CSG, CRDS : le Conseil d’Etat fait un pas vers la CJUE et son arrêt "De Ruyter".

Par Jean-Yves Trennec, Avocat.

7576 lectures 1re Parution: Modifié: 6 commentaires 4.99  /5

Explorer : # prélèvements sociaux # sécurité sociale # droit de l'union européenne # fiscalité

Dans un arrêt en date du 17 avril 2015, le Conseil d’Etat a tiré les premières conséquences de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union Européenne le 26 février 2015 sur sa demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 4 du règlement CEE N°1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et non salariés (II).

Avant de commenter cette décision, on rappellera les enjeux juridiques qui s’attachent à l’arrêt du 26 février 2015 [1] qui tranche une question, dont la résolution s’avérait également cruciale pour la politique nationale de comblement d’un de nos déficits publics les plus importants sinon stigmatisants (I).

-

I. Pour ce qui concerne l’assujettissement au régime de sécurité sociale des ressortissants européens, le droit de l’Union détermine les règles de compétence de la façon suivante.

Les personnes ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre, ce, en vertu du principe de l’unicité de la législation sociale laquelle, en interdisant l’application concurrente de plusieurs réglementations, évite les inégalités de traitement entre ressortissants européens et favorise leur libre circulation.

Ensuite, pour la détermination de cet État membre il convient d’appliquer les règles suivantes :

La personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre.
De même, la personne qui exerce une activité non salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre.

A l’origine de la question préjudicielle d’interprétation posée par le Conseil d’État à la Cour de Justice de l’Union Européenne se trouvait la situation d’un ressortissant néerlandais, salarié d’une entreprise de son pays, mais domicilié en France. L’intéressé avait été assujetti à des cotisations de CSG de CRDS, à un prélèvement social et à une contribution additionnelle à ce prélèvement sur des revenus de son patrimoine.

En première analyse, ce cas de figure aurait dû être résolu par l’application des règles simples posées par le règlement de l’Union : l’activité salariée du ressortissant néerlandais étant exercée aux Pays Bas, seule la législation en matière de sécurité sociale de cet État membre aurait dû recevoir application : le fait qu’il pût disposer de revenus en France étant, de ce point de vue, indifférent.

Si, une question préjudicielle a cependant été posée par le Conseil d’Etat, c’est que celui-ci a estimé que la détermination de la législation applicable dissimulait une question autrement sérieuse, touchant à la nature même des prélèvements sociaux en France.
De la qualification juridique donnée aux cotisations françaises ayant pour assiette des revenus du patrimoine dépendait directement la légalité de ces prélèvements sociaux.
Le Conseil d’État a en effet fait valoir devant la Cour qu’il ne considérait pas ces cotisations comme présentant le lien direct et pertinent avec les lois régissant les branches de la sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement n°1408/71. Autrement dit, il a estimé que les prélèvements subis par le ressortissant néerlandais ne frappaient pas des revenus d’activité et de remplacement se substituant aux cotisations de sécurité sociale mais avaient pour assise uniquement les revenus patrimoniaux du contribuable. Le Conseil d’État en a tiré la conclusion que, dans ce cas de figure, les prélèvements présentaient le caractère d’un impôt et non d’une cotisation sociale.

La détermination de l’impôt relevant de la souveraineté des États membres, cette qualification permettait d’échapper au champ d’application de l’article 4 du règlement et de donner son plein effet à la législation fiscale française.

Le débat technique dissimulait en réalité un enjeu de pouvoir.

On sait que, dans son arrêt du 26 février 2015, la Cour de justice de l’Union Européenne a écarté cette approche juridique.

Adoptant un raisonnement finaliste, la Cour a recherché l’affectation des prélèvements effectués sans s’arrêter à leur dénomination ou leur assiette pour conclure que les cotisations prélevées sur les revenus du patrimoine du ressortissant néerlandais étant affectées spécifiquement et directement au financement de la sécurité sociale en France, leur régime juridique relevait du champ d’application de l’article 4 du règlement CEE n°1408/71.

La portée que le Conseil d’État entend donner à cet arrêt est fort attendue par les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale étranger et continuant à subir des prélèvements sociaux en France. L’arrêt du 17 avril 2015 laisse cependant déjà présager que le Conseil d’État tirera toutes les conséquences de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

II. L’arrêt du Conseil d’État en date du 17 avril 2015 [2] qui statue sur un litige concernant des plus-values supportant les mêmes prélèvements sociaux que le ressortissant néerlandais, censure, en effet, un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui avait adopté le raisonnement et la solution jusqu’alors consacrés par la juridiction administrative avant l’intervention de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 26 février 2015.

A l’appui de son recours tendant à obtenir la décharge des cotisations sociales, le contribuable avait vainement fait valoir, tant devant le tribunal administratif de Cayenne que devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, qu’il n’avait pas à acquitter ces cotisations sociales dès lors qu’il n’était affilié à aucun régime obligatoire français de sécurité sociale.

Très classiquement, il lui avait été répondu par les juridictions administratives que « ces cotisations, dépourvues de tout lien avec l’ouverture d’un droit à une prestation ou un avantage servi par un régime de sécurité sociale, ont le caractère d’impositions de toute nature et non celui de cotisations de sécurité sociales »

La thèse soutenue par les juridictions inférieures consistait donc à nier le caractère social des cotisations pour les assimiler à un impôt.

C’est précisément cette analyse que le Conseil d’État réfute en cassant l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux.

