Il ne se passe pas un jour sans que l’on soit en contact avec des clients, des confrères, des administrations ou des magistrats.
J’ai pu constater malheureusement, au cours de ma carrière, mes lacunes, ainsi que celles de mes confrères, en matière de communication.
On a cette idée, dans le grand public et au sein même du milieu judiciaire, qu’un avocat, jusqu’à son dernier souffle, plaide, convainc, impose son point de vue, domine, emporte la conviction, “gagne”,…
L’avocat rayonnant, avec ses effets de manche, son verbe, son éloquence, sa prestance, etc…
Cette idée n’est pas fausse. Elle est juste dans un certain contexte.
L’avocat que je viens de décrire est essentiellement l’avocat d’Assises.
Tout au plus l’avocat “plaidant”, devant les autres juridictions.
Je dis bien tout au plus, car la place des effets de manche et de la rhétorique brillante n’a que peu d’importance en droit administratif par exemple, en droit de la famille, ou en droit commercial ….
L’avocat est amené certes à plaider devant les juridictions (à moins qu’il ne soit que dans le Conseil) ; mais l’essentiel de ses interactions personnelles n’est pas avec les magistrats.
Lorsqu’il ne plaide pas, l’avocat parle.
Il parle à ses Confrères et Consoeurs, et il parle surtout à ses clients.
C’est la base même de son activité et de ses ressources.
On nous a appris à plaider, lors de notre formation professionnelle à l’école d’Avocat.
Mais (à moins que les choses n’aient évoluées), on ne nous a pas appris à parler, à communiquer avec les clients, ce qui est pourtant fondamental.
Fondamental, car la communication est le fondement de notre profession, au même titre que la déontologie, ou que les connaissances juridiques.
La communication est un pilier essentiel sans lequel notre équilibre professionnel, et même personnel, est mis en péril.
De façon naturelle, on estime que communiquer c’est savoir parler, savoir transmettre un message clair.
Ceci est vrai et méritera un développement dans un prochain article.
Mais l’essentiel de la communication ne réside pas tant dans le fait de savoir parler que de savoir écouter.
Je vais développer ci-après ce qu’est la véritable écoute, l’écoute active, la définir et la distinguer des autres types d’écoute (écoute passive / écoute sélective).
Je vais préciser également les ressorts essentiels de l’écoute active :
La technique de la répétition (l’écho),
La technique de la paraphrase,
Le langage du corps et la communication non verbale,
La disponibilité psychologique et l’empathie.
L’écoute active du client.
La communication avec le client passe par l’écoute.
L’écoute est la base même de la communication en général.
Plus précisément, c’est l’écoute active qui va permettre une vraie communication.
Nous pouvons expliquer l’écoute active par opposition à l’écoute passive ou à l’écoute sélective.
L’écoute passive.
L’auditeur fournit un retour verbal minimaliste.
Celui qui écoute de façon passive n’a que peu de contact visuel avec la personne qui parle, il affiche un visage inexpressif et de temps en temps un signe affirmatif de la tête.
Parler à un auditeur passif est pénible car se demande si il comprend ce que l’on dit ou si ça l’ intéresse. Cela génère un sentiment de frustration et d’incompréhension.
L’écoute sélective.
Dans l’écoute sélective, l’auditeur a un comportement plus “engagé” que dans l’écoute passive, mais il n’entend que ce qu’il veut entendre.
Du moment où le message lui convient, l’auditeur sélectif se montre impliqué et compréhensif.
Mais il montre des signes de désintéressement et regarde ailleurs, coupe la parole, lorsque le contenu du message ne lui convient pas ou ne lui convient plus.
L’écoute active.
L’écoute active suppose un intérêt certain pour les propos de l’interlocuteur, dans leur globalité - Non pas un intérêt ciblé sur une partie de ceux-ci (écoute sélective) ou un désintérêt relatif ou total (écoute passive).
Cet intérêt va se manifester par la répétition, la paraphrase, le langage du corps, la disponibilité psychologique, et l’empathie.
Une des clés essentielles de l’écoute active est basée sur la répétition.
Il s’agit de reprendre les propos essentiels de l’interlocuteur (sans le dire avec nos propres mots).
Cette technique s’appelle "l’ écho’’.
Elle peut être utilisé dans trois situations différentes :
1. Vous écoutez des propos chargés d’émotion : ex : "je me sens mal j’ai été humilié”.
Vous pouvez reprendre la formulation de la façon suivante : "vous avez été humilié…".
