Le récent programme de réforme de la justice portée par le garde des Sceaux, Monsieur Eric Dupont Moretti, a vocation à redonner des moyens d’efficacité à l’institution judiciaire.
Largement décriée depuis de nombreuses années, l’une des critiques majeures du système porte la lenteur de ces procédures, quelque soit la matière, civile, administrative ou pénale.
En l’absence de précisions légales sur le sujet, un débat doctrinal est régulièrement nourri sur les voies d’action envisageables notamment la possible nullité ou l’octroi de dommages et intérêts. Une récente décision de la Cour de cassation a pu apporter des précisions sur ces éléments [2].
Procès équitable et délai raisonnable.
Justifié par la nécessité que « la justice ne soit pas rendue avec des retards propres à en compromettre l’efficacité et la crédibilité » [3], l’article 6 § 1, de la Conv. EDH prévoit le droit de tout accusé de voir sa cause jugée par un tribunal dans un délai raisonnable, une fois le processus judiciaire entamé.
Ce caractère « raisonnable » de la durée d’une procédure s’apprécie selon les juridictions « in globo » intégrant notamment des critères relatifs aux comportements des autorités compétentes, des parties, la complexité de l’affaires et naturellement les enjeux du litige [4].
Par le passé, la France a déjà pu être condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour avoir « dépassé » le délai raisonnable [5].
L’annulation d’un procès pour violation du procès équitable et « délai déraisonnable ».
Les faits d’espèce de la décision sont particulièrement impressionnants : vingt ans de procédure pénale et sept juges d’instruction ont tenté de lever le voile des responsabilités pénales des protagonistes dans l’affaire dite de la « chaufferie de la Défense ». En cause, le renouvellement d’attribution de la concession de l’exploitation du chauffage et de la climatisation du quartier d’affaires de la Défense (Hauts-de-Seine) portant sur plus de douze mille appartements et plus deux millions de mètres carrés de bureaux.
Initiée par le signalement d’une inspectrice de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), les juridictions se sont intéressées aux conditions d’octroi du marché laissant apparaitre de potentiels faits de corruption, de faux et usage de faux et d’abus de biens sociaux.
Après une décision de Cour d’appel de Versailles du 15 septembre 2021 confirmant l’annulation du procès prononcée en première instance le 11 janvier 2021 par le Tribunal de Nanterre en raison d’une procédure ayant « excédé un délai raisonnable » et au final de l’impossibilité de faire droit au principe d’un « procès équitable », le parquet général s’est pourvu en cassation.
Toutefois, la Chambre criminelle a cassé l’arrêt de la Cour d’appel au motif que « la durée excessive d’une procédure ne peut aboutir à son invalidation, alors que chacun des actes qui la constitue est régulier ». Concernant les critiques relatives aux conditions d’un procès équitable, la haute juridiction oppose que le fait de
« ne pas être jugé dans un délai raisonnable ne porte pas, en soi, atteinte aux droits de la défense. Il ne peut donc s’agir d’une cause de nullité de la procédure ».
Conséquences d’un délai déraisonnable : tout sauf la nullité.
La décision de la Chambre criminelle est importante de conséquences : en aucun cas, un délai déraisonnable de procédure ne pourrait aboutir à la nullité de cette dernière ou à une cause d’extinction de l’action publique. Il s’agit d’une confirmation de sa position traditionnelle [6].
Veillant à la bonne tenue du procès en appel sur renvoi de sa cassation, la haute juridiction s’attache à présenter les voies d’action ouvertes aux juridictions face à de telle situation : la recherche d’une éventuelle relaxe fondée sur un éventuel dépérissement des preuves sur le fondement de l’article 427 du Code de procédure pénale, la possible suspension de l’action publique justifiée par l’état mental ou physique des prévenues rendant impossible l’exercice de sa défense ou encore la prise en compte de la durée excessive de la procédure dans le cadre de l’individualisation de la peine.
La position de la Cour d’appel de Paris devant laquelle l’affaire est renvoyée sera naturellement attendue avec (im)patience, étant rappelé que, parmi les principaux accusés, le premier est décédé en 2019 à 94 ans, le deuxième a 99 ans avec des capacités cognitives diminuées et le dernier est âgé de 83 ans, atteint de la maladie de Parkinson.
Références :
J.B Jacquin, Chaufferie de la Défense : quand des magistrats détaillent un fiasco judiciaire, Le Monde 21.09.2021 [7]
I. Rey-Lefebvre, Marché de la chaufferie de la Défense : le procès impossible, Le Monde 22.09.2020 [8]
B. Quentin, Pas de nullité pour les procédures pénales qui durent au-delà d’un délai raisonnable, Le Club des Juristes, 13.12.2022 [9]
C. Berlaud, Conséquences du dépassement du délai raisonnable : la Cour de cassation maintient sa jurisprudence et la précise, Actu-Juridique Droit pénal, 09.11.2022 [10]
S. Lavric, Quelles conséquences en cas de délai déraisonnable d’une procédure pénale ? A la Une Dalloz, 07.12.2022 [11]
H. Diaz, Délai raisonnable : caractère excessif de la durée d’une instruction, Dalloz Actualités, 21.02.2018 [12]
D. Floreancig, La durée excessive d’une procédure pénale ne justifie pas son annulation, maintient la Cour de cassation, Dalloz Actualité, 18.11.2022 [13]
Cour de Cassation, Affaire dite « de la chaufferie de La Défense » - Conséquences du dépassement du délai raisonnable d’une procédure pénale, 09.11.2022 [14]