehors de toute sollicitation ou démarchage, de contracter directement ou indirectement avec l’ancien salarié est caractérisée l’existence d’une clause de non-concurrence, illicite car dépourvue de contrepartie financière et non limitée dans le temps et dans l’espace " [7].
Sur la distinction entre ces deux clauses de clientèle et de non-concurrence [8].
Ligne directrice : informer, et potentiellement susciter l’intérêt d’anciens clients, mais sans cibler précisément ne porte pas préjudice.
Certes, il existe déjà un pré-ciblage dans le choix opéré par le salarié des contacts de son réseau professionnel qui ont accepté une mise en relation.
Tout autre est la prospection.
B. Prospecter
Il s’agit ici de contacter volontairement, par exemple par mail ou téléphone, ses anciens clients ou collègues.
" seuls des éléments objectifs, comme par exemple la commission d’actes positifs de concurrence déloyale, peuvent justifier la rupture du contrat de travail " [9].
Conclusion
En premier lieu, une règle de prudence : ne jamais accepter l’offre par son employeur d’un abonnement payant [10].
En second lieu, son propre profil construit sur un réseau social professionnel est le fil rouge de sa carrière professionnelle.
Il est jalonné d’autant d’étapes chez différents employeurs qui restent largement extérieurs à cette construction globale.
Les informations indiquées le sont d’ailleurs sous la responsabilité du salarié [11] excepté les renvois faits par celui-ci vers d’autres sources d’informations (blogs, groupes de discussion, actualités d’une entreprise suivie) dont il n’a pas véritablement le contrôle quant au contenu.