L’impact des instruments de soft law sur l’arbitrage en ligne : vers une régulation flexible et adaptée à l’ère numérique.

Par Ferdaouss Ouardaoui, Docteur en Droit.

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Explorer : # arbitrage en ligne # audiences virtuelles # soft law # technologie juridique

Ce que vous allez lire ici :

Les avancées technologiques ont transformé l'arbitrage international, notamment à travers des audiences en ligne pendant la pandémie de Covid-19. Ces changements facilitent une résolution efficace des litiges tout en suscitant des préoccupations sur la qualité des témoignages et la sécurité du processus. Les institutions d'arbitrage ont adapté leurs règles pour intégrer ces transformations.
Description rédigée par l'IA du Village

Les avancées technologiques doivent être utilisées pour améliorer l’efficacité de l’arbitrage des litiges, en permettant des procédures plus rapides et moins coûteuses. La pandémie de Covid-19 a accéléré l’adoption des technologies dans l’arbitrage, rendant courantes les audiences virtuelles et l’utilisation de la preuve électronique. Bien que de nombreux pays aient intégré des principes permettant les audiences en ligne, comme la Suisse et les Émirats, d’autres législations, comme celle du Maroc, n’ont pas explicitement abordé cette question. Les institutions d’arbitrage ont réagi en adaptant leurs règles pour permettre les audiences à distance et en développant des instruments de Soft Law. Il est crucial d’évaluer comment ces adaptations répondent aux attentes des praticiens, notamment en ce qui concerne les audiences et témoignages en ligne.

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Introduction.

Les avancées technologiques doivent être exploitées pour améliorer la vie humaine.

Un enjeu crucial est d’utiliser la technologie pour rendre l’arbitrage des litiges plus efficace et performant. L’arbitrage doit permettre de résoudre les conflits de manière plus rapide et moins coûteuse. Aujourd’hui, il est essentiel que ces procédures puissent se dérouler en ligne, sans nécessiter la présence physique des parties ou du tribunal.

Les modes alternatifs de résolution des conflits ont évolué avec le monde numérique, transformant non seulement la résolution des litiges en ligne mais aussi les audiences virtuelles. De plus, l’avènement de la preuve électronique a modifié la manière dont les preuves sont collectées et évaluées, en introduisant de nouvelles dynamiques dans ce processus.

Il est indéniable que la pandémie de Covid-19 a provoqué une augmentation sans précédent de l’utilisation des technologies dans toutes les facettes de la vie humaine et de notre société. Il en va de même pour le domaine de l’arbitrage. Or, en réalisant ; quelques années plus tard ; une vue à vol d’oiseau sur la question, l’on comprend clairement que cette pandémie a modifié de manière irréversible le paysage de l’arbitrage. Dans ce contexte, les outils de communication à distance, tels que le téléphone, la visioconférence et les plateformes virtuelles, sont devenus courants pour les réunions entre arbitres par exemple, pour les délibérations, les échanges entre arbitres et parties concernant les questions procédurales, ainsi que pour la tenue d’audiences virtuelles et même dans des procédures complexes.

Ce changement, intervenu en réponse aux circonstances extrêmes imposées par la pandémie et auxquelles le monde a été brusquement confronté, a clairement mis en lumière la capacité d’adaptation de l’arbitrage commercial international, ainsi que sa faculté d’innovation, de réinvention et de flexibilité. Toutefois, il convient de souligner que ce changement n’a souvent pas été sans contrastes ou répercussions sur la santé mentale et physique des praticiens.

D’autre part, la capacité des parties à interagir efficacement entre elles et avec le tiers arbitral est cruciale pour parvenir à une résolution efficace des différends. La probabilité que les parties parviennent à un accord repose en grande partie sur leur capacité à participer pleinement au processus. Dès lors, une communication inappropriée peut compromettre l’équité de la procédure, altérer la qualité de la justice et réduire la confiance dans le processus de résolution des litiges.

