Arnaques financières : les contours du devoir de vigilance du banquier.

Par Anne Bernard-Dussaulx, Avocat.

2648 lectures 1re Parution: 3.61  /5

Explorer : # escroqueries financières # responsabilité bancaire # devoir de vigilance # indemnisation des victimes

Les victimes d’escroquerie aux investissements peuvent dans certains cas engager la responsabilité de leur banque pour manquement à son obligation de vigilance et obtenir ainsi l’indemnisation de leur préjudice.

-

Les escroqueries aux investissements font chaque année toujours plus de victimes : FOREX, options binaires, diamants, terres rares, parts de SCPI, EHPAD, parkings, cheptels bovins, vin etc.
Les escrocs ne manquent pas d’imagination pour inciter leurs victimes à investir l’intégralité de leurs économies sur des produits aux rendements alléchants mais, bien souvent, inexistants. Après quelques mois d’existence, les sociétés de courtage frauduleuses disparaissent avec l’argent de leurs victimes.

Ces réseaux opérant en général depuis l’étranger, les auteurs de ces escroqueries sont très rarement identifiés et les plaintes des victimes sont en général classées sans suite.

Peut-on, dans ce contexte, engager la responsabilité de la banque de la victime pour manquement à son devoir de vigilance afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de la perte des fonds détournés ?

Bien qu’encore balbutiante, une jurisprudence se dessine pour retenir la responsabilité de la banque lorsque celle-ci n’a pas détecté les anomalies affectant le fonctionnement du compte bancaire de son client et/ou ne l’a pas alerté sur les risques encourus [1].

En défense les banques invoquent systématiquement leur devoir de non-immixtion pour justifier leur inertie face à la multiplication de virements aux montants exorbitants à destination de banques souvent situées à l’étranger.

En réponse, les tribunaux rappellent que le devoir de non-immixtion cesse là où le devoir de vigilance commence et condamnent les banques à indemniser leurs clients.

Le tribunal judiciaire de Nanterre [2] a récemment jugé que :

« selon le principe de non-immixtion, le banquier n’a pas à se substituer à son client dans la conduite de ses affaires, ni à intervenir pour empêcher son client d’effectuer un acte irrégulier, inopportun ou dangereux. Ainsi la banque n’a pas à effectuer de recherches ni à demander des justificatifs particuliers pour s’assurer que les opérations sollicitées sont régulières.

Cependant dans le cadre de ses obligations contractuelles, pèse sur le banquier une obligation générale de vigilance qui l’oblige à tenter de déceler les irrégularités ou les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, sur les opérations de son client ».

Pour relever l’existence d’une anomalie intellectuelle dans le fonctionnement du compte, les tribunaux retiennent les critères suivants :
- Le montant élevé et inhabituel des virements ;
- Les destinataires inconnus ;
- Le libellé des virements ;
- Le nom des bénéficiaires ;
- Les comptes destinataires situés à l’étrangers ;
- L’existence d’une fraude répandue et connue des banques.

Dans une affaire dans laquelle l’un de nos clients avait "donné" près de 110 000 euros à une société de courtage frauduleuse sans aucune réaction de sa banque, le tribunal judiciaire de Nanterre a ainsi jugé que :

« les huit virements frauduleux se distinguaient des opérations habituelles de M. X par leur montant élevé et inhabituel, au profit de trois sociétés destinataires étrangères et inconnues et dont le libellé pouvait attirer l’attention de la banque sur le caractère suspect des opérations. Le montant cumulé des virements est en effet élevé et déconnecté du fonctionnement habituel du compte bancaire de M.X, qui a débité non seulement son compte courant mais également son compte sur livret. Par ailleurs ces virements ont été répétés sur une très courte période, autant d’éléments qui auraient dû alerter la banque ».

Le Tribunal a condamné la banque à lui verser la somme de 35 460 euros et à prendre en charge une partie des frais d’avocat.

Lorsqu’une faute de la Banque est retenue par les Tribunaux, le préjudice de la victime s’analyse en une perte de chance. La question est en effet de savoir si la victime aurait renoncé à faire les virements litigieux si sa banque l’avait alertée. Dans le doute, l’indemnisation allouée ne peut être équivalente à la totalité des sommes perdues et varie, selon les circonstances, entre 30 % et 80 % des montants investis.

En cas d’escroquerie aux investissements, il est conseillé de faire appel à un avocat spécialisé pour exercer votre recours contre votre banque.

Anne Bernard-Dussaulx
Avocat au Barreau de Paris
anne.dussaulx chez richemont-delviso.com
www.richemont-delviso.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

18 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Notamment TJ Clermont Ferrand, 18 octobre 2021, RG n°20/02341 ; TJ Bordeaux, 8 novembre 2021, RG n°18/11288 ; TJ Angoulême, 8 juillet 2022, RG n°20/00838 TJ Strasbourg, 25 octobre 2022, 20/03682 ; TJ Nanterre, 17 juin 2022, RG n° 19/00559.

[2TJ Nanterre 2 décembre 2022 19/05201.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs