La fermeture administrative d’un établissement en raison de nuisances sonores.

Par Quentin Clément, Avocat.

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Explorer : # nuisances sonores # fermeture administrative # ordre public # procédure contradictoire

On peut noter une proportion de plus en plus élevée de fermeture administrative prononcée par les Préfectures en raison des nuisances sonores causées par certains établissements, tels des restaurants, des débits de boissons ou encore les établissements diffusant de la musique (les discothèques notamment).
Au regard des conséquences notables et parfois désastreuses pour l’établissement d’une fermeture administrative pour nuisances sonores, il est important de connaître ses droits et les actions possibles en cas d’illégalité d’une telle décision prise par l’Administration.

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I. Les fondements juridiques pouvant permettre une fermeture administrative pour nuisances sonores.

L’article L3332-15 du Code de la santé publique dispose notamment que :

« 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l’État dans le département pour une durée n’excédant pas six mois, à la suite d’infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements.
(…)
Cette fermeture doit être précédée d’un avertissement qui peut, le cas échéant, s’y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d’une défaillance exceptionnelle de l’exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier.
2. En cas d’atteinte à l’ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l’État dans le département pour une durée n’excédant pas deux mois. Le représentant de l’État dans le département peut réduire la durée de cette fermeture lorsque l’exploitant s’engage à suivre la formation donnant lieu à la délivrance d’un permis d’exploitation visé à l’article L3332-1-1.
 »

L’alinéa 1ᵉʳ de l’article L332-1 du Code de la sécurité intérieure dispose que les débits de boissons ou restaurants peuvent faire l’objet d’un arrêté de fermeture administrative lorsque ces derniers causent un trouble à l’ordre, la sécurité ou la tranquillité publics :

« Les établissements fixes ou mobiles de vente à emporter de boissons alcoolisées ou d’aliments assemblés et préparés sur place, destinés à une remise immédiate au consommateur, dont l’activité cause un trouble à l’ordre public, la sécurité ou la tranquillité publics peuvent faire l’objet d’un arrêté de fermeture administrative d’une durée n’excédant pas trois mois pris par le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, par le préfet de police ».

L’article L333-1 du même code dispose quant à lui à son alinéa 1ᵉʳ que :

« Les établissements diffusant de la musique, dont l’activité cause un trouble à l’ordre, la sécurité ou la tranquillité publics, peuvent faire l’objet d’un arrêté de fermeture administrative d’une durée n’excédant pas trois mois par le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, par le préfet de police ».

En application de ces dispositions, il existe dès lors différents régimes juridiques distincts permettant une fermeture administrative d’un établissement.

La finalité reste toutefois la même puisque la Préfecture peut décider de prendre une mesure de fermeture administrative à l’encontre d’un établissement, pour une durée qui ne doit pas excéder celle fixée par les textes, en fonction de chaque situation.

Ainsi, à titre d’exemple, a été considérée comme légale la décision du préfet de police édictée à la suite de troubles répétés à l’ordre et à la tranquillité publics avec plusieurs constatations par les services de police de différentes nuisances ou autres manquements aux réglementations applicables à l’établissement [1] :

« 7. Considérant qu’il résulte de l’instruction, et en particulier du rapport de police du 20 août 2014, que trois mesures de fermeture administrative ont déjà été prononcées à l’encontre de l’établissement « Le White », à raison de troubles répétés à l’ordre et à la tranquillité publics, respectivement le 4 octobre 2012 pour une durée de quarante cinq jours, le 29 juillet 2013 pour une durée de deux mois, et le 10 mars 2014 pour une durée de trois mois  ; que, depuis la dernière réouverture de l’établissement, son activité cause à nouveau un trouble à la tranquillité publique  ; qu’en effet, le 27 juillet 2014, les forces de l’ordre ont constaté, lors d’une mission de contrôle, qu’à 2h10, soit au-delà de l’heure réglementaire de fermeture, près d’une soixantaine de clients se trouvaient encore à l’intérieur de l’établissement  ; que le 1ᵉʳ août 2014, à 00h30, les forces de l’ordre ont constaté, depuis la voie publique, l’existence de forts bruits de musique émanant de l’intérieur de l’établissement  ; que pareille nuisance sonore a été constatée, le 5 août 2014, à 00h30 depuis l’appartement d’un voisin  ; qu’eu égard à leur nature et à leur caractère répété, ces faits caractérisent une atteinte à l’ordre et à la tranquillité publics en relation avec l’activité de l’établissement «  Le White  » de nature à justifier sa fermeture administrative  ; qu’il suit de là que, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, le préfet de police n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l’industrie qui, découlant de la liberté d’entreprendre, constitue une liberté fondamentale en ordonnant la fermeture de l’établissement «  Le White  » pour une durée de trois mois qui n’est pas manifestement excessive » .

