L’arbitrage commercial, mode alternatif de règlement des différends en plein essor, est encadré par des législations spécifiques dans chaque pays. La France, avec Livre IV : L’arbitrage [1] du Code de procédure civile (CPC), et le Maroc, avec la loi n° 95-17 du 24 mai 2022, offrent des cadres distincts pour contester les sentences arbitrales, notamment à travers le recours en annulation. Cet article propose une analyse comparative des dispositions relatives au recours en annulation dans ces deux systèmes juridiques.
I. Fondements et caractères du recours en annulation.
Tant en France qu’au Maroc, le recours en annulation se distingue de l’appel et constitue une voie de recours spécifique à l’arbitrage, axée sur le contrôle de la légalité de la sentence plutôt que sur la révision au fond.
France : le recours en annulation est subsidiaire à l’appel (lorsque celui-ci est conventionnellement ouvert). Il est d’ordre public, toute stipulation contraire à la possibilité de l’exercer étant réputée non écrite. Les cas d’ouverture sont limitativement énumérés à l’article 1492 du CPC.
Maroc : le recours en annulation est la voie de recours de droit commun contre les sentences arbitrales internes, l’appel étant totalement exclu. Il est également d’ordre public, toute renonciation anticipée étant inopérante [2]. Les cas d’ouverture sont limitativement prévus à l’article 62 de la même loi.
Points de convergence : les deux systèmes consacrent le caractère d’ordre public du recours en annulation et limitent les motifs susceptibles de le fonder, excluant une révision au fond de la décision des arbitres.
Divergences notables : la France distingue l’appel (ouvert conventionnellement) du recours en annulation, tandis que le Maroc exclut l’appel pour les sentences arbitrales.
II. Conditions de recevabilité.
France : le recours doit être exercé dans le délai d’un mois suivant la notification de la sentence. La qualité de partie à la procédure arbitrale est requise.
Maroc : le délai est de quinze jours à compter de la notification de la sentence [3]. La qualité de partie est également exigée.
Points de convergence : un délai de forclusion court à compter de la notification de la sentence, et la qualité de partie à l’arbitrage est une condition de recevabilité.
Divergences notables : le délai pour exercer le recours est plus court au Maroc (quinze jours contre un mois en France).
III. Cas d’ouverture du recours en annulation.
Les deux législations prévoient des motifs spécifiques et limitatifs d’annulation, bien que leur formulation et leur étendue puissent varier.
France [4] :
Le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent.
Le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué.
Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée (ultra petita).
Le principe de la contradiction n’a pas été respecté.
La sentence est contraire à l’ordre public.
La sentence n’est pas motivée ou ne comporte pas les mentions obligatoires (article 1480 CPC).
Au Maroc [5] :
La sentence arbitrale a été prononcée en l’absence de convention d’arbitrage, sur convention nulle ou après expiration du délai d’arbitrage.
Le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé.
Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à sa mission (ultra petita).
Les dispositions des articles 50, 51 et 52 de la loi 95-17 n’ont pas été observées (concernant le délibéré, le secret des délibérations, la signature, la forme écrite, les mentions obligatoires et la motivation).
Le droit de la défense n’a pas été respecté.
La sentence arbitrale est contraire à une règle d’ordre public.
Les formalités de procédure convenues entre les parties ou la loi applicable convenue entre les parties n’ont pas été respectées.
Points de convergence : les deux systèmes prévoient l’annulation en cas d’incompétence du tribunal, d’irrégularité de sa constitution, de dépassement de sa mission (ultra petita), de violation de l’ordre public, et de manquements relatifs à la motivation et aux mentions obligatoires de la sentence. Le non-respect du principe de la contradiction (France) est similaire au non-respect du droit de la défense (Maroc).
Divergences notables : la loi marocaine est plus explicite concernant les conséquences de l’absence, de la nullité ou de l’expiration du délai de la convention d’arbitrage. Elle inclut également un motif spécifique lié au non-respect des formalités de procédure ou de la loi applicable convenue par les parties, ainsi que des dispositions détaillées concernant les règles formelles de la sentence [6].
IV. Effets du recours en annulation.
France : le recours en annulation a un effet suspensif sur l’exécution de la sentence [7]. La cour d’appel peut prononcer une nullité totale ou partielle et, sauf volonté contraire des parties, statue sur le fond du litige dans les limites de la mission de l’arbitre (article 1493 CPC).
Maroc : le recours en annulation suspend également l’exécution de la sentence [8]. La cour d’appel peut prononcer une nullité totale ou partielle [9]. L’article 63 de la loi n° 95-17 prévoit que, sauf convention contraire, la cour statue sur le fond du litige dans les limites de la mission du tribunal arbitral, sauf en cas d’annulation pour absence ou nullité de la convention d’arbitrage, où un accord préalable des parties est requis pour une telle saisine.
Points de convergence : dans les deux systèmes, le recours en annulation a un effet suspensif et la cour d’appel a la possibilité d’annuler la sentence totalement ou partiellement.
Divergences notables : la loi marocaine subordonne la saisine de la Cour d’appel sur le fond, en cas d’annulation pour absence ou nullité de la convention d’arbitrage, à un accord préalable des parties, ce qui introduit une nuance par rapport au système français où la cour statue en principe sur le fond sauf volonté contraire.
V. Conclusion.
L’analyse des systèmes français et marocain du recours en annulation contre les sentences arbitrales révèle deux conceptions distinctes du contrôle juridictionnel, chacune reflétant les priorités de son ordre juridique national.
Le système marocain privilégie une approche moniste rigoureuse où le recours en annulation s’impose comme voie unique et impérative. En excluant totalement l’appel et en fixant un délai particulièrement court de 15 jours à compter de la notification, le législateur marocain affirme une volonté claire de finalité rapide des procédures arbitrales. L’article 61 de la loi n° 95-17, en consacrant le caractère d’ordre public de ce recours, établit un équilibre entre la stabilité des sentences et la protection contre les irrégularités fondamentales énumérées à l’article 62.
Le modèle français adopte une structure plus complexe où le recours en annulation est subsidiaire à l’appel lorsque celui-ci est ouvert par convention. Cette architecture procédurale, articulée autour des articles 1489 à 1492 du CPC, témoigne d’une conception plus souple du contrôle judiciaire, respectueuse de l’autonomie des parties tout en garantissant un socle minimal de surveillance juridictionnelle d’ordre public.
Cette étude comparative interne souligne comment chaque système juridique, tout en partageant l’objectif commun de contrôle de légalité, a développé des mécanismes procéduraux propres, reflétant sa culture juridique et ses priorités en matière d’arbitrage. La compréhension fine de ces régimes nationaux constitue un prérequis essentiel pour toute stratégie contentieuse post-arbitrale efficace.