Village de la Justice : Votre association œuvre depuis 1989 pour l’accès au droit et la médiation, notamment. Concrètement, cela passe par quels moyens ?
Sabine Morel : « L’association Amely [1] traite les conflits de la vie quotidienne sur la Métropole de Lyon par le biais de l’accès au droit et de la médiation citoyenne :
- L’accès au droit est assuré par des juristes salariés de l’association, lors de permanences au sein de quartier d’une vingtaine de communes de la métropole de Lyon, ainsi qu’au sein de trois maisons de justice et du droit ; ce sont des permanences de 3 à 4 heures en moyenne, où les juristes reçoivent sur rendez-vous des personnes en demande d’informations juridiques précises sur leur situation. Il s’agit d’un accès au droit généraliste, où les juristes traitent de tout type de demande [2].
- Sabine Morel, Directrice d’Amely
Les juristes informent sur les droits et obligations, aident à la rédaction de courriers de nature juridique et orientent vers les professionnels adaptés à la situation de l’usager (avocat, notaire, etc.) ; ils sont aussi formés à la médiation pour proposer ce moyen de règlement amiable du conflit aux usagers, c’est d’ailleurs une des spécificités d’Amely : l’articulation entre accès au droit et médiation avec l’accès au droit comme point d’entrée pour promouvoir la médiation quand elle est envisageable.
Nous assurons aussi des permanences d’accès au droit spécifiques au plus près des besoins : par exemple, sur un des territoires de la Métropole par exemple, des permanences d’accès au droit sont assurées avec l’objectif de proposer une entrée neutre pour les femmes victimes de violences conjugales qui ne portent pas plainte, en étroite collaboration avec une association d’aide aux femmes victimes spécialisée.
Nous assurons également des permanences d’accès au droit au plus près des sans-abris, au sein de trois accueils de jours qui les reçoivent, et aussi auprès d’un CCAS ; en partenariat avec les travailleurs sociaux.
- La médiation est appelée "citoyenne" à Amely, car elle est assurée par des habitants volontaires et bénévoles que nous recrutons et formons chaque année [3] ; ce sont aussi des permanences sur rendez-vous sur les mêmes lieux que l’accès au droit à des horaires et jours différents ; les équipes de médiateurs sont constitués de quatre à cinq personnes, de tous profils et qui réalisent les médiations toujours en binôme ; en 2022, 548 dossiers de médiation ont été traités par les 54 médiateurs d’amely [4].
Notre association perçoit des subventions pour assurer ses permanences gratuites pour les personnes, de la part de l’État (politique de la ville), des communes, de la métropole et de la justice ; AMELY est d’ailleurs labellisée « Point-justice » et fait partie du conseil d’administration du Conseil Départemental d’Accès au Droit (CDAD) du Rhône. »
V.J : S’agissant de l’accès au droit justement : cela passe aussi par une meilleure compréhension du droit et de la justice. Langage clair, legal design par exemple sont-ils des outils que vous connaissez et qui font partie de vos sources pour améliorer cet accès ?
S.M : « Les permanences d’accès au droit effectuées par les juristes d’Amely permettent aux usagers de pouvoir décrypter les droits accordés ou non par les administrations et autres démarches nécessitant des courriers et/ou la constitution de dossiers juridiques. L’accès au droit contribue ainsi à "gommer" le sentiment d’inégalité et/ou de discrimination que peuvent avoir certains usagers fragilisés et ayant un sentiment d’impuissance (chômeurs, femmes seules, immigrés…). Ce sentiment découle du fait de la méconnaissance qu’ils ont des textes juridiques ou des démarches à accomplir. Le fait d’expliquer et de mettre ainsi à leur portée le « jargon »juridique permet ainsi d’atténuer le sentiment de disqualification en raison de sa différence d’origine, sociale, ethnique ou culturelle. Ainsi l’identification du problème permet de savoir quels outils permettront de lutter contre les inégalités. Les juristes s’adaptent constamment pour permettre aux usagers de comprendre mieux ce qui leur arrive et y répondre ; nous connaissons ces outils et les utilisons quelques fois mais pas la majorité du temps.
