1) Faits.
Une salariée, licenciée pour faute grave en 2017 après 37 ans d’ancienneté, avait copié des documents appartenant à l’entreprise l’employant sur des clés USB personnelles. L’employeur a alors utilisé le contenu de ces clés comme preuve lors de la procédure de licenciement, affirmant qu’elles contenaient des informations professionnelles sensibles que la salariée aurait copiées sans justification professionnelle. Contestant cette décision, la salariée a saisi la juridiction prud’homale, invoquant l’illicéité de la preuve, mais la Cour d’appel de Lyon a rejeté ses prétentions, validant la preuve obtenue par l’employeur.
2) Moyens.
Le point clé en débat était la licéité des preuves obtenues à partir de ces clés USB personnelles. En effet, cette dernière a argué que l’accès à ses clés, sans sa présence, constituait une violation de sa vie privée, et que les preuves tirées de ces fichiers étaient donc illicites.
La salariée se fondait sur le principe bien établi selon lequel un employeur ne peut consulter des fichiers personnels présents sur des outils informatiques appartenant au salarié sans son accord (arrêt « Nikon », 2001). La clé USB, étant un outil personnel, échappait a priori à la présomption de professionnalité applicable aux outils informatiques mis à disposition par l’employeur.
La question qui se posait était ainsi de savoir si ces preuves devaient être écartées ou non pour le jugement de l’affaire.
3) Solution.
En principe, l’employeur n’est pas en droit de consulter des fichiers contenus sur des clés USB personnelles qui ne sont pas connectées à l’ordinateur professionnel.
En effet, la cour rappelle que l’article L1121-1 du Code du travail protège la vie privée des salariés, ce qui signifie que l’employeur ne peut accéder aux fichiers personnels stockés sur des supports privés hors de la présence du salarié. Cependant, la cour nuance ensuite cette protection en se référant aux articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’aux articles 9 du Code civil et du Code de procédure civile, desquels elle conclut une possibilité d’utiliser des preuves obtenues de manière illicite.
A cet égard, la cour précise que l’illicéité de la preuve n’entraîne pas automatiquement son exclusion des débats. Elle rappelle que le juge doit ainsi réaliser un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les droits concurrents (ici le respect au droit à la privée) et juger si l’atteinte à ces derniers est proportionnée au but poursuivi et strictement nécessaire à l’exercice du droit à la preuve.
Dans cet arrêt, la Chambre sociale a jugé que la production des éléments issus des clés USB était recevable.
Elle a considéré que l’employeur avait agi pour protéger la confidentialité des affaires de l’entreprise, et que la procédure d’extraction des données avait été encadrée par un expert et un commissaire de justice, limitant ainsi l’accès aux seules données professionnelles.
Le contrôle opéré par l’employeur était donc légitime, et l’atteinte à la vie privée de la salariée strictement proportionnée au but poursuivi.
4) Analyse.
Dans un premier temps, il convient de rappeler que la jurisprudence antérieure (Cass. soc. 12 février 2013, n° 11-28649) avait établi une présomption d’utilisation professionnelle pour une clé USB connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur. Ainsi, en l’absence de mention claire de l’usage personnel de fichiers ou dossiers, l’employeur pouvait alors y accéder hors la présence du salarié.
Toutefois, dans l’affaire de 2024, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la salariée en se fondant sur la jurisprudence récente (Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648), qui modifie le régime de la preuve déloyale. Selon cette nouvelle approche, l’employeur a la possibilité d’accéder à des fichiers personnels lorsqu’ils sont connectés à un outil professionnel, comme un ordinateur de l’entreprise, si cela est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve.
Pourtant, dans cette affaire, la cour a jugé que l’employeur avait agi de manière proportionnée pour protéger la confidentialité de ses affaires, justifiant ainsi l’accès aux clés USB malgré l’absence de connexion de ces dernières à un ordinateur professionnel.
De ce fait, on comprend que la Chambre sociale de la Cour de cassation impose dans cet arrêt une balance des droits en présence.
Depuis 2012, la Cour de cassation applique un contrôle de proportionnalité, inspiré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, entre le droit à la preuve et les droits fondamentaux, comme la vie privée.
Ce contrôle impose de vérifier si la production d’une preuve illicite est indispensable à l’exercice du droit à la preuve, et si l’atteinte portée aux droits antinomiques est proportionnée au but poursuivi.
Dans les arrêts du 22 décembre 2023 (notamment n° 20-20.648), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a étendu cette exception aux preuves déloyales, multipliant les applications dans des arrêts ultérieurs, y compris celui du 25 septembre 2024.
Ainsi, dans cette affaire, elle précise que bien que l’accès par l’employeur à une clé USB personnelle puisse constituer une atteinte à la vie privée du salarié, cette atteinte peut être justifiée si elle respecte certaines conditions.
Dès lors, l’employeur peut produire des éléments de preuve issus d’une clé USB personnelle appartenant au salarié, sous réserve que cette production soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte à la vie privée du salarié soit proportionnée au but poursuivi par l’employeur.
Cela signifie que, dans le cadre d’un litige, l’employeur peut justifier l’accès à des données si elles sont essentielles pour démontrer une faute grave ou d’autres infractions liées à l’exécution du contrat de travail. En l’espèce, le licenciement pour faute grave a donc été validé, et la salariée fut déboutée de ses demandes.
La Cour de cassation a donc estimé que l’employeur avait agi de manière proportionnée et justifiée, car il existait des indices concrets et sérieux sur le comportement de la salariée, tels que la copie de fichiers confidentiels de l’entreprise, ce qui pouvait nuire aux intérêts de l’employeur. Les preuves extraites de la clé USB ont de ce fait été jugées recevables dans la mesure où elles étaient indispensables à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte à la vie privée de la salariée avait été jugée proportionnée aux enjeux.
En conclusion, cet arrêt poursuit l’œuvre jurisprudentielle sur la recevabilité des preuves illicites, confirmant que le droit à la preuve peut parfois primer sur le droit à la vie privée du salarié, à condition que la proportionnalité soit strictement respectée.
Pourtant, malgré cette décision, un débat demeure sur la définition du caractère "indispensable" de la preuve illicite.
La cour a bien validé la légitimité du contrôle et la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée, mais elle n’a pas détaillé pourquoi la production de ces éléments était indispensable. Cette imprécision suscite des interrogations : faut-il prouver une impossibilité totale de fournir d’autres preuves licites, ou suffit-il de constater l’absence d’autres preuves disponibles ?
Les prochains arrêts de la Cour de cassation devraient éclaircir davantage ce point.
Sources.
Cass. soc. 25 septembre 2024, n° 23-13.992
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