L’acquisition de compétences technologiques devient indispensable.
Si la question ne se posait pas il y a encore quelques années, et alors qu’aujourd’hui les offres d’emplois n’en font pas encore état, il semblerait que dans le futur, les juristes seront obligés d’acquérir des compétences en lien avec les LegalTech. « J’ai l’impression que nous sommes en train de changer d’époque, explique Bruno Dondero, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Dans quelque temps, on va demander plus facilement à un avocat de savoir utiliser une plateforme de rédaction d’actes par exemple, car dès lors que les cabinets d’avocats vont utiliser les LegalTech, ils vont vouloir que leurs avocats soient formés en conséquence ».
Et cette formation va nécessairement passer par une sensibilisation, un apprentissage aux technologies utilisées pour concevoir des plateformes ou des outils. Comprendre la logique informatique, comment fonctionne un algorithme, ou encore savoir en quoi consiste le codage sera primordial pour exercer le droit dans un avenir plus ou moins proche.
- Bruno Dondero, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
Pour Bruno Dondero, qui reprend la formule d’un professeur d’Harvard, Lawrence Lessig, « Code is Law. Beaucoup de règles, qui sont des règles relevant du juridique, se trouvent dans les algorithmes. Les créateurs de ces algorithmes vont définir un certain nombre de critères qui, en fonction des données qui leur sont fournies, vont donner telle ou telle solution. Comprendre le code, comment ils ont codé, et réalisé l’outil, c’est comprendre les décisions qui ont été prises par ces créateurs ». C’est donc fondamental pour pouvoir utiliser les LegalTech, mais aussi pour travailler avec ceux qui les conçoivent, les accompagner et donc en retirer tous les bénéfices dans son travail au quotidien.
Mais les compétences juridiques restent le graal pour le juriste…
Attention, il ne faut pas se méprendre ! Si le juriste va devoir développer une sensibilité aux nouvelles technologies et plus si affinités, il doit avant tout être un juriste. Affirmer que tous les juristes devraient savoir coder ou disposer d’une double compétence technologique et juridique semble être irréaliste, voire même réducteur. Car le droit est une matière complexe qui demande un apprentissage pointu et des spécialisations. C’est de son expertise juridique que le juriste tient sa valeur ajoutée.
« Il ne faut pas oublier que même si le droit est facilement accessible grâce à Google, tout le monde n’est pas juriste et en mesure de délivrer une solution juridique, affirme Bruno Dondero. C’est l’intervention d’un juriste qui va permettre de trouver cette solution. Il ne faut pas que les juristes perdent leurs plus-values ».
- Philippe Wagner, Co-fondateur de Captain Contrat
Même discours chez Captain Contrat : la compétence juridique est la première compétence recherchée. « Nous recrutons des personnes qui sont capables de se plonger dans un document juridique, d’en saisir les subtilités, d’avoir une vraie rigueur, à la virgule près, d’être un peu amoureux de l’acte juridique, et à côté de ça, des personnes qui ont un intérêt pour le code, explique Philippe Wagner, co-fondateur de cette start-up. C’est-à-dire qui sont capables de devenir le chef d’orchestre de la rédaction de ce document juridique à travers l’algorithme qu’on développe ».
A la recherche de juristes sensibilisés aux LegalTech, voire « atypiques ».
Hormis les compétences juridiques donc, les directions juridiques, les cabinets d’avocats mais aussi les start-up qui développent les LegalTech recherchent des juristes qui soient en phase avec l’ère numérique. « Idéalement, nous recherchons des juristes qui ont des compétences techniques mais nous n’en trouvons pas », témoigne Philippe Wagner. « Nous recrutons donc des apprentis juristes qui ont un intérêt certain pour les nouvelles technologies afin de pouvoir les former aux bases du langage de la programmation. L’idée n’est pas d’en faire des développeurs informatiques mais de leur transmettre des bases qu’ils vont pouvoir utiliser au service du droit. »
Il en va de même au sein de certains cabinets d’avocats, comme le cabinet Taj notamment spécialisé dans la fiscalité. « C’est un secteur du droit particulièrement propice à des gains d’efficacité grâce à la digitalisation, souligne Sophie Blégent-Delapille, managing partner du cabinet. Nous recrutons de plus en plus de collaborateurs experts dans leur domaine et ayant une appétence technologique, afin de développer des outils propres au sein du cabinet ».
