Le contentieux relatif aux prêts immobiliers indexés sur le franc suisse connaît des évolutions majeures en faveur des emprunteurs.
Longtemps perçus comme attractifs pour les travailleurs frontaliers, ces prêts sont devenus une source de litiges massifs en raison des fluctuations défavorables de change.
Deux décisions récentes - Cour d’appel de Lyon, 27 mars 2025 [1] et Tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, 17 avril 2025 [2] - accentuent la pression judiciaire sur les banques.
Ces décisions s’inscrivent dans une dynamique plus large, nourrie par la jurisprudence de la Cour de cassation, de la CJUE, et des juridictions de fond, autour des obligations d’information, de transparence et du caractère abusif des clauses de remboursement en devise étrangère.
I. Le manquement au devoir d’information : un fondement classique mais consolidé.
A. Un rappel du cadre légal.
En droit français, les établissements de crédit sont soumis à une obligation générale d’information et de mise en garde [3].
Cela implique notamment d’attirer l’attention de l’emprunteur sur le risque de change, lorsque le prêt est libellé en devise étrangère.
Cette solution est bien établie [4].
B. Apports de l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon, 27 mars 2025.
Dans l’affaire tranchée par la Cour d’appel de Lyon (n°21/08790), il est reproché à la banque de n’avoir fourni aucune simulation sérieuse d’évolution du capital restant dû en fonction du taux de change euro/franc suisse.
C’est une nouvelle obligation pour les établissements de crédits.
La cour rappelle qu’une simple mention générale dans le contrat ne suffit pas : "Le prêteur est tenu de délivrer une information spécifique, claire et individualisée sur le risque de change".
Le prêt est annulé pour vice du consentement, en application de l’article 1130 du Code civil.
II. L’encadrement du caractère abusif des clauses de remboursement en devise étrangère.
A. Le contrôle de l’équilibre contractuel.
L’article L212-1 du Code de la consommation prohibe les clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties [5].
B. La décision du Tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse du 17 avril 2025.
Le tribunal a annulé la clause de remboursement en euros d’un prêt indexé sur le franc suisse, en relevant :
- L’absence de mécanisme de plafonnement du risque ;
- L’impossibilité pour l’emprunteur de bénéficier d’une reconversion sans pénalité ;
- L’absence de compensation par un taux d’intérêt réduit.
Ce sont des nouveaux arguments qui viennent compléter les failles des contrats bancaires et donc multiplier les chances d’annulation des crédits immobiliers libellés en francs suisse.
III. L’influence déterminante de la jurisprudence européenne.
A. CJUE, arrêt C-186/16 du 20 septembre 2017 (Andriciuc).
Au-delà de ces nouvelles obligations, la tendance majeure est l’utilisation de plus en plus importante par nos tribunaux nationaux des jurisprudences communautaires.
Dans l’arrêt Andriciuc, la CJUE rappelle que la clause de remboursement en devise étrangère doit être rédigée de manière claire afin que l’emprunteur soit capable d’évaluer ses conséquences économiques.
La seule mention de l’existence d’un risque de change ne suffit pas : il faut que l’emprunteur puisse en mesurer l’impact.
Les juridictions françaises s’alignent donc sur cette vision protectrice du consommateur emprunteur.
B. Application au contentieux français.
Le juge français applique aujourd’hui systématiquement ce raisonnement : si la Cour d’appel avait ouvert le chemin [6], si la Cour d’appel de Besançon avait "requalifiée" le prêt de francs suisses en euros [7], la sanction d’annulation va encore plus loin et est, évidemment, plus favorable à l’emprunteur.
IV. Quelles perspectives pour les emprunteurs ?
Ces récentes décisions confortent plusieurs axes d’actions pour les emprunteurs :
- Demander l’annulation du contrat pour vice du consentement ;
- Soutenir le caractère abusif des clauses de remboursement en devise étrangère ;
- Obtenir la substitution du prêt par un prêt en euros sans risque de change ;
- Réclamer des dommages intérêts qui viennent "compenser" la trop grande variation des intérêts en francs suisse.
Conclusion.
L’actualité récente des prêts en francs suisses marque un net infléchissement jurisprudentiel en faveur des emprunteurs.
Face à l’in-transparence bancaire passée, les juridictions françaises, encouragées par la CJUE, offrent désormais des leviers efficaces pour obtenir l’annulation ou l’aménagement de contrats déséquilibrés.
Le développement de ces contentieux devrait inciter les établissements financiers à une vigilance accrue lors de la souscription de prêts en devises étrangères.