Article initialement paru dans le Numéro n°19 d’Actus des Barreaux Spécial Barreaux du Grand Ouest. Accessible en intégralité ici.
Actus des barreaux : Qu’est-ce qui vous a conduit au métier d’avocat ?
Marie-Agnès Bernard-Hurstel : Au départ, ce n’était pas une vocation. À l’origine, je voulais faire Sciences Po et j’ai entrepris des études de droit pour passer le concours. Mais rapidement, en première année, je suis tombée amoureuse du droit privé et j’ai continué dans cette voie. La perspective de Science Po s’est alors éloignée. J’ai poursuivi mes études jusqu’en DEA sans savoir ce que j’allais faire. J’aurais pu rédiger d’une thèse, mais je n’en avais ni les moyens, ni l’endurance.
Quelle a été la suite de votre parcours ?
J’avais envie de travailler et j’ai quitté l’université de Dijon pour rejoindre Strasbourg et préparer les concours de l’Institut d’études judiciaires (IEJ) à l’Université Robert Schuman. J’ai pu préparer le concours d’entrée à l’École nationale de la Magistrature (ENM) que j’ai raté de peu, et l’examen d’entrée à l’École d’avocats que j’ai réussi. J’ai alors intégré le Centre régional de formation professionnelle (CRFP) d’Alsace, puisque l’ERAGE n’existait pas encore.
Quelle a été votre formation initiale ?
Après une première année de formation théorique, j’ai été embauchée par un cabinet d’avocats strasbourgeois pour y effectuer ce que l’on appelait alors le grand stage d’une durée de deux ans. Le 13 janvier 2003, j’ai prêté serment à Colmar et j’ai commencé à exercer même si, je l’avoue, le métier nee m’avait pas encore convaincue.
Pour quelle raison ?
Lors des années passées à l’IEJ, j’ai été embauchée comme étudiante participant à des travaux non juridictionnels en juridiction par l’ENM. J’ai travaillé au Tribunal d’instance de Schiltigheim, au Parquet de Strasbourg puis au côté de la vice-présidente chargé des référés au TGI de Strasbourg. J’y ai découvert le métier d’avocat, ses avantages, mais aussi ses travers et ses difficultés. Ceci étant, titulaire du CAPA, j’ai sauté dans le bain de la profession.
Vous avez dès lors abordé l’étape, décevante selon vous, de la collaboration.
C’était il y a plus de 20 ans et j’ai pris conscience que cette collaboration ne me convenait pas, compte- tenu des conditions de travail : trois avocats dans un bureau, une rémunération minimale, un temps de travail considérable sans possibilité de développer une clientèle, une ambiance peu conviviale et une tension palpable, sans mentorat. Juriste et avocate, censée faire valoir les droits des uns et des autres, je me retrouvais dans une situation où mon contrat de collaboration ne me paraissait pas conforme à l’esprit du Grand Stage permettant au collaborateur de se former avec un maître de stage avant d’accéder au Grand Tableau, tout en lui permettant de développer sa clientèle. D’autres collaborateurs ont eu des expériences plus positives que moi. Mais d’une nature entière lorsque les actes que je suis amenée à accomplir ne sont plus conformes à mes idées et peu encline à l’hypocrisie, j’ai pris décidé de démissionner.
Qu’est ce qui vous a incitée à entrer dans la Gendarmerie nationale ?
J’y pensais depuis longtemps car j’ai toujours eu du respect pour une institution dont je conserve une image positive. À l’époque où j’étais inscrite à l’IEJ de Strasbourg, j’avais envisagé l’éventualité de passer le concours d’officier de la Gendarmerie. Le projet n’a pas abouti mais l’idée ne m’a plus jamais quittée. Mariée en 2003 à un réserviste de l’Armée de terre, j’avais alors trouvé la formule suffisamment intéressante pour m’engager à mon tour en qualité de réserviste dans la Gendarmerie en 2005.
Étiez-vous réserviste opérationnelle ou réserviste citoyenne ?
