Village de la Justice : Quel état des lieux dressez-vous en 2024 du droit des mineurs ?
Samantha Gallay : « Malgré une volonté affichée de prioriser la protection de l’enfance, tous les professionnels du secteur alertent sur les conditions dégradées dans lesquelles la justice de mineurs est rendue. Tant sur le plan pénal que sur le plan civil, le constat est alarmant.
1. En matière pénale, pour les mineurs auteurs comme victimes, la réforme du Code de la Justice pénale des mineurs (CJPM), qui tendait notamment à scinder la procédure pour permettre la mise en place de mesures provisoires entre l’audience sur la culpabilité et l’audience de sanction, tout en garantissant des délais de traitement écourtés, peine à atteindre ses objectifs trois ans après.
La pérennité du nouveau système nécessitait un réel investissement budgétaire, matériel et humain. Les tribunaux pour enfants ont dû dédoubler les audiences, les greffiers disposaient d’outils inadaptés, les éducateurs se sont vus attribuer de nouvelles missions, avec des effectifs en baisse, dans une profession qui souffrait déjà d’une crise des vocations...
En dehors de ces considérations budgétaires, les avocats se sont rapidement alertés des tendances répressives de certaines mesures annoncées, en opposition totale avec l’esprit de la justice des mineurs. Il est primordial, aujourd’hui encore, de rappeler sans cesse le principe essentiel qu’est la primauté de l’éducatif sur le répressif.
2. En assistance éducative, procédure qui a pour objectif de protéger les enfants en danger, l’état des lieux n’est guère plus brillant.
Les mesures prononcées par les juges des enfants sont de plus en plus souvent mises en œuvre des mois après la décision, quand elles ne sont pas tout simplement inexécutées par les services chargés de leur application. Dans l’attente, les enfants ne sont pas protégés de l’environnement dangereux dans lequel ils évoluent. D’un autre côté, certaines mesures sont effectuées dans un milieu qui n’est pas adapté, faute de places, de moyens ou même de formation suffisante, ce qui engendre de nouvelles violences pour des enfants déjà fragilisés. »
VJ : Quel(s) axe (s) vous semble-t-il nécessaire d’améliorer rapidement et fortement ?
SG : « Il est indispensable d’investir réellement dans la justice des mineurs. Les enfants méritent une vision à long terme, et non des effets d’annonce à bref délai, qui ne résoudront rien.
Une réflexion doit être menée de front par tous les acteurs, avocats, juges des enfants, procureurs, greffiers, éducateurs, Département, associations, pour mettre en place un accompagnement réellement efficient pour les familles.
Les alternatives au placement, au pénal comme au civil, doivent être favorisées autant que possible, en formant et en attribuant les subventions nécessaires aux associations chargées des mesures en milieu ouvert. L’actualité récente démontre que le placement n’est pas une réponse adéquate s’il n’est pas strictement encadré et adapté à chaque enfant. De même, les alternatives à l’emprisonnement doivent être privilégiées, en renforçant les mesures éducatives permettant une réelle réinsertion dans la société.
En fin de mesure, le passage à la majorité doit de plus être préparé et accompagné pour que l’enfant puisse entrer dans la vie adulte dans les meilleures conditions, en ayant notamment davantage recours aux contrats jeune majeur. »
VJ : Précisément du côté des avocats : qu’appelez-vous de vos vœux pour que la profession améliore la prise en charge des enfants, notamment, et pour rejoindre le thème de votre colloque (Pour l’enfant face aux violences, quelle(s) défense(s) ?)
SG : « L’avocat doit être davantage présent auprès des enfants. Si ce principe s’applique très largement en matière pénale, tel n’est pas encore le cas au civil, où il est pourtant bien souvent le seul fil rouge de l’enfant, tant les interlocuteurs varient tout au long de la procédure.
Il devient essentiel que cette présence soit systématique en assistance éducative, a minima pour tous les enfants discernants. L’avocat, totalement indépendant des titulaires de l’autorité parentale, et tenu de porter la parole de l’enfant, a un rôle unique parmi tous les intervenants.
Il est spécialement formé pour comprendre tous les enjeux d’une procédure et de mesures particulières et pour assister des clients dont le recueil de la parole est très spécifique. Il échange avec tous les acteurs de terrain afin de comprendre les enjeux de chaque dossier.
Notre Barreau a toujours été très engagé sur ces questions, le CRIC (Centre de recherche, d’information et de consultation sur les droits de l’enfant) ayant plus de 30 ans d’existence. Dans cette optique, nous aurons l’honneur d’accueillir les Assises nationales des avocats d’enfants, le 29 et 30 novembre 2024, au Palais de la Bourse.
Cette rencontre annuelle nous permettra d’échanger autour de nos pratiques respectives, lors de tables rondes interactives et d’avancer ensemble. En cette année où certains tentent de faire primer le répressif sur l’éducatif, à rebours des analyses et des constatations de terrain, ce thème essentiel s’est imposé chaque jour davantage. Nous avons fait le choix de traiter tant des violences dont l’enfant est victime que celles dont il est acteur, tant ces aspects sont imbriqués, en faisant intervenir des spécialistes de différentes professions complémentaires qui jalonnent le parcours de l’enfant, pour trouver ensemble des solutions adaptées à une meilleure prise en charge. »
Informations et inscription aux Assises : ici