La France, la Commission européenne et l'usage médical du cannabis. Par Mattéo Barbe, Étudiant.

La France, la Commission européenne et l’usage médical du cannabis.

Mattéo Barbe, Étudiant,
Membre de la Clinique juridique de Normandie.
Master 1 - Droit des assurances - Université Caen Normandie.
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Explorer : # cannabis médical # libre circulation # harmonisation européenne

En mars 2021, la France a lancé une expérimentation visant à évaluer l’usage médical du cannabis. Initialement prévue pour durer trois ans, cette expérimentation devait prendre fin le 31 décembre 2024. Cependant, face à la prise en charge de nombreux patients et aux résultats encourageants obtenus, les autorités ont décidé de prolonger temporairement cette phase en instaurant une période de transition jusqu’au 30 juin 2025.
Alors que cette échéance approche, la continuité de la prise en charge des 1 842 patients qui continuent d’être traités, pose question. Dans ce contexte, deux textes réglementaires sont actuellement en cours d’élaboration afin d’encadrer définitivement l’usage médical du cannabis dans le pays [1].
L’auteur de cet article est membre de la Clinique juridique de Normandie.

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Toutefois, avant leur adoption, ces textes doivent être notifiés à la Commission européenne via la procédure TRIS (Technical Regulation Information System), conformément à la directive (UE) 2015/1535 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information. Cette obligation de notification doit permettre d’assurer la transparence des initiatives nationales visant à l’établissement de règlements techniques.

En effet, le marché intérieur européen comporte un espace sans frontières intérieures au sein duquel les entraves aux échanges résultant des réglementations techniques relatives aux produits ne peuvent être admises que si elles sont nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives et poursuivent un but d’intérêt général.
Dès lors, la mise en place d’un cadre légal pour le cannabis médical en France est susceptible de constituer une barrière à la liberté de circulation des produits dans la mesure où il implique inévitablement des exigences spécifiques en matière de production, d’importation, de distribution et de traçabilité des plants de cannabis.

Par conséquent, le 19 mars 2025, l’arrêté fixant les modalités techniques de détention, de culture, d’importation, d’exportation, de transport ainsi que de stockage de la plante de cannabis à des fins médicales sur le territoire national a été notifié à la Commission [2].

I. Le déroulement de la procédure TRIS face à la Commission européenne.

La procédure TRIS, instaurée par la directive (UE) 2015/1535, est un mécanisme de notification obligatoire visant à prévenir les atteintes à la libre circulation au sein de l’Union européenne. Dans un marché intérieur sans frontières, la procédure TRIPS permet à la Commission, ainsi qu’à l’ensemble des États membres, d’être informés des règlementations techniques envisagées par l’un d’entre eux. Cette étape est donc essentielle pour garantir un cadre légal pérenne au cannabis thérapeutique en France.

À compter de la réception de la notification par la Commission, les États membres doivent reporter l’adoption de leur projet de règles techniques de 3 mois. Durant cette période, la Commission et les autres États membres pourront examiner le projet de texte et formuler d’éventuelles objections ou même proposer des modifications de la mesure envisagée, dans le but de supprimer ou de réduire les entraves à la libre circulation des marchandises.

La France, qui a soumis son texte sur le cannabis thérapeutique à la Commission européenne via le système TRIS le 19 mars 2025, doit donc attendre, au minimum, la fin de la période de "statu quo", soit le 20 juin 2025 avant de pouvoir adopter son texte.
Mais, durant cette période de trois mois, la Commission européenne et les autres États membres peuvent émettre un avis circonstancié à l’attention de l’État membre qui a notifié le projet. L’avis circonstancié a pour effet de prolonger la période de statu quo de trois mois supplémentaires concernant les produits et d’un mois supplémentaire concernant les services.

Lorsqu’un avis circonstancié est émis, l’État membre concerné doit expliquer les mesures qu’il entend prendre en réponse à l’avis circonstancié.