Il est vrai que la plupart des pays de tradition civiliste ont intégré les principes de la Convention de New York dans leurs régulations nationales relatives à l’arbitrage en offrant implicitement aux tribunaux arbitraux la possibilité de décider du format des audiences en fonction des besoins des parties et des circonstances de l’affaire en réponse à « l’article 5(1)(b) » de ladite Convention qui prévoit qu’une sentence peut être contestée si la « partie contre laquelle la sentence est invoquée... n’a pas eu la possibilité de faire valoir ses droits ».

Par ailleurs, si par exemple, le législateur suisse prévoit expressément l’option des audiences à distance dans « l’article 27 » du « Chapitre 12 », régissant l’arbitrage dans la loi fédérale suisse sur le droit international privé, en précisant que « Toute audience peut être tenue en personne ou à distance par vidéoconférence ou autre moyen approprié, tel que décidé par le tribunal arbitral après consultation des parties ». Ou encore le législateur émirien dans « l’article 28 » de la « Federal Law no. (6) on Arbitration » qui offre expressément au tribunal l’option de tenir des audiences d’arbitrage avec les parties et délibérer par des moyens modernes de communication et de technologie électronique.

Néanmoins, une analyse des législations nationales révèle qu’une grande partie de législateurs n’ont pas inclus expressément de dispositions explicites concernant l’arbitrage en ligne. C’est notamment le cas de « l’article 75 » de la loi marocaine 95-17 relative à l’arbitrage. Cet article laisse entendre que le législateur privilégie l’utilisation de moyens de communication qui assurent un traitement équitable des parties et garantissent leur droit d’être entendues.

Dans cet esprit, les institutions d’arbitrage ont rapidement réagi, comprenant l’importance de fournir des adaptations procédurales conformes aux exigences actuelles. C’est notamment le cas par exemple, à titre non-exhaustif, de la Chambre de commerce de Stockholm (CCS) qui a mis gratuitement à la disposition des utilisateurs sa plateforme virtuelle pour les arbitrages qu’elle gère et pour les arbitrages ad hoc. Ou encore International Bar Association (IBA), qui a lancé dans le même esprit au début de la pandémie de Covid-19, « le Guide des ressources technologiques pour les praticiens de l’arbitrage », qui contient une liste des avancées technologiques disponibles qui peuvent être utilisées pour améliorer ou assister un arbitrage international dans divers domaines, en vue de rendre la technologie moderne plus accessible aux praticiens de l’arbitrage.

De façon plus pratique, les institutions ont ainsi développé des instruments juridiques non contraignants et révisé les règles d’arbitrage pour, d’une part, conférer aux arbitres le pouvoir de choisir le format de l’audience en cas de désaccord entre les parties, et d’autre part, réguler l’audition d’experts ou de témoins à distance, un sujet souvent controversé depuis le début de la pandémie.

Il est donc opportun d’examiner de manière plus approfondie « dans quelle mesure ces instruments de Soft Law ont réussi à répondre aux attentes des acteurs de l’arbitrage, notamment en ce qui concerne les audiences en ligne ainsi que les témoignages et expertises à distance ? »

I. Quant aux audiences à distance.

La numérisation rapide, comme susmentionné, est l’un des phénomènes marquants qui ont indéniablement influencé l’arbitrage durant la pandémie. Ce phénomène a été intimement lié à une autre tendance significative qui est déjà en vogue depuis quelques années par effet miroir aux préoccupations des acteurs de l’arbitrage international par les soucis d’ordre culturel puisque la pratique de l’arbitrage commercial international ne cesse de tenter des pays de différentes cultures juridiques.

En effet, la mondialisation a toujours était au cœur de l’arbitrage. L’arbitrage est fondamentalement mondial en raison de l’interprétation uniforme des règles de la lex arbitri, de la distinction entre le siège juridique et le lieu des audiences, ainsi que de la pratique transnationale courante dans les arbitrages internationaux, où les parties ne sont pas nécessairement représentées par des avocats de leur propre pays et où ces derniers ne sont pas tenus de pratiquer au siège de l’arbitrage. Dès lors, il ne devrait pas y avoir de problèmes juridiques concernant le lieu de l’arbitrage, même si la procédure se déroule entièrement en ligne.

Par ailleurs, le recours accru aux audiences virtuelles pendant la pandémie a engendré un besoin d’adaptation des pratiques traditionnelles de l’arbitrage en face à face à celles du format virtuel. Cela a naturellement engendré la publication de guides, de notes et de recommandations par les institutions d’arbitrage répondre à ces nouveaux défis propres cette fois au scénario virtuel.

Ainsi, l’apparition de nouveaux produits et services adaptés aux besoins de l’arbitrage électronique comme les tests techniques préalables aux audiences virtuelles « test run », a modifié le déroulement des procédures arbitrales. Aussi, le besoin croissant d’avocats et d’arbitres capables de gérer les nouvelles technologies, l’introduction d’un nouveau langage comme la terminologie liée au virtuel ou à l’étiquette en ligne, et la nécessité d’innover dans l’utilisation des outils facilitant la collecte de preuves comme l’utilisation de drones pour les inspections visuelles, ainsi que la persuasion du tribunal, notamment dans la présentation des affaires et l’interrogatoire des témoins en environnement virtuel, sont également notables. C’est dans ce sens, qu’un groupe de praticiens de l’arbitrage a développé un site web de ressources qui compile des nouvelles et des expériences sur la conduite d’audiences virtuelles.

En revanche, cette transition n’a pas été sans effets. De nouvelles pathologies associées à l’utilisation et à l’abus des nouvelles formes de plateforme ont émergé. Selon une enquête menée en mars 2020 par des chercheurs de l’université Keio de Tokyo, 35% des travailleurs en ligne ont déclaré que leur santé mentale s’était détériorée en raison de leur travail à distance pendant la période de verrouillage de la Covid-19.

La première difficulté rencontrée par les arbitres participant aux audiences en ligne est probablement la fatigue physique causée par la fatigue oculaire ou « la fatigue du Zoom » qui a fait l’objet de plusieurs recherches depuis la période Covid, et une capacité de mouvement limitée.

Lors d’une audition traditionnelle, les participants ont la possibilité de se déplacer dans la salle, de se tourner vers leurs collègues ou de déplacer leur regard vers différents points focaux. Dans un contexte vidéo, les participants deviennent des orateurs de tête qui fixent continuellement l’écran, ne voulant même pas se lever pour prendre une tasse de café de peur d’être perçus comme distraits ou peu intéressés.

Dans ce contexte, il convient de souligner les questions juridiques soulevées durant la pandémie, notamment celles relatives à la validité juridique et à la violation des droits de la défense en cas d’adoption d’audiences virtuelles qui doivent également être prises en compte.

Les institutions d’arbitrage avaient joué un rôle de catalyseur dans ce processus d’adaptation, notamment en matière de sécurité des nouvelles technologies. Elles ont fortement soutenu l’option virtuelle, envoyant immédiatement un message de solidarité et de réassurance aux utilisateurs, et ont facilité la création et l’adaptation des règles de procédure au monde virtuel, soit en modifiant leurs règlements d’arbitrage, comme l’ont fait la CCI, la LCIA et le HKIAC, pour ne citer que quelques exemples. Ou en élaborant de nouveaux instruments comme le nouveau règlement d’arbitrage accéléré de la CNUDCI de 2021, dont « l’article 3.3 », qui traite des procédures spécifiques dans le cadre de la résolution rapide des litiges en établissant des directives concernant la gestion des procédures accélérées, notamment les délais, les exigences de soumission, et les méthodes pour assurer une résolution rapide des affaires, illustre également cette évolution.

Ce développement de soft Law, qui a été précipité par la crise de la Covid-19, semble destiné à s’inscrire dans la durée, même si des révisions pourraient être les bienvenues en fonction de l’expérience acquise durant la pandémie.

Parmi ces instruments de soft Law les plus notables en la matière :