Les mesures de fermeture administrative doivent être fondées sur des nuisances graves, répétées et avérées, telles que l’illustrent plusieurs exemples en jurisprudence :

  • La succession, en l’espace d’un mois, de deux rixes importantes dans l’établissement, qui diffusait en outre de la musique dans des conditions de nature à troubler la tranquillité des riverains [2] ;
  • La répétition de nuisances sonores, ayant donné lieu à plusieurs mises en garde, au dépôt d’une main courante et à une pétition signée par quarante-neuf riverains [3] ;
  • La répétition de nuisances sonores et la méconnaissance des obligations réglementaires en matière de diffusion de sons amplifiés, après une première mesure de suspension de la diffusion de musique amplifiée et malgré plusieurs contacts avec les services de la police municipale et de la préfecture [4].

Il est dès lors indispensable pour les établissements concernés de prévenir autant que faire ce peu les nuisances sonores qui seraient émises par leur fonctionnement et/ou leur clientèle, dans le respect des différentes réglementations applicables, notamment celles fixées par le Code de la santé publique.

II. Sur la procédure à suivre pour l’édiction d’une mesure de fermeture administrative.

Le respect des droits de la défense implique que toute décision administrative individuelle défavorable est prise au terme d’une procédure contradictoire préalable.

Cette exigence s’applique même sans texte [5].

L’article L211-2 du Code des relations entre le public et l’Administration dispose :

« Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.
À cet effet, doivent être motivées les décisions qui :
1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ;
2° Infligent une sanction ;
3° Subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ;
4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ;
5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ;
6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ;
7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l’un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l’article L311-5 ;
8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d’une disposition législative ou réglementaire
 ».

Aux termes de l’article L122-1 du Code des relations entre le public et l’Administration :

« Les décisions mentionnées à l’article L211-2 n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix.
L’administration n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique
 ».

Il résulte de ces textes et de la jurisprudence qu’une procédure administrative contradictoire préalable à une décision individuelle défavorable doit être scrupuleusement suivi sous peine d‘entacher d’illégalité la décision administrative prise à sa suite.

Il ressort également de la jurisprudence administrative que cette procédure contradictoire préalable est une garantie substantielle pour l’intéressé :

« 4. Considérant qu’il convient en l’espèce de souligner que si une fermeture d’un mois a été finalement prononcée, le préfet de Vaucluse n’a invité la société appelante, suivant courrier du 2 mars 2012, à présenter ses observations que sur son intention de fermer l’établissement du Pontet pour une durée de quinze jours  ; que s’il est constant que la société auto-école Jacky a pu avoir connaissance par voie de presse, le 23 mars 2012, soit bien avant la réunion organisée en préfecture à sa demande qui s’est tenue le 3 mai 2012, du projet de fermeture d’un mois, cette voie de communication ne saurait tenir lieu de délivrance d’information préalable conforme aux dispositions de l’article L8272-7 du Code du travail précité  ; que, par ailleurs, le courrier préfectoral susmentionné du 2 mars 2012 se réfère exclusivement à des infractions relevant du Code du travail, constatées par procès-verbal lors de la visite de contrôle effectuée le 13 février 2012 au sein de l’établissement du Pontet par le comité départemental anti-fraude, indiquant notamment la dissimulation d’heures travaillées concernant les moniteurs, alors que l’arrêté litigieux du 11 juin 2012, quant à lui fondé sur la gravité des faits, la persistance des infractions dans le temps et leur multiplicité, vise, outre le travail illégal, d’autres infractions comme l’abus de biens sociaux, la production de faux bilan et le blanchiment de fraude fiscale, dont certaines ont été seulement constatées par procès-verbal  ; que la société appelante n’a donc pu avoir connaissance de l’intention du préfet de se fonder sur ces autres motifs par le courrier du 2 mars 2012, dès lors qu’il ne faisait mention ni du contenu du rapport du 13 février 2012, ni du procès-verbal rédigé à cette même date et, qu’en tout état de cause, aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait à l’administration de communiquer à la SARL ces deux documents, avant d’ordonner la fermeture de l’établissement  ; qu’en outre si la société appelante soutient que ni les autres infractions, ni la durée d’un mois n’ont été évoquées lors de la réunion du 3 mai 2012, le préfet n’infirme pas non plus valablement cet état de fait  ; qu’ainsi les gérants de la SARL auto-école Jacky n’ont pas été mis à même de pouvoir utilement présenter des observations écrites ou orales avant l’intervention de l’arrêté litigieux, notamment lors de la réunion du 3 mai 2012  ; que, dans ces conditions, l’arrêté du 11 juin 2012, a méconnu les dispositions de l’article R8272-7 du Code du travail organisant la procédure contradictoire préalable à une fermeture provisoire  ; que, par suite, l’arrêté en litige a été pris à l’issue d’une procédure irrégulière  ; que, par ailleurs, une fermeture d’un mois motivée par une diversité d’infractions comme, notamment l’abus de biens sociaux et le blanchiment de fraude fiscale, n’appelle pas le même genre d’observations qu’une fermeture de quinze jours fondée sur un motif de travail illégal  ; que, par suite, la SARL auto-école Jacky a été incontestablement privée d’une garantie »  [6].