- Sophie Blégent-Delapille, Managing Partner de Taj
Dans une moindre mesure, on voit aussi apparaître des ingénieurs, mathématiciens, informaticiens, développeurs dans les services juridiques qui souhaitent développer des outils pour les professionnels du droit et leurs clients. Parce que chacun a compris ou commence à comprendre que les LegalTech étaient devenues incontournables et synonyme d’un gain de temps et d’efficacité potentiel. « La digitalisation libère du temps utile et convertit du temps à faible valeur intellectuelle en temps à forte valeur ajoutée, poursuit Sophie Blégent-Delapille. C’est pourquoi le cabinet Taj a une politique de recrutement ouverte vers des profils non avocats pour répondre à l’évolution du droit, de la fiscalité mais aussi profiter des outils technologiques. Taj compte des ingénieurs, des docteurs en sciences ou des économistes. Nous nous sommes aussi dotés de purple people, à la fois experts dans leur secteur (bleu) et ayant une connaissance approfondie des nouvelles technologies (rouge) ».
Ces profils dits « atypiques » sont assez rares et intéressent surtout les grandes structures, mais il faudra impérativement repenser la formation des juristes pour les sensibiliser, voire les former à l’utilisation des LegalTech.
Une nécessaire formation aux LegalTech.
Dès le stade de la formation initiale, des enseignements ponctuels sous forme de vidéos, de MOOC, de serious game ou encore des classes virtuelles sur des points particuliers pourraient être mis en place. Ces solutions permettraient de diversifier l’apprentissage des juristes et de mettre un pied dans leur futur environnement. C’est l’un des défis du Programme économie numérique du droit organisé par Open Law et l’ADIJ, qui a élaboré un questionnaire "besoins en formation/métiers du futur" afin de déterminer les formations nécessaires pour les futurs juristes. Car ces derniers ne doivent pas être fermés à l’utilisation des outils propres à leur faciliter le quotidien. Il doit y avoir une sensibilisation au fait que le travail de juriste est un travail à forte valeur ajoutée et qu’il ne passe pas par l’exécution de tâches répétitives. « Il faut mettre les futurs juristes dans un état d’esprit où ils vont voir que le contrat est composé de briques différentes qui peuvent être assemblées à partir d’un algorithme, confirme Philippe Wagner. Par algorithme, on entend avant tout un arbre de décision qui en fonction des réponses à des questions va permettre d’activer telle ou telle clause, telle ou telle rédaction du contrat.
Les avocats qui arrivent à s’imprégner de cette logique informatique aujourd’hui, sont des avocats qui arrivent à gagner énormément de temps parce qu’ils mettent en place des outils, ils voient où ils peuvent gagner en productivité et donc ils arrivent à repositionner leur valeur ajoutée là où c’est une valeur facturable au client. C’est donc important que les étudiants s’approprient cette gymnastique de l’esprit et voient le droit d’une nouvelle façon. »
Vos commentaires
En complément : Dans un article du Monde de novembre 2016 intitulé "Le numérique ne dicte pas sa loi dans les amphis de droit", on apprend hélas que "la place des nouvelles technologies, qui bouleversent les professions juridiques, reste limitée dans les cursus qui y mènent."
Témoignage notamment : « Pas une seule fois les mots start-up juridique ou legaltech n’ont été prononcés pendant mon cursus. » (Justine, en master 2 droit du commerce électronique et de l’économie numérique)
A lire ici : http://www.lemonde.fr/campus/article/2016/11/30/le-numerique-ne-dicte-pas-sa-loi-dans-les-amphis-de-droit_5041023_4401467.html