L'affaire EADS : des initiés introuvables, note à propos de la décision de la commission des sanctions de l'AMF du 27 novembre 2009, par Naguin Zekkouti, ATER

L’affaire EADS : des initiés introuvables, note à propos de la décision de la commission des sanctions de l’AMF du 27 novembre 2009, par Naguin Zekkouti, ATER

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Explorer : # information privilégiée # manquement d’initié # autorité des marchés financiers (amf) # retards de livraison

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Par sa décision rendue le 27 novembre 2009 dans le cadre de la très médiatique affaire EADS, l’Autorité des marchés financiers a considéré que les données litigieuses ne constituaient pas des informations privilégiées. Aussi, les personnes poursuivies devaient être mises hors de cause.

Dans sa décision du 27 novembre 2009, la Commission des sanctions de l’AMF a eu à connaître de manquements d’initiés et de manquements à l’obligation d’information permanente, prétendument réalisés par plusieurs dirigeants et actionnaires d’EADS(1). L’Autorité régulatrice avait retenu en avril 2008 un ensemble de griefs visant dix-sept personnes physiques, cadres d’EADS, la société elle-même, ainsi que Daimler et Lagardère, actionnaires privés de référence. La décision rapportée, qui met hors de cause les personnes physiques et morales poursuivies, s’articule autour de trois points.

L’AMF a tout d’abord écarté l’exception d’incompétence formulée en défense ; le régulateur français ne pouvant, selon les personnes poursuivies, connaître de faits relatifs à EADS, société de droit néerlandais(2). Fondée sur l’article 223-2 du Règlement général ainsi que sur les directives « Abus de marché »(3)et « Transparence »(4), cette interprétation extensive des règles de compétence est logique.

S’agissant de l’information privilégiée, la Commission a procédé au rejet de trois griefs, conformément aux dispositions des articles 621-1, 622-1, et 223-2 du Règlement général(5). Ainsi, les éléments d’information litigieux auraient consisté d’une part, en la perception d’un écart entre les indications du plan d’affaires pour 2006-2008/2010 d’EADS et les « attentes du marché », et, d’autre part, à une augmentation significative des coûts de développement du programme A 350. En méconnaissant la teneur de l’article 223-1, EADS aurait notamment communiqué des informations inexactes ou trompeuses sur son taux de marge opérationnelle, ainsi que sur les prévisions de résultat opérationnel pour 2006. A cet égard, l’AMF a estimé que l’écart entre les attentes du marché et les objectifs de marge et de résultats opérationnels d’Airbus et du groupe EADS, tels qu’exprimés dans le plan d’affaires 2006- 2008/2010, ne constituait pas un « ensemble de circonstances » dont il aurait été possible de tirer une conclusion quant à son effet possible sur le cours du titre EADS (exigence de précision), et qui aurait pu mettre un « investisseur raisonnable » en mesure d’utiliser cette information « comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement » (exigence de sensibilité). Dès lors que les données visées n’étaient ni précises, ni sensibles, l’AMF a logiquement exclu la qualification d’information privilégiée, en application de l’article 621-1 du Règlement général.

Enfin, relativement à l’information liée aux retards de livraison de l’A380, la Commission a écarté le grief formulé à l’encontre de 7 cadres du groupe auxquels il était reproché d’avoir, entre le 8 et le 21 mars 2006, procédé à des ventes de stock-options en utilisant cette information privilégiée. L’information concernait ainsi non pas une donnée financière telle que la connaissance de résultats ou de l’imminence d’une opération sur le capital, mais une donnée de type industriel, à savoir la connaissance de retards de fabrication du gros porteur A380(6). L’AMF a considéré que la connaissance de ces retards(7) ne constituait pas une information privilégiée, dès lors qu’elle ne présentait pas les caractères d’une information précise qui, « si elle était rendue publique serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers ». En se fondant exclusivement sur les données existant à la date des faits reprochés(8), la Commission a ainsi retenu qu’en l’absence d’influence sensible sur le cours du titre, l’information litigieuse ne constituait pas une information privilégiée.

