Environ 300 000 français vivent aux États-Unis à ce jour.
Les rencontres amoureuses et la construction des familles ne s’arrêtent donc plus au village d’à côté, mais s’étendent facilement par-delà les frontières.
Dès lors, il est courant que des décisions de justice rendues à l’étranger (notamment aux Etats-Unis) soient présentées en France pour y être reconnues.
Ce processus de présentation s’appelle « exequatur ».
La procédure d’exequatur permet à une décision étrangère de produire des effets juridiques en France. Or, toutes les décisions étrangères ne sont pas automatiquement reconnues, le juge français restant indépendant et souverain dans la reconnaissance de ces décisions.
C’est notamment le cas lorsque la décision est jugée contraire à l’ordre public international français. Cet ordre public international français est constitué d’un ensemble de principes fondamentaux que la France considère comme essentiels à sa vision de la justice, de la morale, et de l’organisation de la société.
Tel est le cas notamment des refus de reconnaissance des mariages polygames ou des atteintes au droit à un procès équitable.
L’ordre public international français permet de filtrer ce qui est acceptable ou non en France quand une situation implique une autre culture ou un autre pays. Il ne s’applique que dans les cas internationaux et uniquement quand c’est nécessaire pour protéger des valeurs jugées fondamentales par les juridictions françaises.
Or, dans une décision récente du 11 décembre 2024, la Cour de cassation a été confrontée à une demande de reconnaissance en France d’une adoption prononcée aux États-Unis.
Le jeune Fu est né le 8 juillet 2017.
Le 22 janvier 2018, un tribunal américain (Etat de l’Utah), a accueilli la demande d’adoption présentée par M. K de l’enfant mineur Fu.
Cette adoption a mis fin de manière permanente aux droits des parents biologiques, et dit que l’enfant portera désormais le nom de K Fu.
M. K aura dorénavant la même relation juridique à son égard que s’il était naturellement de lui, y compris les droits et devoirs relatifs à l’assistance et aux successions.
M. K, agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de l’enfant, a assigné (attaqué en justice) le procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Paris pour voir prononcer l’exequatur de cette décision.
Le juge français a indiqué dans sa décision que :
« En matière d’adoption, le juge de l’exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d’équivalent qui lui sont fournis, de connaître les circonstances de l’adoption et de s’assurer qu’il a été constaté que ses parents ou ses représentants légaux y ont consenti dans son principe comme dans ses effets.
La cour d’appel a relevé que s’il était constant que la compétence du juge américain et l’absence de fraude n’étaient pas contestées, le jugement ne contenait aucune motivation. En particulier, il ne faisait état ni de l’existence du consentement à l’adoption des parents ou des représentants légaux de l’enfant, dont l’identité n’était pas précisée, ni des conditions de recueil de l’enfant.
Elle a estimé que les attestations des 25 mai 2021 et 15 mars 2023, improprement qualifiées de certificat de coutume et établies, par un avocat du cabinet chargé par M. [K] des démarches judiciaires américaines pour l’adoption, postérieurement au jugement et directement à l’intention du juge français, étaient inopérantes. Elle a constaté qu’invité à produire des éléments de nature à servir d’équivalent à cette motivation défaillante, notamment la requête visée par le jugement, M. [K] n’avait pas souhaité le faire ».
Dit plus simplement, la décision américaine ne précisait pas si les parents biologiques avaient consenti à l’adoption, ni dans quelles conditions l’enfant avait été recueilli.
La Cour de cassation a estimé que cette absence d’informations essentielles rendait la décision étrangère contraire à l’ordre public international français. Par conséquent, elle a refusé de reconnaître l’adoption en France.
Dans le contexte des adoptions, cela signifie que la France s’assure que les droits de l’enfant et des parents biologiques ont été respectés, conformément à ses propres standards juridiques et éthiques.
Cette décision s’inscrit dans une série de jurisprudences où la Cour de cassation a refusé de reconnaître des adoptions étrangères en raison de leur contrariété à l’ordre public international français :
- Cour de cassation, 7 juin 2012, n° 11-30.262 : la Cour a refusé la reconnaissance d’une adoption prononcée à l’étranger par un couple non-marié de même sexe, estimant que cela contrevenait à un principe essentiel du droit français de la filiation.
- Cour de cassation, 15 janvier 2020, n° 18-24.261 : la Cour a rappelé que le juge de l’exequatur doit vérifier que la décision étrangère ne contient rien de contraire à l’ordre public international français, y compris les droits reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme.
Pour autant, la position de la Cour de cassation est étonnante et il y a fort à parier que le requérant, M. [K] portera l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
En effet, il est à rappeler l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme :
« Droit au respect de la vie privée et familiale
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Or, Fu est né le 8 juillet 2017 et a été adopté le 22 janvier 2018, soit 6 mois et 14 jours après la naissance de l’enfant.
La décision de la Cour de cassation est intervenue près de 7 ans après l’adoption de Fu de sorte qu’il existe un motif sérieux d’atteinte à la vie privée et familiale en ne reconnaissant pas, pour des motifs d’ordre international privé français, l’adoption par M. K de l’enfant Fu.
Ici, il sera facilement démontrable par Monsieur K, un lien familial stable et durable avec son fils adoptif.
Ne pas reconnaitre cette filiation établie depuis l’intégralité de sa vie terrestre pose un acte d’atteinte à l’intérêt de l’enfant.