  • Liste de contrôle de Delos sur la tenue d’audiences d’arbitrage et de médiation en période de Covid-19 : Delos présente un tableau qui fournit une liste de points à prendre en compte pour décider de maintenir ou non la date de l’audience, et pour préparer, mener et assurer le suivi de l’audience à la lumière de la Covid-19. Et fournit d’autre part, une liste non exhaustive portant sur diverses considérations qui peuvent entrer en jeu, comme la suspension ou non des procédures dans le but de tenir compte des perturbations potentielles que l’absence de mesures (déplacer le lieu, reporter l’audience ou la tenir en ligne) pourrait entraîner pour les participants et leurs familles. Il convient de souligner à cet égard que DELOS a été nominé pour le prix spécial de reconnaissance de Global Arbitration Review (GAR) pour sa réponse à la pandémie de coronavirus en 19 juin 2020.
  • Protocole de Séoul sur la vidéoconférence dans l’arbitrage international : le Protocole de Séoul sur la vidéoconférence dans l’arbitrage international « The Seoul Protocole » a été présenté lors de la 7ᵉ Conférence ADR Asie-Pacifique, qui s’est tenue à Séoul, en Corée, les 5 et 6 novembre 2018. Ce dernier a été rédigé et discuté par un groupe de praticiens de l’arbitrage qui ont compilé et synthétisé leurs meilleures pratiques pour planifier, tester et réaliser des vidéoconférences dans le cadre d’arbitrages internationaux. Le protocole a été publié le 18 mars 2020.
  • Chartered Institute of Arbitrators (CIArb) Guidance Note on Remote Dispute Resolution Proceedings : publiée le 8 avril 2020, le groupe de travail précise dans le préambule de la note que le CIArb propose cette note d’orientation sur les procédures de résolution des litiges à distance afin de fournir aux parties aux litiges existants et futurs, ainsi qu’aux neutres, un guide pour la conduite des procédures dans toutes les circonstances où les parties au litige ne sont pas en mesure de se rencontrer physiquement. Et souligne aussi que celle-ci est destinée à s’appliquer largement à la crise sanitaire mondiale actuelle de 2020 et bien au-delà. Par ailleurs, le groupe de travail ajoute dans l’introduction de ladite note, qu’elle est destinée à être utilisée en conjonction avec les conseils des institutions gouvernementales et arbitrales et à être adaptée à ces conseils en ce qui concerne les relations pendant la pandémie de Covid-19 ou toute autre circonstance empêchant les réunions physiques et toute loi applicable, y compris les dispositions d’ordre public du (des) lieu(x) d’exécution possible(s).
  • Protocole sur les audiences virtuelles, Africa Arbitration Academy : publié en mois d’avril 2020, le comité de rédaction a précisé que ce Protocole bien détaillé a pour objectif de mettre à disposition des directives et des meilleures pratiques pour tout arbitrage en Afrique, lorsqu’une audience physique est impossible pour des raisons de santé, de sécurité, de coût ou d’autres considérations.
  • Lignes directrices du Centre d’arbitrage international de Hong Kong (HKIAC) sur les audiences virtuelles « Hkiac Guidelines for Virtual Hearings » : publiées en mai 2020, HKIAC souligne au début des Lignes Directrices qu’il a organisé de nombreuses audiences partiellement ou totalement virtuelles. De ce fait, les services d’audience virtuelle de HKIAC peuvent être utilisés pour les arbitrages administrés par HKIAC et ceux qui ne le sont pas. Et précise que ces lignes directrices sont basées sur l’expérience de la HKIAC et visent à garantir aux participants une audition virtuelle efficace et sans heurts.
  • La liste de Contrôle pour les audiences à distance de VIAC « A Practical Checklist for Remote Hearings VIAC » : publié en juin 2020, ce Protocole de Vienna International Arbitral Centre, vise, sous la forme d’une liste de contrôle, à fournir des conseils aux arbitres et aux parties pour déterminer si la tenue d’une audience à distance est raisonnable et appropriée dans les circonstances spécifiques d’une affaire. Le Comité de rédaction souligne que ce protocole ne prétend pas donner des conseils sur ce qui est le mieux dans une situation spécifique, et il n’est pas non plus exhaustif ou contraignant. Il encourage simplement les arbitres et les parties à contrôler de manière raisonnable le recours aux audiences à distance et vise à faciliter la tenue d’une audience à distance lorsqu’elle est appropriée.
  • Les Lignes Directrices sur l’arbitrage à distance du SIAC « SIAC Guides on Taking your Arbitration Remote » : publiées le 31 août 2020, le Groupe de travail a présenté à travers un tableau de questions et réponses, une guidance complète et détaillée aux participants aux arbitrages en ligne. Et précise au début, que bien que les audiences à distance soient une alternative viable aux audiences traditionnelles en personne, elles ne conviennent pas nécessairement à tous les types d’affaires. Et que les parties et le Tribunal doivent prendre en considération les besoins spécifiques de l’affaire, qui peuvent varier en fonction de facteurs tels que le type de litige, la localisation des parties et des conseils, la localisation des témoins et des experts, les différences de fuseaux horaires, les lois applicables, ainsi que les coûts et le temps nécessaires.
  • Protocol for Online Case Management in International Arbitration : publié en novembre 2020, Ce protocole, selon le Groupe de travail qui est formé de cabinets d’avocats, a pour but d’aider les participants à l’arbitrage (parties, avocats, arbitres, institutions ou organisations arbitrales et autres parties prenantes à l’arbitrage) à élaborer des procédures efficaces, sûres et cohérentes s’ils adoptent des plateformes partagées de gestion des dossiers en ligne dans le cadre de leurs procédures d’arbitrage. D’autre part, ce Protocole vise également à aider les fournisseurs de technologie à mieux comprendre les besoins de leurs utilisateurs, ce qui devrait faciliter le développement et l’amélioration des plates-formes de gestion des dossiers en ligne destinées à l’arbitrage international à l’avenir.
  • Protocole pour les audiences à distance du Centre d’arbitrage du marché mondial d’Abu Dhabi « Protocol for remote hearings of the Abu Dhabi Global Market Arbitration Center » « ADGMAC » : publié en Juin 2021, ce Protocole comme mentionné dans son préambule, a pour objet de proposer aux parties à l’arbitrage, à leurs avocats et au tribunal un ensemble de dispositions procédurales et logistiques pour la tenue d’audiences à distance (en tout ou en partie), sans participation en personne ou avec une participation limitée (audiences à distance). Le Groupe de travail ajoute que ce protocole est conçu pour couvrir les audiences au fond au cours desquelles les faits et les témoignages d’experts sont entendus et des conclusions orales sont présentées, mais il peut être adapté pour être utilisé lors des conférences de gestion des affaires au cours desquelles les questions de procédure et d’organisation sont discutées. Il peut également être utilisé en conjonction avec les services d’« arbitrage intelligent » de l’ADGMAC.

