La société NOVA, propriétaire de la marque française GOURMAND pour des desserts lactés, avait assigné la société concurrente SENOBLE en contrefaçon de marque pour avoir fait usage de l’expression DUO GOURMAND pour commercialiser des produits identiques.
La défenderesse répliqua en contestant la validité de la marque. Elle considérait que celle-ci devait être déclarée nulle, notamment pour défaut de distinctivité, au sens des dispositions de l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle, selon lequel : "le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés. Sont dépourvus de caractère distinctif : a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ; b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service".
Pour étayer sa demande, la société SENOBLE faisait en premier lieu valoir que, à la date du dépôt de la marque, soit en 1997, il existait déjà sur le marché des desserts gourmands par opposition à des desserts allégés et que considérer la marque comme valable entraînerait de jure l’impossibilité pour les concurrents d’utiliser le terme GOURMAND pour présenter leurs propres produits. Le tribunal estima néanmoins sur ce point que les éléments de preuve soumis aux débats par la défenderesse à l’appui de son argumentation étaient "insuffisants à établir que le terme GOURMAND était usuellement utilisé pour désigner des desserts lactés ne serait-ce que par les professionnels eux-mêmes".
En second lieu, la société SENOBLE arguait du fait que le mot GOURMAND déterminait une caractéristique des produits eux-mêmes. Mais le tribunal releva que "le terme Gourmand est un adjectif ou un nom, qui signifie qui mange avec excès ou qui aime manger", que donc "s’agissant d’un trait de caractère, il qualifie celui qui mange et non ce qu’il mange".
La nuance est d’importance puisque la distinctivité du signe s’apprécie bien par référence aux produits désignés et non à l’égard des consommateurs desdits produits. Et les juges du fond de préciser, en réponse à un moyen soulevé par la défenderesse, que "si certaines marques évocatrices ont pu être annulées pour ce motif [d’être évocatrices], encore faut-il souligner que ces marques évoquaient la qualité essentielle du produit désigné au dépôt et non la personnalité du consommateur".
Accessoirement, le tribunal releva avec pertinence que "le terme Gourmand qui est un mot du langage courant pourra toujours être utilisé dans son sens commun dès lors qu’il n’est pas employé à titre de marque par les concurrents ou de manière à créer un risque de confusion constitutif d’une faute à l’origine d’un préjudice pour le titulaire de la marque".
La décision est claire et parfaitement justifiée sur le plan juridique. [1]
Rapprochons-la des décisions portant sur les marques GAY, FEMME et METROSEXUEL que nous avions commentées (V. principalement notre article METROSEXUEL OR NOT METROSEXUEL ?). Une conclusion semble s’imposer, dictée par la Cour de cassation : un signe évocateur du public (et non pour le public) auquel il s’adresse demeure suffisamment distinctif pour être déposé et enregistré à titre de marque française.