Comment devient-on "Juriste de demain" ?

Blockchain, Legaltech, intelligence artificielle, open data... et si demain ces termes s’enseignaient dans les facultés de droit ? Hypothèse encore farfelue il y a quelques années, l’association de compétences entre le droit et le numérique est de plus en plus prisée par les cabinets d’avocat et les directions juridiques, soucieux de dénicher la perle rare. Face à une certaine passivité universitaire sur cet aspect (mais qui est en train de disparaître), plusieurs initiatives privées ont vu le jour, permettant au juriste ou aux fonctions supports d’acquérir des connaissances pratiques bien utiles dans le monde professionnel.

Le Village de la Justice vous livre ici des pistes et des idées de formation pour devenir un "Juriste de demain", en attendant le grand salon Transformations du Droit et son pôle "Trajectoires professionnelles" chaque année.

Enjeux.

« Nous, comme bon nombre de Legaltech, rencontrons des problèmes de recrutement. La startup cherche des juristes très formés au numérique... On s’est aperçu qu’il est très dur de trouver les profils qui répondent à nos attentes, alors nous avons proposé de former les acteurs du droit en formation continue ».

En quelques mots, Thomas Saint-Aubin, directeur général de la Legaltech Seraphin.legal, résume le désarroi du monde professionnel face à la pénurie des "juristes de demain", terme utilisé pour décrire les professionnels du droit habiles avec les outils numériques.

Pourtant la création de Seraphin.legal répondait au besoin de repenser le droit dans son nouvel environnement numérique. L’entreprise s’est d’ailleurs focalisée sur les processus contractuels pour simplifier, fluidifier et sécuriser la gestion de contrats en entreprise.

En somme, son objet consiste à aider les cabinets d’avocats à avoir une présence fructueuse sur internet (réalisation de la maquette du site, création de service juridique en ligne etc) et à former leurs employés aux transformations numériques de leur travail.

Ce qui était initialement conçu comme une académie ou une sorte de réserve pour former et recruter les futurs membres des équipes Seraphin.legal a donné lieu à une activité à part entière.
En effet, la demande croît de plus en plus chez les juristes soucieux de se mettre à la page au niveau de la technologie.

La formation en Legaltech est en passe de devenir une nécessité professionnelle.

La formation aux outils proposés par les Legaltechs est devenue une nécessité professionnelle, face à une justice qui elle-même doit recourir à la numérisation pour se moderniser, ce que la loi de programmation et de réforme de la justice de mars 2019 a accéléré. Ce constat, additionné à une formation académique jugée trop théorique par les étudiants comme par certains professionnels, explique la demande grandissante du marché pour des formations qui associent digital et droit au-delà de la connaissance des solutions promues par les Legaltechs. Des startups, des collectifs, mais aussi des formations universitaires se sont positionnées, et proposent désormais des formations novatrices dans ce milieu. Des écoles d’avocats elles aussi réinventent, dans l’espace de liberté qui leur est dévolu par rapport au programme obligatoire du Conseil National des Barreaux, la formation des futurs avocats.

Au-delà, comme le souligne l’Edhec Augmented Law Institute dans ses travaux, de nombreuses compétences digitales sont attendues mais ne doivent pas faire oublier les soft skills qui doivent compléter ces savoirs. Aussi, aujourd’hui, une formation dite “Legaltech” ne doit pas oublier les savoirs qui permettent de faire dialoguer digital et droit bien au-delà de la technique car la demande des cabinets d’avocats comme des directions juridiques évolue et mûrit fortement depuis le début du mouvement.

Des initiatives privées prometteuses et ambitieuses pour se former aux enjeux et à la pratique technologiques dans le domaine du droit.

« Le numérique implique de repenser le rôle du juriste. Dès lors, de nouvelles formations et un socle de compétences renouvelé sont indispensables pour lui permettre de prendre toute sa place dans la société de demain ». Les mots sont limpides, la construction, claire. Ils sont signés par l’association Open Law* le Droit Ouvert, qui regroupe des professionnels du droit, invités à réfléchir au sein de cet espace d’échange et de travail autour de la place et de l’exercice du droit dans des sociétés de plus en plus numérisées.