Il est à indiquer que, dans le cadre de l’enquête intitulée « Adapting arbitration to a changing world » qui a été réalisée en 2021 par White & Case and The School of International Arbitration of Queen Mary University sur l’arbitrage international durant la pandémie, la question des adaptations nécessaires pour rendre certaines institutions ou règles d’arbitrage plus attrayantes pour les utilisateurs ait été posée. En effet, 38% des répondants ont mis en avant l’importance du soutien administratif et logistique pour les audiences virtuelles.

Le rapport a également noté que la nécessité de s’adapter aux nouvelles circonstances est accentuée par la demande d’inclure dans les règlements une disposition permettant aux arbitres de prescrire des audiences virtuelles ou en face à face (23%), ainsi que la création de plateformes électroniques sécurisées pour la présentation et l’échange de documents.

Ainsi, ce qui relevait de « situations exceptionnelles » avant la pandémie, en raison du manque d’expérience et de lignes directrices appropriées en la matière, est désormais devenu la norme. En effet, avant cette crise, les institutions d’arbitrage s’étaient déjà orientées vers l’utilisation des nouvelles technologies pour améliorer la rapidité, l’efficacité et réduire les coûts des procédures. Aujourd’hui, l’emploi des moyens électroniques pour initier des arbitrages, soumettre des mémoires et gérer les communications entre les participants est devenu habituel.

II. Quant aux témoignages et expertises à distance.

En effet, bien que le droit à une audience puisse être considéré comme fondamental dans l’arbitrage, les audiences peuvent désormais se tenir à distance, sans qu’il existe de droit absolu à une audience physique. Toutefois, l’expérience des audiences virtuelles pourrait mener vers des normes plus élevées en matière d’efficacité, de responsabilité et d’autodiscipline, tout en redéfinissant l’objectif des audiences, indépendamment du contexte.