À noter enfin, que la CEDH a condamné la France en 2014 pour avoir refusé de reconnaître le lien de filiation d’enfants nés à l’étranger, ce qui portait atteinte à leur identité et leur vie familiale [1].
Si cette posture de la Cour de cassation renforce la définition de l’ordre public international français, cela n’est pas sans rappeler que la France est fortement condamnée par la Cour EDH pour ses positions attentatoires à la Convention européenne des droits de l’Homme.
Version anglaise.
When French Courts Refuse to Recognize an American Adoption : A Matter of Public Policy
Around 300 000 French nationals currently live in the United States.
Love and family-building are no longer confined to the next village over - they easily cross borders.
As a result, it is increasingly common for court decisions made abroad (particularly in the United States) to be submitted in France for legal recognition.
This process is known as " exequatur ".
The exequatur procedure allows a foreign court ruling to have legal effect in France. However, not all foreign decisions are automatically recognized, as French judges retain independent and sovereign authority to decide whether to recognize such decisions.
This is especially true when a foreign judgment is deemed contrary to French international public policy. This international public policy consists of fundamental principles that France considers essential to its conception of justice, morality, and societal organization. For example, France refuses to recognize polygamous marriages or rulings that violate the right to a fair trial.
French international public policy serves as a filter, determining what is acceptable in France when a case involves a different culture or legal system. It applies only in international matters and only when necessary to protect values that French courts consider fundamental.
A recent decision by the Cour de cassation (France’s highest court), dated December 11, 2024, dealt with a request to recognize in France an adoption decree issued in the United States.
The child, Fu, was born on July 8, 2017.
On January 22, 2018, a court in the state of Utah granted a petition filed by Mr. K to adopt the minor child, Fu.
The adoption permanently terminated the parental rights of the biological parents and ordered that the child would henceforth bear the name K Fu.
Mr. K was granted the same legal relationship to the child as if he were the biological parent, including rights and duties related to care and inheritance.
Acting both in his own name and as the legal representative of the child, Mr. K filed a petition with the Paris judicial court to have the adoption recognized in France through the exequatur procedure.
In its ruling, the French judge stated that “In matters of adoption, the exequatur judge must be able, either through the reasoning provided in the foreign judgment or through equivalent supporting documents, to understand the circumstances of the adoption and to ensure that it has been confirmed that the parents or legal representatives gave their consent - both to the principle and to the consequences of the adoption.”
The appellate court found that, while the jurisdiction of the American judge and the absence of fraud were not disputed, the judgment lacked any reasoning. In particular, it failed to mention whether the biological parents or legal guardians had consented to the adoption, did not identify them, and did not explain the circumstances under which the child was taken in.
The court further found that affidavits dated May 25, 2021 and March 15, 2023 - erroneously labeled as "certificates of customary law" and drafted by an attorney from the law firm handling Mr. K’s U.S. adoption proceedings, specifically for the French court and after the original judgment - were not sufficient. When asked to provide supporting documentation that could compensate for the lack of reasoning, such as the original adoption petition referenced in the judgment, Mr. K declined to do so.
In simpler terms, the American ruling did not clarify whether the biological parents had consented to the adoption or under what conditions the child had been placed with Mr. K.
The Cour de cassation concluded that the absence of these essential details rendered the U.S. decision incompatible with French international public policy. As a result, it refused to recognize the adoption in France.
In the context of adoption, this means that France ensures the rights of the child and the biological parents were respected, in line with its own legal and ethical standards.
This decision is part of a broader line of case law in which the Cour de cassation has refused to recognize foreign adoptions because they violated French international public policy :
- Cour de cassation, June 7, 2012, No. 11-30.262 : the Court refused to recognize an adoption granted abroad by an unmarried same-sex couple, ruling that it violated a fundamental principle of French parentage law.
- Cour de cassation, January 15, 2020, No. 18-24.261 : the Court reaffirmed that exequatur judges must ensure that foreign judgments do not conflict with French international public policy, including rights protected under the European Convention on Human Rights.
Nonetheless, the Cour de cassation’s stance is surprising, and it is highly likely that Mr. K will bring the case before the European Court of Human Rights (ECHR).
Indeed, it is worth recalling Article 8 of the European Convention on Human Rights :
" Right to respect for private and family life "
1. Everyone has the right to respect for his private and family life, his home and his correspondence.
2. There shall be no interference by a public authority with the exercise of this right except such as is in accordance with the law and is necessary in a democratic society in the interests of national security, public safety, the economic well-being of the country, the prevention of disorder or crime, the protection of health or morals, or the protection of the rights and freedoms of others.
Fu was born on July 8, 2017 and adopted on January 22, 2018 - just 6 months and 14 days later.
The Cour de cassation’s ruling came nearly seven years after Fu’s adoption, raising a serious concern about a violation of the right to private and family life by refusing to recognize, for reasons of French private international law, the adoption of Fu by Mr. K.
Here, Mr. K will easily be able to demonstrate a stable and lasting family relationship with his adopted son.
Refusing to recognize a parent-child relationship that has existed for the child’s entire life constitutes a violation of the child’s best interests.
It is also worth noting that in 2014, the ECHR condemned France for refusing to recognize the parentage of children born abroad, stating that such a refusal harmed their identity and family life (Mennesson v. France).
While the Cour de cassation’s position strengthens the definition of French international public policy, it also underscores how often France has been condemned by the ECHR for violating the European Convention on Human Rights.