En tant que technologie [2] de contrôle, la géolocalisation a tout pour séduire l’entreprise, tel le fait de lui permettre de savoir qui, quoi, où et quand [3] et, surtout, de le savoir avec précision [4].
Cette efficience ne doit pourtant pas aveugler l’employeur.
Mise en œuvre et fonctionnement d’un contrôle des salariés par géolocalisation sont soumis à un cadre juridique aussi strict que contraignant, lequel cadre impose, avant tout déploiement et/ou utilisation opérationnels, le préalable de la connaissance des règles par l’entreprise.
Du droit du contrôle au droit de la géolocalisation
La géolocalisation pour quoi faire ?
Réponse : contrôler l’activité du salarié.
Conséquence : la géolocalisation est soumise à deux corps de règles.
Celles qui, tout d’abord, encadrent habituellement et de façon générale le contrôle patronal des salariés, peu importe sa forme technologique ou non ; règles mêlant textes et jurisprudence. Celles qui, ensuite, s’attachent peu à peu à construire un véritable droit de la géolocalisation sui generis, sachant que ces règles spécifiques sont, pour l’essentiel, d’origine jurisprudentielle.
• Le droit commun de la prérogative patronale de contrôle
Code du Travail, droit prétorien et normes CNIL encadrent mise en œuvre et fonctionnement des méthodes de contrôle des salariés par l’entreprise ; état de fait particulièrement avéré lorsque la technologie est sollicitée pour ce faire.
Point de départ : soumission du contrôle à deux grands principes
Le pouvoir patronal de contrôle des salariés se doit de respecter deux grands principes :
proportionnalité : exigence du Code du Travail (article L. 1121-1) qui, d’une part, proscrit l’excès, qui, d’autre part, réclame légitimité et justification,
préservation et protection de la vie personnelle du salarié et de ses libertés (pendant le temps et sur le lieu même du travail ou de la mission).
Pèse donc sur l’entreprise une contrainte, celle d’adapter et décliner ses méthodes de contrôle de façon à ce que leur effets et conséquences - à l’endroit des salariés - ne soient, ni excessifs, ni disproportionnés, considération faite des nécessités factuelles de la relation de travail et/ou de l’intérêt (démontré) de l’entreprise.
Soumission du contrôle au « réel » : limitation matérielle de son périmètre
C’est le contrat de travail qui confère, à la partie patronale, le droit de contrôle de sorte que ce droit ne peut s’exercer que dans le cadre et à l’intérieur, seulement, de cette relation contractuelle, c’est-à-dire exclusivement sur le lieu de travail (et/ou de mission) et pendant le temps de travail.
Ce droit se limite ainsi au seul périmètre spatial et temporel de la relation de travail.
Ce qui implique le résultat suivant : tout contrôle – peu importe ses forme, modalités et/ou finalités - dépassant et excédant les limites précitées est, par nature comme par principe, illicite (car intrusif et excessif) [5].
• L’émergence d’un droit (spécial) de la géolocalisation
Même s’il est issu très majoritairement de la jurisprudence – avec de précieux apports fournis par les juridictions du second degré – le droit de la géolocalisation intègre également les normes et principes retenus par la CNIL [6].
Principe n°1 – utilisation sous condition (impérieuse nécessité)
Si les systèmes de géolocalisation sont en vente libre, la liberté, pour l’entreprise, de les mettre en place puis en fonction est, quant à elle, soumise à une condition initiale.
Car, d’entrée, l’employeur doit être en mesure de pouvoir justifier tout à la fois : 1°. D’un choix, celui d’avoir recours à ce mode bien particulier de contrôle (pourquoi la géolocalisation plutôt qu’autre chose ?). 2°. De l’existence d’un besoin impérieux, lequel conditionne et explique ce choix [7].
Le besoin en question ne correspond à rien d’autre qu’à la notion d’impérieuse nécessité, à savoir l’existence, pour l’entreprise, d’une contrainte telle qu’elle ne lui laisse guère d’autre possibilité [8] que le recours à la géolocalisation ; ladite contrainte pourra être économique et/ou organisationnelle, le déploiement de la géolocalisation s’expliquant par la carence de solution (satisfaisante) autre [9].
Principe n°2 - interdiction de la géolocalisation totale et permanente
L’entreprise ne saurait déployer un système de géolocalisation lui permettant de « tout savoir, tout le temps » [10] quant aux faits et gestes ou déplacements de ses salariés.
Aussi et lorsque les conditions de fait du contrôle ou bien quand certaines circonstances d’utilisation - par les salariés - de l’un ou l’autre type de matériel [11] engendrent un possible débordement de la surveillance hors les temps et/ou lieu de travail, le paramétrage du système de géolocalisation doit être opéré de façon à brider l’efficacité de la détection [12].
Principe n°3 – limitation du périmètre catégoriel de la géolocalisation
La géolocalisation pour tous … à l’identique du mariage ? Pas vraiment puisque l’employeur ne peut entreprendre de placer, sous géolocalisation, tous ses salariés indistinctement et/ou de la même façon.
Ce qui, en matière d’organisation et déploiement de ce type de contrôle, revient à admettre, et imposer à l’entreprise, l’existence de véritables restrictions - voire même d’exclusions pures et simples – d’origine et de nature catégorielles.
Exemples d’exclusions d’origine catégorielle : conditions de travail et/ou statutaires conférant, au salarié, autonomie et/ou liberté d’organisation et de gestion de son temps de travail et/ou d’activité [13]- détention d’un mandat représentatif [14].
Principe n°4 – obligation de motivation par voie de notification
Déployer un système de contrôle par géolocalisation impose, à l’employeur, le respect d’un formalisme – à l’identique d’une procédure de licenciement – se présentant sous la forme d’une notification.