Dans son considérant principal, le Conseil d’État s’approprie le raisonnement tout neuf de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Après avoir rappelé le double principe du règlement n°1408/71 du 14 juin 1971 qui consacre l’unicité d’affiliation un régime de sécurité sociale et l’unicité de cotisation, le Conseil d’Etat s’applique à reprendre la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne et notamment le fameux arrêt du 26 février 2015 en soulignant que le champ d’application du règlement précité comprend les prélèvements de sécurité sociale alors même qu’ils seraient assis sur des revenus de la personne assujettie indépendamment de l’exercice de toute activité professionnelle.

De façon plus déterminante le Conseil d’État calque son argumentation juridique sur celle de la Cour de Justice de l’Union Européenne en considérant : « que la circonstance qu’un prélèvement soit qualifié d’impôt par une législation nationale n’exclut pas que ce même prélèvement puisse être regardé comme relevant du champ d’application du règlement n°1408/71 »

Le caractère non fiscal des cotisations sociales françaises est ainsi confirmé.

Certains commentateurs ne manqueront sans doute pas de relever que la portée de cet arrêt est toutefois limitée du fait que le Conseil d’État n’a pas réglé lui-même l’affaire au fond mais a recouru à la technique dite « de cassation avec renvoi » qui laisse à la cour administrative d’appel de Bordeaux le soin de statuer sur le litige.

Certes... Il reste que la piste juridique a été soigneusement balisée et qu’il est désormais peu probable qu’on assiste à une sortie de route.

Jean-Yves Trennec, Avocat,
Barreau de Seine-Saint-Denis
contact chez scp-arents-trennec.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

72 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1CJUE, 26 février 2015, aff n°C-623/13, Ministre de l’économie et des finances c/ de Ruyter.

[2CE, 17 avril 2015, req. n°365511 M.A.

Commenter cet article

Discussions en cours :

  • Bonsoir,
    je suis Français non résident. Je travaille et habite en Afrique (Guinée) Je souhaite savoir si il y a eu une évolution en matière fiscale pour ce qui concerne le paiement (ou pas) de la CSG et CRDS sur les revenus fonciers.

    Est ce que mon profil fiscal est soumis à ces impôts ou pas ?
    Merci à vous de vos avis et éclaircissements

  • Dernière réponse : 17 novembre 2015 à 12:23
    par Eric , Le 4 novembre 2015 à 13:11

    Ayant contacté Impôt service, on m’informe que les fonctionnaires européens ou fonctionnaires internationaux ne rentrent pas dans le champ d’application de l’arrêt de Ruyter du 20 octobre dernier, sous prétexte de que le régime commun d’assurance maladie des fonctionnaires de l’UE n’est pas un régime d’un "autre" pays que la France. Ils ne peuvent prétendre à un remboursement.

    Pouvez vous s’il vous plait nous en dire davantage.

    Cordialement.

    • par TRENNEC , Le 17 novembre 2015 à 12:23

      Cette position est contestable car elle contredit le principe d’égalité devant la loi en ce qu’elle crée une différence de traitement pour les fonctionnaires européens ou internationaux qui n’est pas pertinente au regard du principe prohibant la double imposition.

      En tout état de cause, je crois que ces situations particulières devront être tranchées par le juge administratif.

      A ce propos, il existe un moyen de contourner la limite des deux ans de remboursement. Elle consiste à se placer non plus sur le terrain fiscal mais sur le terrain juridique de la responsabilité de l’Etat Français pour la faute qu’il a commise en adoptant des dispositions fiscales illégales.

      Dans ce cas de figure la demande indemnitaire doit porter sur l’ensemble des préjudices subis à raison de cette faute et ne pas se limiter aux sommes qui seraient demandées dans le cadre d’un simple remboursement. La demande indemnitaire doit comprendre par exemple : les troubles subis dans les conditions d’existence, le préjudice moral, et l’ensemble des préjudices qui résultent de la privation de la somme indûment payée aux services fiscaux. La mise en cause de la responsabilité de l’Etat est soumise à une prescription de quatre ans, ce qui permet donc de doubler la période pendant laquelle on peut se faire indemniser.

  • Article très clair et très bien fait, mais qui entraine une question de ma part :
    - Soit un président-associé de SAS non rémunéré,
    Ne cotisant pas, ce dernier n’a pas droit à la sécurité sociale.
    Afin d’être tout de même protégé, ce président passe par l’intermédiaire d’une société d’assurance sociale étrangère au premier euro (type AMARITZ)
    Il s’est donc décorrélé de la sécurité sociale française,

    Peut-il par voie de conséquence réclamer la CSG/CRDS qu’il paye sur les dividendes perçus ?

    • par Trennec Avocat , Le 8 septembre 2015 à 17:53

      Les arrêts de la cour de justice de l’union ont statué sur des situations où les contribuables, bien que résidant en France, tiraient une partie de leurs ressources d’activités conduites à l’étranger dans un autre Etat membre et étaient, à ce titre, assujettis à un régime de sécurité sociale.

      Dans votre cas particulier, la souscription d’une assurance sociale étrangère, a été faite volontairement, sans qu’elle soit la contrepartie d’une activité salariée ou indépendante.

      Toutefois, l’application des dispositions du règlement n°1408/71 n’étant pas subordonnée à l’exercice d’une activité professionnelle mais au fait d’être assuré de manière obligatoire ou facultative dans le cadre d’un régime de sécurité sociale, la circonstance que les cotisations payées soient volontaires ne constitue pas un obstacle à l’application du règlement précité.

      Il convient seulement de vérifier que "la société d’assurance sociale étrangère" entre dans le champ d’application de l’article 1er du règlement n°1408/71 et corresponde bien à un régime général ou particulier de sécurité sociale.

      Ce point est déterminant et les termes de votre question ne permettent pas de le savoir.

  • par Manuel , Le 7 septembre 2015 à 19:02

    juste pour remettre au gout du jour ma question qui n’a pas eu de réponse...

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs