Devoir de vigilance européen : la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale demande une législation ambitieuse et effective.

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Alors que le projet de directive sur le devoir de vigilance se fait attendre –conséquence d’un intense lobbying de la part des entreprises auprès de la Commission européenne–, la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a publié, le 15 décembre dernier, un rapport d’information appelant à un devoir de vigilance ambitieux au niveau européen.

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Le président de la République en a fait l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne (PFUE) (conférence de presse du 9 décembre 2021). Dans un rapport publié le 15 décembre 2021, la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale revient sur la genèse du devoir de vigilance et les différentes initiatives législatives en Europe en la matière. Tout en soulignant le caractère pionnier de la loi française du 27 mars 2017, le rapport d’information relève ses limites, constatant que le devoir de vigilance n’est pas pleinement effectif en France. Rappelant l’opportunité qu’a la PFUE de jouer un rôle important afin d’accélérer et de faciliter les travaux sur la future directive, les rapporteurs formulent huit propositions pour un devoir de vigilance ambitieux au niveau européen. Ces propositions concernent le champ d’application du devoir de vigilance (risques couverts, entreprises concernées, chaîne de valeur), l’existence de recours effectifs et le rôle de la puissance publique.

Les risques couverts par le devoir de vigilance : droits humains et environnement

Le champ d’application matériel du devoir de vigilance est l’un des points de tension des tractations en cours au niveau européen. Si l’inclusion des droits humains et des libertés fondamentales semble faire consensus, de nombreuses fédérations d’entreprises souhaitent exclure les questions environnementales – et tout particulièrement le climat – du champ d’application de la future directive.

La commission des affaires européennes se prononce résolument en faveur de l’inclusion, à côté des droits humains, des risques environnementaux (proposition n°1). Il s’agit d’« une évidence compte tenu de l’urgence écologique et des risques d’externalisation des comportements polluants » et, partant, un niveau minimal d’exigence.

Elle est plus prudente s’agissant, en revanche, du risque climatique, jugeant que cette question relève d’un débat qui dépasse le cadre du rapport d’information. On peut regretter cette frilosité, alors que le service européen de surveillance de la Terre a mesuré pour 2021 des concentrations jamais atteintes dans l’atmosphère de gaz à effet de serre produits par l’activité humaine et responsables du réchauffement climatique, et que la juridiction administrative a enjoint à l’Etat français de prendre, d’ici la fin de l’année, toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre auxquels il s’est engagé dans le cadre de l’Accord de Paris. Compte tenu de la délocalisation des émissions de gaz à effet de serre qui résulte de la mondialisation des échanges, et précisément parce qu’il s’agit d’un problème global et cumulatif, il est crucial de responsabiliser tous les acteurs. En particulier – et en priorité – ceux dont les activités sont génératrices d’émissions de gaz à effet de serre, quel que soit le pays où ces émissions ont lieu, et dès lors que celles-ci résultent de la chaîne de valeur des multinationales.

Les entreprises concernées par le devoir de vigilance : des critères ambitieux et réalistes

Trois des propositions (propositions n° 2, 3 et 4) concernent les critères et seuils permettant d’identifier les entreprises soumises au devoir de vigilance.
Le champ d’application restreint du devoir de vigilance est l’une des faiblesses de la loi française. Seules sont concernées les entreprises françaises employant plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 salariés dans le monde (dans les deux cas, en comptant les salariés de leurs filiales).

De fait, pas plus de 250 entreprises seraient concernées. Et, s’il permet de cibler les entreprises multinationales en prenant les effectifs au niveau du groupe, ce critère ne permet pas d’identifier les entreprises assujetties au devoir de vigilance, les effectifs des entreprises n’étant pas des données publiques. Le manque de transparence en la matière rend impossible pour les parties prenantes – comme d’ailleurs pour les pouvoirs publics – de savoir exactement quelles entreprises sont concernées. Or l’identification des entreprises concernées est l’une des conditions sine qua non de l’effectivité du devoir de vigilance.

Tirant les enseignements de la loi française, le rapport préconise de développer des critères multiples et alternatifs, qui soient à la fois plus pertinents et plus aisément accessibles, et notamment des critères inspirés du droit de la concurrence, tels que le chiffre d’affaires ou le pouvoir de marché (proposition n° 2). Sur la question des seuils d’application, la commission parlementaire propose de s’inspirer de la loi allemande du 11 juin 2021, qui a fait le choix de seuils plus bas et progressifs dans le temps (3 000 employés dès l’entrée en vigueur de la loi en 2023 puis 1 000 salariés en 2024) (proposition n° 3). Enfin, prenant acte de ce que certains secteurs intensifs en main d’œuvre et aux chaînes de valeur longues (textile, secteurs extractifs, matière premières agricoles) présentent des risques particulièrement élevés, le rapport évoque la possibilité de prévoir des seuils abaissés (voire l’absence de seuil) pour ces secteurs (proposition n° 4).

Des obligations portant sur l’ensemble de la chaîne de valeur des entreprises

C’est un autre point majeur de tension du projet de directive. Un certain nombre d’entreprises font pression pour limiter le devoir de vigilance européen au rang un des chaînes de valeur. C’est-à-dire, pour limiter les obligations de vigilance des entreprises à leurs seuls fournisseurs et sous-traitants directs – arguant de la difficulté voire l’impossibilité pour elles de contrôler leurs fournisseurs et sous-traitants indirects.

Le rapport d’information rappelle, à juste titre, qu’une telle limitation reviendrait à vider de sa substance le devoir de vigilance, et inciterait les entreprises à repousser les risques en amont de la chaîne de valeur. Le devoir de vigilance répond au constat que les règles en matière de responsabilité des entreprises ne sont plus adaptées au contexte de la mondialisation économique. Il tend à mettre en œuvre une approche de la responsabilité de l’entreprise fondée non plus sur des frontières juridiques artificielles mais sur son pouvoir économique réel, celui qu’elle exerce via ses sous-traitants et fournisseurs tout au long de chaînes de valeur désormais mondiales.

Les rapporteurs préconisent, dès lors, un devoir de vigilance le plus étendu possible et concernant l’ensemble de la chaîne de valeur des entreprises donneuses d’ordre dès lors qu’une relation commerciale est établie – ce critère étant « une condition élémentaire de l’effectivité de ce devoir » (proposition n° 5). Cela impliquerait certes d’importants investissements et efforts de la part des entreprises afin d’atteindre un niveau de connaissance de leur chaîne de valeur et d’élaborer des stratégies de vigilance efficaces. Mais c’est le prix du respect des droits humains fondamentaux et de la préservation de notre environnement, dont les entreprises ont trop longtemps été affranchies (et dont elles ont largement bénéficié d’un point de vue économique).

L’accès au juge, condition de l’effectivité du devoir de vigilance

Le rapport d’information souligne que l’existence d’un recours judiciaire pour les victimes et les parties prenantes (ONG) est essentiel à l’effectivité du devoir de vigilance, en tant que voie de mise en œuvre du celui-ci et garantie de son application. Suivant en cela le législateur français, il préconise la voie du recours judiciaire permettant aux victimes d’obtenir réparation des préjudices causés par les manquements d’une entreprise à son devoir de vigilance, en application des principes de responsabilité civile (proposition n° 6).

La mise en place d’une autorité administrative s’inscrivant dans une véritable politique de prévention

La mise en place d’une autorité administrative fait également partie des sujets qui divisent, y compris au sein des ONG ou des entreprises. Selon les rapporteurs, la présence d’une autorité administrative permettrait de contrôler en amont le respect par les entreprises de leurs obligations, mais aussi d’accompagner, de guider celles-ci dans l’élaboration de leurs stratégies de vigilance. Il est précisé, toutefois, que le contrôle administratif ne saurait se substituer à la voie judiciaire – pièce centrale du devoir de vigilance – et ne peut constituer qu’une voie complémentaire de mise en œuvre du devoir de vigilance (proposition n° 7).

Enfin, le rapport est favorable à la création d’un réseau européen d’autorités administratives nationales, porteur d’une véritable politique publique de prévention fondée sur une expertise publique indépendante, le dialogue avec la société civile et l’accompagnement des entreprises (proposition n° 8).

Si le rapport ne se prononce pas sur certaines questions cruciales du devoir de vigilance (risque climatique, définition des obligations découlant du devoir de vigilance, charge de la preuve, responsabilité pénale), il pose néanmoins un certain nombre de jalons indispensables à une législation effective sur le devoir de vigilance. A cet égard, l’analyse et les propositions de la commission des affaires européennes apparaissent comme une initiative salutaire face au travail de sape mené par les lobbys depuis 18 mois contre le devoir de vigilance européen. Il reste à voir si la présidence française de l’Union européenne saura être à la hauteur des enjeux.

Julia Thibord et Emmanuel Daoud, Cabinet Vigo

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