Notamment, en matière de représentation des parties, et plus particulièrement dans le modèle accusatoire de Common Law, les témoins peuvent être mieux préparés, les avocats peuvent être plus sélectifs dans le choix des documents et des témoins présentés, et l’interrogatoire ainsi que le contre-interrogatoire peuvent être plus rapides, en posant des questions courtes, précises et cohérentes. De plus, les participants peuvent bénéficier de conseils pratiques, tels que l’évitement de la lecture d’un script, en particulier lors des déclarations préliminaires, ou la nécessité de parler plus lentement.

D’autre part, l’audition d’experts ou de témoins à distance n’est pas fondamentalement différente de celle en face à face, malgré les critiques qui soulignent certains aspects négatifs potentiels.

En effet, il est fortement probable que la qualité des preuves testimoniales pourrait être affectée dans un cadre virtuel à cause de l’absence de proximité physique, ce qui empêche le tribunal arbitral d’observer les réactions ou le langage corporel des témoins ou des experts, ce qui pourrait nuire à l’arbitrage.

Un autre argument est que les délibérations du tribunal arbitral pourraient être influencées par le format virtuel. De plus, la possibilité d’interférence de tiers est une préoccupation, soit en raison de failles potentielles dans la sécurité technique de l’environnement virtuel, soit parce que les experts ou les témoins pourraient être plus facilement influencés dans ce format. Tout cela pourrait affecter les droits des parties et le principe d’égalité, notamment si certains témoins témoignent à distance tandis que d’autres le font en personne.

Dans le même contexte, on peut souligner également les problèmes techniques potentiels liés aux défaillances audio/vidéo, comme les gels d’image ou les retards, qui peuvent provoquer des distorsions lors des témoignages, surtout si une perte de connexion survient pendant l’interrogatoire. Ces problèmes peuvent ralentir la procédure, permettre aux témoins de réévaluer leurs réponses pendant le temps supplémentaire ou créer un déséquilibre dans les témoignages si certains se présentent en personne et d’autres par visioconférence. C’est l’une d’ailleurs des raisons primordiales pour lesquelles ces protocoles et checklists susmentionnés ont été élaborés.

Bien évidemment, l’expérience d’une audience virtuelle diffère de celle d’une procédure en personne, mais cela n’est pas nécessairement rédhibitoire. En effet, la qualité de l’image en direct du visage du témoin ou de l’expert, permet une observation plus attentive de leurs expressions et réactions et peut d’autre part, aider les arbitres à se concentrer davantage sur le déroulement de l’audience. De plus, la technologie actuelle permet de fournir une vue panoramique de la salle où le témoin se trouve, garantissant ainsi l’absence d’interférences ou de pressions extérieures.

Toutefois, un des soucis majeurs est le risque que le témoin ou l’expert soit soumis à une influence extérieure durant sa déposition, notamment parce que le format en ligne facilite l’utilisation secrète de dispositifs de communication tels que les messages téléphoniques, WhatsApp, courriels, etc.

Afin d’y remédier, des solutions plus coûteuses mais technologiquement avancées peuvent être envisagées, comme des applications logicielles qui bloquent l’accès à certaines pages web ou empêchent la consultation de documents pendant l’audience. Il pourrait aussi être prévu la présence d’un tiers lors de la déposition, comme un membre du personnel de la cour d’arbitrage ou un notaire, ou encore d’un représentant de l’équipe juridique de la partie adverse. Des méthodes plus simples et économiques peuvent également être employées, comme demander au témoin de montrer la pièce où il se trouve avec sa caméra, ou utiliser deux caméras : l’une pour un plan rapproché du témoin et l’autre pour une vue d’ensemble de la pièce. C’est dans cet esprit que certains protocoles recommandent que le témoin ou l’expert : participe à l’audience depuis une salle spécialement aménagée, équipée uniquement des dispositifs technologiques et du matériel autorisés, et atteste qu’il ne communique pas avec d’autres personnes pendant le témoignage, sauf autorisation expresse de la cour.

Par ailleurs, un autre cas de figure qui n’est pas moins alarmant pour le tribunal arbitral, notamment, lorsqu’un témoin n’est pas physiquement présent avec les avocats de la partie qui l’interroge, cette dernière et les avocats doivent se méfier d’un éventuel comportement inapproprié « hors écran » dans la salle où le témoin est présent, y compris les tentatives d’influencer ou d’entraîner un témoin. L’affaire « Kaushal v. Vasudeva et al. » en 2021, montre que la Cour est consciente de ce risque et peut rendre des ordonnances appropriées, y compris pour sanctionner un comportement inapproprié au cours d’un contre-interrogatoire en dehors de la salle d’audience.

Dans cette affaire, le défendeur, M. Vasudeva, a été interrogé via Zoom après avoir prêté serment. Le défendeur, son avocat et un interprète étaient dans la même salle de réunion au cabinet de l’avocat, tandis que les avocats de M. Kaushal, le demandeur, et le sténographe judiciaire étaient dans des lieux séparés. Au début du contre-interrogatoire, l’avocat de M. Kaushal a demandé et l’avocat de M. Vasudeva a confirmé que seules les personnes présentes dans la salle étaient M. Vasudeva, son avocat et l’interprète.

Après la fin de l’interrogatoire, le lien Zoom est resté actif, permettant à M. Kaushal d’entendre des discussions entre la femme et le fils de M. Vasudeva, qui semblaient commenter l’interrogatoire. M. Kaushal a enregistré cette conversation avec son téléphone et a informé son avocat. En réponse, l’avocat de M. Kaushal a rejoint la réunion Zoom pour signaler que la femme et le fils de M. Vasudeva semblaient avoir été présents pendant l’interrogatoire, ce que l’avocat de M. Vasudeva a contesté.

L’interprète a confirmé que la femme et le fils étaient dans la pièce pendant l’interrogatoire, mais ce dernier a affirmé que sa famille était restée dans la salle d’attente du cabinet. Pour discréditer l’interprète, M. Vasudeva a aussi prétendu que son avocat avait informé qu’un membre de l’équipe de M. Kaushal avait menacé l’interprète pour qu’il affirme que la femme et le fils étaient présents.

En fin de compte, la Cour a décidé d’annuler la déposition de M. Vasudeva en raison de son abus de procédure et a préféré le témoignage indépendant de l’interprète et a jugé que les accusations de menace contre l’interprète étaient infondées.
Toutefois, en mettant de côté les abus éventuels, il est crucial de souligner que le fait de mener des audiences virtuelles ne compromet pas en soi, les droits de la défense, et que la crédibilité des témoins n’est pas diminuée par le cadre en ligne. Bien que les interactions entre les participants puissent varier dans un environnement virtuel, ces différences n’affectent pas fondamentalement l’intégrité des témoignages. Les nouvelles technologies permettent en effet d’améliorer l’observation des traits du visage par rapport aux audiences en personne, même si elles peuvent offrir une perspective moins globale. Bien que les audiences à distance puissent limiter le nombre de questions des arbitres, il est important que ces derniers ne soient pas influencés par les aspects technologiques.

Ainsi, le support en ligne offre des opportunités d’innovation grâce à des outils visuels comme les diapositives PowerPoint, ainsi que la réalité virtuelle ou augmentée. Ces technologies peuvent capter l’attention du tribunal arbitral de manière efficace. Par exemple, les écrans multiples et la fonction de partage d’écran permettent aux experts de présenter des concepts complexes de manière visuelle, rendant ces présentations plus accessibles par rapport aux audiences en personne.

En outre, les audiences virtuelles incitent les avocats à formuler des questions plus directes et précises, ce qui contribue à une procédure plus efficace en évitant les informations superflues. Or, il est essentiel de bien préparer les aspects techniques et organisationnels pour garantir le bon déroulement d’une audience en ligne. Les protocoles en ligne traitent également des défis liés au décalage horaire et mettent en place d’une part, des mesures pour prévenir la manipulation des témoins.

D’autre part, pour faire face à des problèmes potentiels, tels que la mauvaise qualité de la transmission, les violations de la confidentialité ou de la sécurité, les interruptions ou tout autre obstacle à la continuité de l’audience afin de permettre au tribunal arbitral de suspendre ou de terminer l’audience, et de reprogrammer le témoignage à une autre date ou, si possible, le même jour.