Dès lors que des observations écrites ont été présentées par l’intéressé, il est nécessaire que l’Administration en ait tenue compte préalablement à l’édiction de sa décision, sous peine d’entacher cette dernière d’illégalité.

L’autorité investie du pouvoir de décision, avant de se prononcer, doit prendre connaissance des observations écrites et orales formulées par l’intéressé dans le cadre d’une procédure contradictoire préalable [7].

Il convient donc de s’assurer qu’avant qu’un arrêté de fermeture administrative d’un établissement pour trouble à la tranquillité publique soit édicté, une procédure contradictoire préalable ait bien été mise en œuvre.

Cette procédure préalable doit permettre à l’intéressé de présenter ses observations écrites et/ou orales sur les reproches qui lui sont fait.

Elle peut alors être l’occasion de convaincre la Préfecture qu’une décision de fermeture administrative ne serait pas opportune ou même illégale.

Cette phase préalable est décisive pour les établissements et il convient d’y prêter une attention particulière et de se faire assister, le cas échéant, afin de faire valoir au mieux ses intérêts et arguments de défense.

III. Sur les recours contentieux possibles en cas de fermeture administrative.

Naturellement, il est loisible aux destinataires de ces décisions de fermeture administrative d’en contester la légalité et d’en demander l’annulation devant les tribunaux administratifs.

Le choix de la procédure contentieuse à suivre dépendra d’une stratégie réfléchie qui doit être déterminée au regard des objectifs et impératifs de l’établissement fermé administrativement.

En pratique, au regard des délais de jugement au fond des tribunaux administratifs et de la durée maximale de fermeture autorisée par la Loi, il est en pratique impossible d’avoir une décision juridictionnelle au fond avant l’expiration de la durée de la fermeture administrative.

Il est pertinent de se tourner vers les procédures d’urgence prévues par le Code de justice administrative.

Un référé-suspension est possible et le requérant devra démontrer que sont remplies les deux conditions fixées par l’article L521-1 du Code de justice administrative : la condition d’urgence et la condition quant au doute sérieux sur la légalité de la décision administrative contestée.

Il peut également être envisagé un référé-liberté, procédure d’urgence dans laquelle le Juge administratif doit se prononcer sous 48 heures.

Une telle procédure a le mérite d’être la plus rapide et semble, à première vue, une solution idéale afin de contester la légalité d’une décision de fermeture administrative temporaire et d’en limiter les effets dans le temps.

Attention toutefois, le Juge des référés-suspension rendant son ordonnance dans un délai de 3 semaines à 1 mois, un arrêté fermeture administrative de deux semaines aura peut-être épuisé l’ensemble de ses effets lorsque le Juge pourrait être amené à se prononcer.

Il conviendra alors d’étudier la possibilité d’une procédure en référé-liberté.

Cette procédure impose de démontrer au Juge administratif que la décision de fermeture administrative porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, telle que la liberté d’entreprendre [8] ou encore la liberté du commerce et d’industrie [9].

Toutefois, il est important de réfléchir précisément à la stratégie contentieuse à adopter et la bonne procédure à emprunter.

En effet, en matière de référé-liberté, « la condition d’urgence est une condition d’extrême urgence » [10].

En pratique, il est très complexe de démontrer que cette condition d’extrême urgence est remplie. Il convient alors de réunir de nombreux documents et justificatifs qui permettront d’attester de cette urgence.

Au regard des différentes stratégies contentieuses possibles et du travail d’analyse juridique à fournir, il apparaît essentiel de se rapprocher d’un avocat afin de contester une décision de fermeture administrative et de réunir toutes les chances de son côté.

Quentin Clément,
Avocat au Barreau de Lyon
quentin.clement chez clement-avocat.fr
https://www.clement-avocat.fr/

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Notes de l'article:

[1CE, juge des réf., 11 nov. 2014, n° 385452.

[2TA Lille, 12 févr. 2009, SARL ACP Associés, n° 0702932.

[3TA Paris, 29 juin 2012, Sté « La Grosse Caisse », n° 1101132.

[4TA Bordeaux, 27 déc. 2019, SAS Le Marais, n° 1801497.

[5CE, ass., 26 octobre 1945, Aramu, n° 77726.

[6CAA Marseille, 2 nov. 2015, n° 14MA02883.

[7CE, 30 décembre 2003, n° 257546.

[8CE, 21 mai 2016, China Town Belleville, no 399955.

[9CE, ord., 25 avr. 2002, Sté Saria Industries, no 245414.

[10Conclusion S. Boissard sur CE 9 avr. 2004, Vast, n° 263759.

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