Bien imprégnés de la thématique de la place du numérique dans le droit, ses membres avaient lancé en avril 2017 le programme « Former les juristes de demain », préfigurant les travaux réalisés par l’Edhec, et qui a été suivie de diverses initiatives telles que la rédaction de tests d’évaluation pour Pix+Droit, “Open Law Badge”, une preuve de concept autour des insignes numériques pour attester de compétences, un autre POC sur l’entraînement à l’exercice en interprofessionnalité, ou encore des ateliers exploratoires en serious games appliqués au droit. Ces productions sont accessibles à tous, conformément à la philosophie d’Open Law.

Donner les clés au juriste pour comprendre les enjeux de demain.

L’approche d’Open Law se veut pluridisciplinaire et interprofessionnelle, et ce afin de garantir une réelle ouverture des perspectives de formation du juriste et la nécessité d’embrasser le numérique qui désormais traverse sa pratique future autant que sa proposition de valeur.

Les sujets autour de la formation sont ainsi un axe de travail transverse assuré de durer, de se renouveler et s’enrichir régulièrement au sein de l’association. En 2021 par exemple, pour faire suite aux saisons précédentes, des parcours thématiques autour de la déontologie ont mobilisé les preuves et enseignements antérieurs telles que l’approche par compétence ou la ludification pour poursuivre les expérimentations.

En parallèle, et parce que la communauté autour de la formation est très engagée et désireuse d’échanger et produire collectivement des ressources communes, un espace dédié à la formation sera aménagé sur le site de l’association.

Toujours sur le thème de démarche pluridisciplinaire visant à familiariser les juristes avec les nouvelles technologies, les "RDV Transformations du Droit" réunissent professionnels du droit, étudiants et entrepreneurs concernés par les aspects innovations et technologies appliquées au Droit. En octobre 2023 le Congrès a accueilli comem chaque année un Village entièrement dédié aux trajectoires professionnelles [1].

A côté de ces initiatives associatives et interprofessionnelles, d’autres enseignements, plus classiques, sont préparés par des startups et entreprises privées. Comme nous l’indique Soazig Le Leuch de Seraphin.legal :
« Nous échangeons quotidiennement de manière informelle avec des juristes qui nous parlent de leurs besoins tech mais également de leurs besoins en termes de formations. L’idée de partager nos compétences à nos clients, nos partenaires et notre communauté est indissociable de notre activité principale en tant qu’éditeur de logiciel. »

« Les retours que l’on a à l’égard de nos formation sont très positifs depuis 4 ans, les participants nous ont affirmé qu’ils ne regarderaient plus jamais le droit de la même façon, ils estiment avoir changé et nombreux sont ceux qui ont pu prendre en main des projets de legal ops au sein de leur DJ », se félicite Thomas Saint-Aubin.

Souvent présentés comme un frein à la formation professionnelle avec les contraintes de temps, les coûts de celle-ci peuvent être remboursés par des dispositifs de financement prévus par la loi. Si le dispositif est complexe de par les conditions de sa mise en place, il permet néanmoins de bénéficier de formations à moindre frais.

De même, la contrainte horaire est aménagée pour ces programmes qui fonctionnent sous forme par exemple de cours du soir.

La formation professionnelle : un droit accessible financièrement pour les plus tenaces !

La législation relative au travail garantit, sous conditions, au fonctionnaire, salarié ou aux personnes exerçant sous le régime libéral le droit à suivre une formation professionnelle, tout en gardant leurs revenus. Autre avantage et non des moindres, les frais de formation, d’hébergement et de transport peuvent être remboursés via des fonds consacrés à cet effet.

Bénéficier de ses droits à la formation pour devenir un "juriste de demain".

Les salariés peuvent quant à eux notamment bénéficier de leur compte personnel de formation (CPF) [2].