Enfin, concernant les inspections sur place, le Guide de la CCI par exemple, suggère pour les procédures durant la pandémie, que les tribunaux d’arbitrage envisagent des présentations vidéo ou des rapports d’experts conjoints comme alternatives aux visites physiques.

Conclusion.

Les avancées technologiques et l’expérience acquise avec les audiences à distance pendant la pandémie ont transformé la perception des utilisateurs de l’arbitrage vis-à-vis des audiences en ligne. Les nombreux instruments et protocoles de soft Law développés rapidement en réponse à la crise de la Covid-19 ont finalement réussi à perdurer et s’avèrent précieux même après la fin de la pandémie.

Les institutions d’arbitrage ont été cruciales dans la normalisation des audiences virtuelles en développant des instruments juridiques non contraignants et en révisant les règles d’arbitrage pour conférer aux arbitres le pouvoir de choisir le format de l’audience en cas de désaccord entre les parties.

Les réserves que les acteurs de l’arbitrage pouvaient avoir vis-à-vis des audiences virtuelles avant la pandémie, notamment le fait que l’interaction personnelle entre témoins, experts, parties et co-arbitres était perçue comme inévitablement limitée par rapport aux audiences en face-à-face, ont évolué. Aujourd’hui, une audience en ligne est reconnue pour remplir les mêmes fonctions, rôles et objectifs qu’une audience en personne.

Bibliographie :

Ouvrages :
El Ahdab Jalal, Mainguy Daniel, Droit de l’arbitrage : théorie et pratique, Ed. LexisNexis, 2021.
Panjwani Pratyush, The impact of the Covidf-19 pandemic on international arbitration practices. In Shaheeza Lalani & Steven G. Shapiro (Eds.), The impact of the Covid-19 pandemic on international arbitration practices (Chap. 2, pp. 28-46), Ed. Brill, Nijhoff, 2022.
Maxi Scherer, Niuscha Bassiri, Mohamed S. Abdel Wahab (eds.), Remote hearings in international arbitration : An analytical framework, Queen Mary University of London, Journal of International Arbitration, Vol. 37, Iss.4, School of Law Legal Studies Research Paper No. 333/2020.

Articles :
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Hardy Sean, Yeap Jeremy, How Sacred is the Right to be Heard in Arbitration ? Kluwer Arbitration Blog, 2021 [2], consulté le 25/9/2024.
FirstLegal, Why Remote Witness Preparation Reigns Supreme After Covid ?, 2021 [3]
Nappert Sophie, Apostol Mihaela, Healthy Virtual Hearings, Kluwer Arbitration Blog, 2020 [4]
Volterra Fietta, Client Alert : The Impact of Covid-19 on Arbitration Proceedings and Due Process, 2020 [5]

Guides et Protocoles :
ADMAC, Protocol for Remote Hearings, 2021 [6]
CIAM, Note on Organisation of Virtual Hearings, 2024 [7]
Delos, Checklist on Holding Hearings in Times of Covid-19, 2020 [8]
ICCA, & New York City Bar, Cybersecurity Protocol for International Arbitration, 2020 [9]
SIAC, Guide : Taking Your Arbitration Remote, 2020 [10]
Protocole de Séoul sur la vidéoconférence dans l’arbitrage international, 2020 [11]
Technology Resources for Arbitration Practitioners IBA Guide, (2019) [12]
Vienna International Arbitral Centre (VIAC), The Vienna Protocol - A Practical Checklist for Remote Hearing [13]
Note d’orientation de la CCI sur les mesures possibles visant à atténuer les effets de la pandémie de Covid-19, 2020 [14]

Règlements Soft Law :
Règlement CCI, 2020 [15]
Règlement HKIAC, Guidelines for Virtual Hearings, 2020 [16]
Règlement LCIA, 2020 [17]

Lois nationales et textes internationaux :
Convention sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, New York, 1958 [18]
Loi fédérale suisse sur le droit international privé [19]
Federal Law No. (6) on Arbitration [20]
Loi 95-17 relative à l’arbitrage et la médiation conventionnelle [21].

Ferdaouss Ouardaoui, Docteur en Droit privé.

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[1https://ssrn.com/abstract=3656620, consulté le 25/9/2024

[6Retrieved from https://adgmac.com

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