Cette solution repose sur trois considérations.

Premièrement, la décision commentée retient que les difficultés du processus industriel évoquées « n’apparaissaient pas […] comme étant d’une nature substantiellement différente de celles usuellement rencontrées en matière aéronautique et susceptibles d’être surmontées par la mise en œuvre de mesures d’amélioration du processus de production »(9). Deuxièmement, ces retards ou difficultés du processus industriel constituaient alors une « préoccupation habituelle à ce stade de la fabrication et sans commune mesure avec celle, primordiale, car conditionnant l’ensemble du processus de livraison, relative à la nécessité d’obtenir en temps utile la certification de l’appareil »(10). Troisièmement, le programme élaboré au cours de l’année 2006 pour adapter le planning de production antérieur maintenait à 26, contre 27 antérieurement, le nombre des livraisons prévues pour 2006 et 2007, et s’agissant du calendrier de ces livraisons, prévoyait que 7 d’entre elles seraient retardées de deux mois au plus ; les 19 autres étant affectées de délais supplémentaires ne variant qu’entre 3 et 5 mois(11) .

Compte tenu de l’ampleur médiatique de l’affaire, on peut se féliciter, au-delà d’une lecture purement technique de la décision, de ce que l’AMF a su résister aux pressions tant politiques que médiatiques. Bien que l’absence de condamnation prononcée puisse n’être pas « du plus bel effet »(12), l’idée selon laquelle l’Autorité des marchés financiers sortirait en définitive renforcée de cette affaire mérite d’être approuvée. En dépit de questions de procédure et de compétence qui font l’objet d’un débat récemment soumis aux juridictions communautaires(13), la décision du 27 novembre 2009 montre, si besoin était, que les différents organes constitutifs de l’Autorité de régulation fonctionnement de manière plutôt harmonieuse, et en toute indépendance, en conformité avec les exigences de l’Etat de droit.
L’affaire EADS n’est toutefois pas finie. Elle se poursuit actuellement, sur le tterrain pénal, au pôle financier de Paris.

Naguin Zekkouti

ATER en droit privé à l’Université Jean Moulin Lyon III


(1) AMF, Déc. Commission des sanctions, 27 novembre 2009, http://www.amf-france.org/documents/general/9260_1.pdf

(2) La procédure relative aux notifications de griefs était également contestée par les parties.

(3) Directive n° 2003/6/CE du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché.

(4) Directive n° 2004/109/CE du 15 décembre 2004 sur l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé.

(5) Ainsi que l’avait préconisé son rapporteur. On ajoute qu’il s’agit ici tantôt d’un éventuel manquement d’initié, tantôt d’un manquement aux règles relatives à l’information permanente.

(6) Lesquels avaient été évoqués lors de la réunion de deux instances d’Airbus, les 17 février et 1er mars 2006.

(7) Distincts de ceux ayant constitué la matière du communiqué du 13 juin 2006, à la suite duquel le cours du titre EADS a baissé de 26 %.

(8) A l’exclusion notamment des éléments d’informations produits dans un communiqué du 13 juin 2006.

(9) Ces difficultés étaient de bien moindre ampleur que celles, distinctes, ayant donné lieu au communiqué du 13 juin 2006.

(10) Laquelle est intervenue en décembre 2006 avant la date prévisionnelle de livraison du premier appareil.

(11) L’Autorité de marché a ainsi estimé en cela ce plan différait « fondamentalement » de celui ayant donné lieu au communiqué du 13 juin, qui ne prévoyait plus que la livraison de 10 appareils jusqu’à la fin de l’année 2007.

(12) J-J Daigre, Note, Bull. Joly Bourse, 15 décembre 2009 n° 6, p. 451. A tel point que selon J-P Jouyet, « il y aura pour l’AMF un avant EADS et un après », Le Figaro, 18 décembre 2009.

(13) Voir notamment en ce qui concerne l’interprétation faite par l’AMF des directives financières « Abus de marché » et « Transparence ». Voir à cet égard CJCE, 23 décembre 2009, affaire C-45/08.

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