Si les juristes désirant se former en Legaltech devront se confronter à ce type d’« obstacles administratifs » pour acquérir des connaissances pratiques, ils peuvent se consoler par le fait que lesdites connaissances ne sont pas demandées systématiquement dans les cabinets de recrutement, conscients de la déficience de la formation universitaire présentée et de l’aspect évolutif de ces compétences.

Ce constat est confirmé par Marie Hombrouck, chasseuse de têtes, fondatrice du cabinet Atorus Executive. « C’est certes pris en compte mais les recruteurs vont plutôt rechercher l’ouverture d’esprit » affirme la recruteuse. « Les défis juridiques de demain, on ne les connaît pas, la crise de la covid que nous vivons en est un parfait exemple ! Tout est en train de se transformer, les directions juridiques ou les professionnels du droit ont plus besoin d’esprits agiles qui pourront s’adapter aux nouvelles évolutions et qui pourront encaisser de nouveaux chocs que de candidats qui accumulent des connaissances théoriques. »

Pour résumer en infographie...

(Cliquez sur l’image pour l’agrandir !)

Infographie réalisée par Maxime Julienne, Juriste.

Où se former pour devenir ce juriste de demain ?

Un domaine émergent, mais déjà plusieurs formations : voici une liste que nous actualiserons régulièrement en y intégrant les prochaines formations qui ne manqueront pas de se créer.

A noter : la Fédération nationale du droit du numérique vient de se créer, afin de réunir les diplômes spécialisés. Informations à retrouver sur son site.

- On commence par le plus récent crée par la faculté de Droit de l’Université Catholique de Lille : le DU Droit et Technologies Numériques qui se décline en 2 certificats universitaires (CU) : Le CU Droit et Transformation Numérique, enseigné en français, se concentre sur la transformation numérique de la pratique du droit. Il permet de développer les compétences nécessaires à une collaboration entre juristes et ingénieurs. Le CU Droit et Société Numérique, enseigné en anglais, qui offre une ouverture sur les enjeux juridique et sociaux de la transformation numérique de la société et un travail concret auprès d’acteurs.

- A Paris 2 Panthéon Assas pour suivre le Diplôme Universitaire "Transformation Digitale du Droit & Legaltech". Dirigé par Bruno Deffains (Professeur de sciences économiques) et Stéphane Baller (DGFLA (Avocat of Counsel chez De Gaulle Fleurance & Associés), ce D.U, qui existe déjà depuis 2017, délivre 166 heures de formation réparties entre un premier semestre pour pouvoir imaginer un projet, un second semestre pour le concevoir et le « pitcher ».

- Autre formation dans la même université, mais dans un cycle supérieur : le Master professionnel "Droit du numérique". Dirigé par Jérôme Passa, ce Master (qui existe depuis 2005) a pour objectif l’étude des enjeux juridiques du numérique.

- A Paris 1 Panthéon-Sorbonne, vous trouverez en formation continue le DU Data/IA - Droit du numérique (anciennement DU Sorbonne IT - Droit du numérique et des données), une formation s’adressant aux professionnels du droit qui, rencontrant des problématiques numériques dans leur pratique ou souhaitant les aborder, entendent acquérir une spécialisation ou compléter certains des acquis de leurs propres expériences en la matière.

- Toujours à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, vous trouverez le DU Transformation numérique du droit (anciennement DU Droit et Informatique). Depuis 2013, ce diplôme entend "favoriser l’insertion professionnelle, par une capacité de recherche et de compréhensions des enjeux numérique émergents ainsi que des bases sur la légistique et la gestion de projets."

- A Paris Sud pour le D.U "Entrepreneuriat, Droit et Digital".. Cette formation proposée par l’Université Paris-Sud et la Clinique Juridique Paris-Saclay (en partenariat avec Creative Valley, l’Ecole 42 et l’HEDAC) est organisée en 4 modules de 30h (d’octobre à début juillet). Son objectif est de former une nouvelle génération de juristes entreprenants et maîtrisant les outils et les stratégies de l’innovation numérique.

- Autre formation pour cette université : le M2 Droit, Entrepreneuriat et Digital Objectif : "apporter les connaissances et compétences nécessaires pour répondre efficacement aux risques juridico-financiers auxquels sont exposés les créateurs d’entreprise en général et les startups en particulier." Il s’adresse aussi bien aux juristes qu’à d’autres profils : juristes, gestionnaires, économistes, développeurs, entrepreneurs, designers.

- Le Centre de Recherches sur le Droit Public (CRDP) de l’Université Paris Nanterre Paris-Nanterre propose un Master 2 "Droit du numérique" permettant d’acquérir des compétences en droit de la propriété intellectuelle, en droit public du numérique, en protection des données personnelles et en cybercriminalité, ainsi que des compétences transversales en gouvernance mondiale de l’Internet et en droit des réseaux.

- A Nîmes en suivant le DU "Justice prédictive et Legaltech". Créé en 2019 par l’Université de Nîmes en partenariat avec la Legal Tech Predictice. La formation est désormais dispensée 100% en ligne.

- A Toulouse, l’Université Toulouse 1 Capitole propose un Master 2 "Droit du Numérique, parcours type Droit et Numérique", avec voie recherche ou professionnelle au choix, et accessible en formation initiale ou en alternance. Au programme notamment : droit de la gestion des données et des réseaux, informatique (algorithme et programmation, modélisation SI), et Culture numérique.

- L’université de Reims - Champagne Ardenne propose depuis juin 2019 un DU "Droit du numérique", axé notamment sur le commerce électronique, les données personnelles, la cybercriminalité et l’appréhension des nouvelles technologies.

- L’université de Rennes-1 dispense un Master 2 Droit du numérique. Sa spécificité est de "former des juristes polyvalents, susceptibles d’occuper non seulement des postes de généralistes du droit des affaires confrontés aux problématiques nouvelles de l’économie de l’information et de l’innovation, mais aussi des fonctions plus spécialisées dans le domaine de la propriété intellectuelle ou du droit du numérique".

- L’université de Cergy propose, pour les fonctions supports, une licence professionnelle assistant juridique parcours "paralegal-tech", pour préparer des secrétaires juridiques, assistants juridiques ou encore formalistes à l’utilisation des outils et logiciels de technologie juridique de plus en plus déployés dans les entreprises et les cabinets.

- L’Université de Corse propose depuis 2018 un Master mention « Droit du numérique, Parcours Services et tiers de confiance numériques » destiné à répondre aux enjeux juridiques de la numérisation de notre société, en formant des juristes capables d’appréhender l’environnement numérique de manière pluridisciplinaire et à s’y insérer.

- Le parcours droit algorithmique et gouvernance des données du Master 2 de l’Université Côte d’Azur, qui a pour finalité "d’offrir une formation originale et innovante sur les enjeux juridiques des deep technologies."

- Celui crée à Montpellier : le DU Legaltech et Law Innovations (certifié par le Codex de Stanford) une formation dans l’air du temps car 100% en ligne, et faisant intervenir avocats, universitaires et grands noms de la legaltech sur 120 heures de cours, dirigée par Simon de Charentenay.

Rédaction du Village de la Justice

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[2Retrouvez les détails de ce dispositif ici.

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Discussions en cours :

  • Article très intéressant, merci.
    Toutes ces formations sont-elles dispensées uniquement en français ? De nombreuses universités en Europe et ailleurs se positionnent sur le sujet mais le manque de formations 100% en anglais freine la mise en place de partenariats et l’attractivité auprès d’étudiants étrangers. Je suis preneur d’informations sur de telles formations s’il en existe !

    • par Rédaction du village , Le 28 avril 2021 à 12:36

      Bonne question ! La Rédac’ va regarder ce sujet.
      Mais il y a déjà de quoi faire avec ces formations destinées à un public francophone ;-) On imagine qu’il y en a en anglais dans d’autres pays.

Bienvenue sur le Village de la Justice.

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