Affaire Kerviel : rebondissement avec une cassation partielle.

Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.

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Explorer : # condamnation disproportionnée # fraude financière # responsabilité partagée # réparation du préjudice

La Cour de cassation revient uniquement sur le montant des dommages intérêts qui avaient été fixés à 4,9 milliards d’euros et pas sur la peine de prison !

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La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt [1] très attendu et déjà largement médiatisé dans l’affaire Kerviel qui opposait l’ex-trader à son ancien employeur : la Société Générale.

Monsieur Jérôme Kerviel a formé un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, [2], qui, pour abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, faux et usage, l’a condamné à cinq ans d’emprisonnement, dont deux ans avec sursis, et au paiement à la Société générale de la somme de 4.915.610.154 euros en réparation de son préjudice.

Monsieur Jérôme Kerviel a fait valoir sur ce dernier point que, par son montant exceptionnel, la condamnation civile s’apparente à la peine de confiscation générale sur tous les biens du condamné, y compris futurs ; qu’en lui imposant de payer à la Société Générale une somme de près de 5 milliards d’euros, condamnant de fait une personne physique à une peine de confiscation générale portant sur l’intégralité de son patrimoine présent et à venir, la Cour d’appel, a prononcé une condamnation disproportionnée au regard du manquement commis ne respectant pas un juste équilibre.

Cette condamnation à une réparation intégrale du préjudice financier que l’on peut qualifier d’astronomique était surtout incompréhensible et critiquable ; elle avait, à juste titre, fait couler beaucoup d’encre et ne pouvait que laisser perplexe.

Elle perdait d’ailleurs tout son sens dès lors que le salarié n’avait eu aucun enrichissement personnel, était dans l’incapacité absolue de la verser et que son employeur, l’une des plus grosses banques françaises avait commis des fautes reconnues par les juges du fond.

L’arrêt rendu le 19 mars 2014, (pas moins de 43 pages) voué à la plus large diffusion puisqu’il est estampillé P+B+R+I, ne revient pas sur le volet pénal de cette affaire et casse partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au motif qu’il a condamné Monsieur Jérôme Kerviel à payer des dommages-intérêts considérés comme disproportionnés au regard du manquement commis, ne respectant pas un juste équilibre entre les parties alors qu’elle avait relevé l’existence de fautes commises par la Société générale, ayant concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières.

La Haute Cour rappelle notamment que le droit à l’exécution des décisions judiciaires, qui fait partie intégrante du droit au procès équitable, implique que leur mise en œuvre soit possible et opérante pour chacune des parties ; ce qui incontestablement, n’était pas le cas en l’espèce.
« Vu l’article 2 du code de procédure pénale, ensemble l’article 1382 du code civil ;
Attendu que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond ;
Attendu que, pour condamner Monsieur Jérôme Kerviel à verser à son employeur, la Société Générale, à titre de dommages-intérêts, la somme de 4,9 milliards d’euros correspondant à l’intégralité du préjudice financier, l’arrêt énonce que le prévenu a été l’unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude ayant provoqué le dommage, lequel trouve son origine dans la prise de positions directionnelles, pour un montant de 50 milliards d’euros, dissimulées par des positions fictives, en sens inverse, du même montant, et que la banque n’a {} pas eu d’autre choix que de liquider sans délai les positions frauduleuses du prévenu ; que les juges, après avoir constaté l’existence et la persistance, pendant plus d’un an, d’un défaut de contrôle hiérarchique, négligence qui a permis la réalisation de la fraude et concouru à la production du dommage, et l’absence d’un quelconque profit retiré par le prévenu des infractions commises, relèvent que si cette défaillance certaine des systèmes de contrôle de la Société générale a été constatée et sanctionnée par la Commission bancaire, aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d’une faute de la victime, le montant des réparations dues à celle-ci par l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle relevait l’existence de fautes commises par la Société générale, ayant concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières, la cour d’appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé. »

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris en cause, a donc été cassé en ses seules dispositions relatives à l’action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues et cette affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Versailles qui devra statuer sur l’indemnisation de la Société Générale et fixer le montant des dommages-intérêts dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond.

Il n’était pas évident du tout que la juridiction suprême adopte cette position qui pourtant semble juste relever du simple bon sens. Cette affaire hors normes n’a donc pas fini de défrayer la chronique judiciaire ...

Marie-Paule Richard-Descamps
Avocat spécialiste en droit du travail
Présidente de la Commission sociale du Barreau des Hauts de Seine
https://www.cabinetrichard-descampsavocat.fr

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[1N° de pourvoi 12-87.416.

[2Chambre 5-12, en date du 24 octobre 2012.

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