2. Vous entendez des propos vague dans un contexte général : ex "j’ai dit à mon employeur qu’il y avait des améliorations à faire dans le service". Il s’agira alors de faire écho : "des améliorations dans le service ?"
3. Lorsque vous entendez un terme que vous ne connaissez pas, un terme technique par exemple, il faut également utiliser l’écho. Un tel qui vous parlerait du “système Swift" vous pouvez répondre : "le système Swift…".
Le principe de l’écho est que le côté interrogatoire de celui-ci sollicite une réponse de la part du locuteur sans que l’on ait besoin de poser de questions.
Cela construit une atmosphère de confiance, la parole de l’ un résonne dans celle de l’autre sans discontinuer.
L’autre base de l’écoute active est de paraphraser les propos du locuteur.
Dans la technique de l’écho nous reprenons expressément les propos du locuteur, dans la technique de la paraphrase en reformulant l’idée principale du client.
On cherche à reproduire l’essence du message de celui-ci (et pas les détails) :
On souhaite vérifier le sens du message cela passe souvent par des expressions telles que :
Vous dites que…
Autrement dit …
Si je comprends bien…
Il est possible également de paraphraser les propos en reproduisant les sentiments.
Exemple : "vous sentez beaucoup de frustration et d’injustice parce que le rapport que vous avez remis à l’employeur n’a suscité de sa part aucune réaction si ce n’est des critiques acerbes".
Le fait de paraphraser, de re-préciser le sujet, a deux avantages :
Il permet de rassurer le locuteur qui comprend qu’il a un auditeur réceptif et attentif
Cela permet de recadrer les choses importantes et à gagner en efficacité dans la consultation.
Il faut par contre éviter d’assurer à l’autre que l’on sait ce que l’on ce qu’il ressent, comme cela sera précisé ultérieurement …
L’écoute et le langage du corps :
La communication ne se limite pas qu’au contenu verbal.
Selon le ton employé, le sens du message peut dire le contraire même de ce que son contenu exprime.
Le langage corporel et le ton détermine considérablement le sens du message
Ainsi par exemple si l’on dit avec le sourire : “j’ai passé une bonne soirée”.
Le rendu et la signification ne sera pas la même que si on le dit avec un visage fermé ou avec un ton calme et sincère ou encore sur un ton ironique.
Il faut faire attention aux mots qui sont l’élément verbal du message mais aussi à la façon dont sont prononcés les mots et au langage corporel (geste regard, expression du visage et posture).
On comprend alors l’importance de :
Regarder toujours son interlocuteur dans les yeux
Acquiescer de la tête pour montrer qu’on comprend
Accusé réception du message de manière très simple ("je vois, d’accord, entendu oui, ok") pour inciter la personne qui parle à transmettre son message
Privilégier un contact visuel permanent avec le locuteur, des expressions sincères qui s’adaptent aux messages : un sourire quand le message est drôle ou optimiste, un regard préoccupé quand le message est au contraire alarmiste.
La disponibilité psychologique :
Avant toute chose, l’écoute active se manifeste par une grande disponibilité psychologique.
Lorsque l’on est absorbé par des soucis importants, on n’est pas disponible psychologiquement.
Si l’on reste dans “son monde”, on ne peut pas être dans celui de l’interlocuteur pour le comprendre et échanger.
Il m’est déjà arrivé de traverser des périodes difficiles dans ma vie, et de n’avoir qu’un simulacre de communication avec le client.
On peut aussi avoir eu une journée chargée, pleine de contrariétés et avoir l’esprit totalement ailleurs lors d’un rendez-vous.
Dans ce cas, la qualité de l’écoute, et donc de la consultation avec le client, s’en ressentira fortement si l’on ne parvient pas à faire le vide en soi.
Il faut alors envisager :
De reporter le rendez vous
D’assurer le rendez vous par un collaborateur
Ou, si cela n’est pas possible, de réaliser le rendez-vous malgré tout en prévenant le client de vos difficultés ponctuelles.
Il vaut mieux expliquer directement au client que vous avez eu une journée chargée et stressante, et que vous allez vous en tenir à l’essentiel durant l’entretien. Votre interlocuteur comprendra alors votre position, et ne vous en tiendra pas rigueur.
Si au contraire vous ne le prévenez pas de la difficulté, il pensera que le défaut d’écoute est un problème permanent chez vous. C’est “le coup” à perdre le client, surtout si il vient vous voir pour la première fois.
L’empathie.
L’écoute active est un acte d’empathie, qui suppose de focaliser l’attention sur l’autre et donc, de s’oublier soi-même, l’espace de la discussion.