En plus de la formation continue technique, nos juristes participent à des réunions d’analyse des pratiques assurées par un intervenant extérieur afin de perfectionner l’approche du public, la gestion des émotions, l’approche de compréhension mutuelle. »
V.J : Concernant la médiation, vous intervenez notamment en milieu scolaire : quel est le but ? Diriez-vous que vous “acculturer” ainsi les enfants et les adolescents à l’amiable ? Quel recul avez-vous à l’heure actuelle sur ces interventions, est-ce une réussite ?
S.M : « La médiation scolaire par les pairs est un outil proposé aux élèves pour les aider à résoudre des conflits qui surgissent entre eux. Les élèves médiateurs sont volontaires et aident des camarades en conflit à rechercher des solutions au cours d’entretiens et de rencontres. Ce processus éducatif repose sur l’apprentissage par les élèves de techniques de communication et de résolution des conflits. Il leur permet de travailler sur une autre approche de la relation facilitant ainsi une diminution des tensions et un climat scolaire plus serein.
En plus de travailler à une gestion apaisée des conflits entre élèves, la médiation scolaire participe à ancrer dès le plus jeune âge une culture de la médiation. Cela permet non seulement de travailler sur l’ambiance en général de l’établissement scolaire mais aussi dans le cadre d’un processus éducatif, d’intervenir auprès des élèves plus particulièrement touchés par la précarité et les difficultés sociales engendrant des difficultés relationnelles entre eux :
- Les élèves découvrent ainsi la notion de conflit (les bienfaits, les limites, les dérapages vers une violence souvent massive et destructrice).
- Ils apprennent à trouver des arguments pour justifier leurs attitudes. Ils découvrent que les mots peuvent devenir efficaces dans le cadre d’une gestion maîtrisée d’un conflit (rituel de médiation).
- Durant la formation, un travail est effectué sur le respect, la tolérance, l’écoute active, la politesse, la confiance, la gestion des comportements (agressivité, angoisses, tensions) et la maîtrise des émotions (la sienne et celle des autres).
- Les élèves deviennent les acteurs d’un projet majeur dans leur école ou leur collège.
- Ils apprennent à se positionner de manière plus lucide par rapport à la règle et à devenir les acteurs de leur propre destin d’élève mais aussi de citoyen.
On peut considérer que c’est une réussite dans la mesure où nous allons fêter les 30 ans de la médiation scolaire à Amely le 21 mars 2024 !
Nous intervenons auprès de plus en plus d’établissements (67 par an actuellement) sur la région Auvergne Rhône Alpes ; 766 médiations ont été recensées et finalisées dans les établissements scolaires en 2022/2023, et les "élèves médiateurs" sont près de 1 500.
Nous avons aussi développé d’autres actions en milieu scolaire complémentaires autour du vivre ensemble (gestion de conflits, citoyens, prévention du harcèlement). »
V.J : Travaillez-vous en partenariat avec les professionnels du droit : avocats, magistrats, médiateurs… ou autres ?
S.M : « Nous travaillons en partenariat avec les professionnels du droit, notamment dans le cadre de notre investissement au sein du Conseil départemental d’accès au droit du Rhône, où les ordres des avocats, des notaires, et des huissiers sont représentés mais aussi les autres associations intervenant sur le champ de l’accès au droit et de l’aide aux victimes ; nous travaillons également dans le cadre aussi de l’accès au droit assuré au sein des Maisons de Justice avec les partenaires y intervenant (conciliateurs, défenseurs des droits, avocats, services de probation,etc., ou encore sur les quartiers avec les partenaires locaux : centres sociaux, travailleurs sociaux, équipements de quartier, etc. »
V.J : D’autres associations de ce type existe-t-elle en France ?
S.M : « Oui, nous faisons d’ailleurs partie depuis 2006 du réseau national d’accès au droit et de médiation (RENADEM) qui regroupe des structures portant comme nous l’accès au droit et/ou la médiation citoyenne : Droits d’urgence (Paris), Maison René Cassin (Béziers), Maison des services au public (Mairie de Pessac), Cité et Médiation (Rennes), ASMAJ (Marseille). »