Les caractéristiques de cette notification sont les suivantes :
destinataires : CNIL et populations de salariés placées sous géolocalisation.
formalisme : écrit.
chronologie : en préalable à toute installation et/ou mise en exploitation du système.
motivation : obligatoire [15] et détaillée [16] dont l’indication précise de la finalité et des objectifs auxquels répond le système de géolocalisation.
On soulignera deux choses : 1°. La notification auprès de la CNIL est opérée selon un mode déclaratif [17]. 2°. Les salariés bénéficient, quant à eux, d’une véritable notification individuelle et personnalisée dont le manque ne peut être pallié par un entretien, une réunion ou une note de service collective.
Principe n°5 – logique de la finalité liée (à la motivation)
Le contenu des indications figurant dans la déclaration CNIL et/ou dans la notification individuelle destinée au salarié induit, pour l’entreprise, un triple effet [18] :
fixer (et inscrire dans le marbre) les finalités et conditions d’usage de la géolocalisation ;
rendre opposables à l’employeur lesdites finalités et conditions ;
lui interdire ultérieurement toute forme d’alternative (utilisation autre ou finalité différente).
En pratique, le résultat est donc le suivant : une entreprise qui, initialement, indique limiter la finalité d’utilisation de sa géolocalisation au seul repérage des véhicules, ne peut, ultérieurement, utiliser cette même géolocalisation pour, en plus, surveiller directement les déplacements et/ou activités et/ou comportements de ses salariés.
Là encore, le parallèle avec le licenciement s’impose.
Le contenu de la lettre de licenciement fixe, en effet et une fois pour toute, nature + portée du motif et objet du litige ; ce qui, pour l’employeur, entraîne une conséquence double … le lier définitivement à ce qu’il a écrit, l’empêcher d’invoquer ultérieurement un autre motif [19].
Principe n°6 – droits fondamentaux des salariés (refus – désactivation - accès)
Les salariés, soumis ou en passe d’être soumis à un contrôle par géolocalisation, bénéficient de droits fondamentaux que leur employeur doit impérativement connaître … et appliquer.
Droit au refus : un salarié peut, dans certaines circonstances, refuser – sans pouvoir subir le reproche de son employeur - d’être soumis à contrôle opéré par voie de géolocalisation [20].
Droit à la désactivation : lors de certaines périodes de temps – voire en certains lieux – le salarié doit pouvoir procéder à mise hors service temporaire du système de géolocalisation [21].
Droit d’accès : la géolocalisation produit des relevés qui sont autant de données auxquelles le salarié peut et doit avoir accès sur sa demande [22].
On n’omettra pas, également, un certain droit à l’oubli puisque la durée de conservation des données, issues du contrôle par géolocalisation, ne saurait être illimitée.
Géolocalisation : du contrôle au risque d’entreprise
L’entreprise ne peut utiliser un système de géolocalisation, à des fins de contrôle de ses salariés, qu’à la seule condition de déployer un système totalement conforme aux principes qui viennent d’être passés en revue.
A défaut, en résulte une situation de non-conformité, laquelle rend illicite le contrôle opéré.
• Géolocalisation non conforme = contrôle illicite + nullité de ses effets
La portée de cette illicéité est double : elle impacte non seulement le contrôle dans son principe et son existence mais également dans ses effets, ce qui ne peut manquer de rejaillir sur la relation de travail.
Car un contrôle (devenu) illicite rend ce dernier inopposable aux salariés et interdit à l’entreprise de se prévaloir tant de son existence que de ses résultats pour :
1. permettre une prise de décision patronale à l’endroit des salariés telle la mise en œuvre du pouvoir disciplinaire et/ou la remise en question de la pérennité d’un contrat de travail à durée indéterminée ou à durée déterminée [23].
2. servir de moyen de légitimation d’une décision prise et/ou de preuve devant le juge.
L’effet est donc dévastateur pour l’entreprise puisque l’illicéité (reconnue) de son contrôle par géolocalisation rend, de facto, inopérant l’exercice de ses pouvoirs de direction et gestion, ce qui peut même aller jusqu’à la remise en cause du bien fondé de décisions prises, par le passé, en matière de calcul d’une rémunération de salarié [24].
• Géolocalisation illicite = mise en cause de responsabilité patronale
Outre la remise en cause de ses choix et décisions, l’entreprise utilisatrice d’une géolocalisation illicite expose et donc … engage sa responsabilité.
Le juge civil [25] peut, en effet, considérer que le fait, pour l’entreprise, d’utiliser de façon illicite une technologie, à l’occasion et au sein d’une relation contractuelle de travail, constitue de sa part, ou un acte de déloyauté ou une faute grave envers le salarié, l’une et l’autre étant source de préjudice pour lui.
Dans chaque cas, cela motive et donne lieu à réparation et indemnisation du salarié sur la base, ou d’un préjudice autonome et distinct [26], ou des conséquences préjudiciables de la rupture du contrat de travail.
Cette mise en cause de la responsabilité (civile) de l’entreprise pourra intervenir à l’occasion d’une action en contestation d’un licenciement ou par le biais d’une prise d’acte de la rupture par le salarié voire d’une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Par ailleurs, l’entreprise se préoccupera également des recours et moyens d’action judiciaires dont disposent les représentants du personnel, lesquels auront été informés et consultés (pour avis) préalablement à la mise en place de la géolocalisation.
A titre d’illustration, on citera, l’action des délégués du personnel – en suite de l’article L. 2313-2 du Code du Travail – qui leur permet d’obtenir, sous astreinte financière au besoin, le retrait de données et/ou éléments de preuve résultant d’un mode technologique de contrôle réputé illicite ou pouvant présenter ce risque [27].