Les réservistes citoyens, qui ont un grade honorifique, ne portent pas l’uniforme et participent à la promotion des armées. Comme les réservistes opérationnels, j’ai suivi une préparation militaire supérieure avant d’entreprendre une formation d’officier de réserve. Hors sa vie civile, le réserviste opérationnel, qui bénéficie d’une formation militaire, revêt chaque année l’uniforme lorsqu’il vient en renfort du corps d’armée qu’il sert.
Quel était votre grade à l’époque ? Quelles étaient vos fonctions dans la Gendarmerie ?
J’étais lieutenant quand j’ai quitté la réserve en 2014.
J’ai exercé plusieurs fonctions. J’ai été affectée au groupement de la Gendarmerie de la Côte-d’Or où je formais les gendarmes adjoints volontaires candidats au concours de sous-officier. J’étais par ailleurs formatrice en intelligence économique, avec une appétence très nette en ce domaine.
Qu’entendez-vous par « intelligence économique » ?
Les entreprises implantées dans les zones d’intervention de la Gendarmerie peuvent être exposées à certaines vulnérabilités, auquel cas deux missions lui incombent : l’une consiste à veiller à protéger ces entreprises en les alertant sur d’éventuels risques. La seconde repose sur la formation des gendarmes en ce domaine. J’avais donc pour tâche de me rendre dans les entreprises et dans les compagnies de Gendarmerie où j’expliquais les cas de vulnérabilités à connaître pour mieux les prévenir et les combattre. Rapidement, j’ai rejoint la Région de Gendarmerie de Bourgogne où mes fonctions en matière d’intelligence économique étaient à l’échelle des quatre départements. En parallèle, j’ai effectué des missions de formations en région parisienne, pour la Direction générale de la Gendarmerie nationale, en matière pénale.
Pendant combien de temps avez-vous été gendarme de réserve ?
J’ai servi pendant sept ans.
Qu’est ce qui vous a réconciliée avec la profession d’avocat ?
Je ne l’ai jamais abandonnée. J’y ai renoncé plusieurs fois, n’étant pas toujours satisfaite de mes conditions d’exercice. J’ai arrêté de 2005 à septembre 2007. À cette date, je suis partie de zéro en posant ma plaque à Dijon. J’ai interrompu mes activités en 2014 pour des raisons personnelles et je n’ai repris la robe qu’en mai 2018, lors d’un passage en entreprise qui a clairement révélé ma préférence pour un exercice indépendant.
Quelles matières du droit vous attirent-elles ?
Les matières techniques et juridiques me plaisent et mes domaines de prédilection relèvent du droit bancaire, des voies d’exécution et du recouvrement, le fil rouge de ma carrière. Depuis mon premier poste, je n’ai jamais cessé de défendre des établissements bancaires. Titulaire d’un DU, j’exerce le droit des entreprises en difficulté. Généraliste, à l’exception du droit de la famille, je ne dispose d’aucune mention de spécialisation.
Exercez-vous au pénal ?
Non. C’est un choix. Je me sens plus à l’aise en ne m’occupant pas de justiciables qui auraient des démêlés avec la justice pénale.
Votre expérience de gendarme est-elle un plus pour votre métier d’avocat ?
C’est même un atout. Ma formation d’officier m’est utile tous les jours, qu’elle concerne les actes réflexes du combattant que j’ai projetés dans mon exercice, ainsi que les méthodes de raisonnement tactique.
Comment envisagez-vous l’évolution de votre carrière ?
La question va se poser dans la mesure où je fais beaucoup de choses à la fois. J’enseigne le droit des sûretés et les procédures civiles d’exécution à l’Université des Bretagne Occidentale depuis plusieurs années.
Ma vie familiale va par ailleurs m’autoriser, dans deux ans, une pleine liberté qui facilitera l’évolution de ma carrière dans le domaine du droit dont je reste avant tout une technicienne et une praticienne.
Songez-vous à quitter à nouveau la robe ?
Je n’ai jamais été aussi bonne qu’en servant l’intérêt collectif, comme je l’ai fait au sein de la Gendarmerie. J’envisage donc de développer mon cabinet à ma manière, mais je n’exclus toutefois pas de changer de braquet et de raccrocher la robe. Quoi qu’il en soit, bâtir une carrière au même endroit ne me correspond pas forcément.