Cela suppose une capacité à s’intéresser véritablement à l’autre, à ses difficultés, à ce qu’il ressent, à ce qu’il veut transmettre, etc …
Et ce sans jamais le juger. Le jugement rompt de façon immédiate et souvent définitive, toute communication …
Nous constatons que l’écoute active puise ses ressources dans ce qu’il y a de plus profond dans l’être humain : l’empathie, et donc la capacité à “aimer” l’autre.
Celui qui voit en l’autre un adversaire ne peut avoir d’écoute, et donc de communication avec celui-ci… Pas plus que celui qui voit en l’autre un simple “faire valoir”, un moyen de se mettre en avant. Pas plus que celui qui voit en l’autre quelqu’un d’ inintéressant et insipide …
L’empathie est à distinguer de la compassion.
Les frontières entre l’empathie et la compassion sont minces, mais il convient de ne pas les franchir. A défaut, la relation avocat / client, s’en trouvera négativement affectée.
L’écoute compassionnelle manifeste de la pitié, on “épouse l’affect” du client, on s’identifie à sa problématique.
Un pas de trop est franchi et le client peut avoir le sentiment :
D’avoir fait de vous un ami
D’avoir fait de vous un véritable confident
D’avoir “gagné du terrain” avec vous et avoir la possibilité de vous en demander de plus en plus.
La relation client / professionnel est alors biaisée et vous sortez du cadre professionnel qui vous protège.
Le cadre professionnel pose des limites à l’autre et vous permet de ne pas être envahi par celui-ci.
C’est là aussi tout l’intérêt de la véritable écoute active et de la véritable communication : être en mesure de comprendre, d’aider, de faire un bon travail, mais aussi de conserver les saines distances qui nous permettent de conserver notre sphère de liberté et d’autonomie.
L’écoute compassionnelle peut également être mal perçue par le client.
Il peut en effet se sentir blessé par votre “pitié”... Il vient chercher des solutions, et il trouve une tristesse partagée qui lui fait ressentir de plus fort ses propres problèmes, et qui les amplifie.
L’écoute compassionnelle suppose de ressentir ce que l’autre ressent et cela ne peut que vous desservir.
Ainsi, il ne faut jamais dire au client, ni à qui que ce soit d’ailleurs : “Je sais ce que vous ressentez”.
La réalité est que vous ne saurez jamais ce que l’autre ressent. Jamais.
Si une personne est affligée parce que son père est décédé par exemple, vous ne saurez pas ce qu’il ressent. Son ressenti est lié à sa sensibilité, à la complexité de sa personne, et à la globalité relation qu’il avait avec son père.
Cette émotion est unique car elle est intrinsèquement liée à des paramètres intimes et uniques.
Selon la relation que la personne entretenait avec son père par exemple, il peut se cacher, derrière l’affliction, un sentiment d’injustice, une grande colère, une grande peine, ou au contraire un grand soulagement.
Le ressenti que l’on a, face à telle ou telle situation pénible, dramatique ou traumatisante, n’aura jamais l’équivalent du ressenti d’une seule autre personne sur cette terre, pour la même situation ou pour une situation approchante
Une réponse empathique implique la compréhension de situation du locuteur, le coeur du message, sans s’identifier à sa problématique.
La personne empathique reste “à sa place” et ne se met pas à la place de l’autre.
La réponse compassionnelle exprime de la peine, du chagrin, sans une vraie compréhension des propos tenus.
Elle génère une rupture des distanciations qui basent la communication véritable.
En conclusion.
A la lumière de ce qui vient d’être développé, on comprend que la plupart des gens à qui l’on parle ne nous écoutent pas véritablement … Ou peut être aussi, malheureusement, que nous n’écoutons pas la plupart de ceux qui nous parlent …
La communication étant le fondement même de notre métier il convient de comprendre ce qu’elle est profondément, et de pratiquer l’écoute active avec nos clients (et en règle générale).
Les éléments essentiels de celles-ci ont été ci-avant présentés.
Il faut donc maintenant “s’y mettre”, et pour cela, analyser notre propre écoute… Déterminer ce qu’il y a de juste ou d’erroné dans notre approche…
Il est par ailleurs difficile de s’évaluer soi-même…
Alors pourquoi ne pas interroger ses proches, ses Confrères, ses amis, sur nos réelles capacités d’écoute ? Sur leur ressenti dans les interactions qu’ils ont avec nous ?
Cela nous amènera peut être à reconsidérer notre écoute… Si nous savons les écouter vraiment …