En outre, la Commission et les États membres peuvent également émettre des observations sur un projet notifié qui semble conforme à la législation de l’Union européenne, mais qui nécessite des éclaircissements quant à son interprétation. Dans cette hypothèse, l’État membre concerné doit autant que possible tenir compte desdites observations.

Enfin, la Commission peut également bloquer un projet durant une période comprise entre 12 et 18 mois si des travaux d’harmonisation au niveau de l’Union européenne s’avèrent nécessaires ou si lesdits travaux sont déjà en cours dans le même domaine.

À la fin de la procédure TRIPS, les États membres sont tenus de communiquer à la Commission les textes définitifs dès leur adoption et d’indiquer si un projet notifié a été abandonné, afin de permettre de clore la procédure. Cela permet également à la Commission et aux autres États membres de vérifier si l’État auteur de la notification a tenu compte des réactions qui lui ont été adressées dans le cadre de la procédure.

II. En quoi les textes sur la généralisation du cannabis thérapeutique pourraient-ils être concernés ?

Contrairement aux médicaments classiques, l’Union européenne ne dispose pas d’une législation harmonisée sur le cannabis médical. La Convention des Nations Unies de 1961 classe le cannabis comme une substance contrôlée, laissant chaque État membre libre de fixer ses propres règles en la matière.

Si un État membre de l’UE souhaite mettre en place une nouvelle réglementation technique encadrant l’usage du cannabis médical, il est tenu de la notifier via la procédure TRIS si cette réglementation :

  • A une incidence sur le marché intérieur en imposant des restrictions ou des exigences nouvelles sur les produits ou services liés au cannabis médical ;
  • Modifie les conditions de mise sur le marché des médicaments ou des produits contenant du cannabis ;
  • Crée un obstacle aux échanges en introduisant des règles qui diffèrent de celles d’autres États membres.

Les nouvelles dispositions françaises, précisées dans l’arrêté notifié, fixent des modalités strictes concernant la détention, la culture, l’importation, l’exportation, le transport et le stockage du cannabis médical sur le territoire national.

Ces exigences, qui comprennent des règles de traçabilité, de sécurité et de production, pourraient être perçues comme une entrave à la libre circulation des produits similaires en Europe. En effet, la nécessité d’une autorisation spécifique pour l’importation et le stockage des stupéfiants, ainsi que les obligations de confidentialité imposées aux cultivateurs et transporteurs, restreignent potentiellement l’accès au marché français pour les opérateurs étrangers. De plus, il faut noter que l’accès à la culture est limité aux établissements pharmaceutiques autorisés, et tout cultivateur doit être contractuellement lié à l’un de ces établissements pour une durée maximale de cinq ans.

Concernant la culture du cannabis, la réglementation impose que la culture soit effectuée en bâtiment clos, interdit la culture en plein champ ou en serres souples et encadre fortement les conditions de transport. Il ne faut pas perdre de vue l’objectif de l’Union qui est de créer un marché unique permettant une libre circulation des marchandises. Et, il faut noter que face à ces encadrements, les États membres pourraient s’opposer à de telles mesures limitant clairement la possibilité pour des opérateurs étrangers de s’engager avec la France.

Par ailleurs, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est en mesure d’effectuer des inspections aléatoires, y compris à l’étranger, pour garantir le respect des normes françaises. Si ces contrôles vont au-delà des exigences européennes actuelles, ils pourraient constituer une barrière technique et juridique.

Du côté de nos voisins, certains pays ont adopté des réglementations plus souples que la France comme l’Allemagne qui a légalisé le cannabis médical en 2017 et qui permet aux médecins de le prescrire librement, avec un remboursement partiel par l’assurance maladie, ou encore les Pays-Bas qui disposent depuis 2003 d’un programme national encadré par l’Office du cannabis médical, autorisant la production locale sous un strict contrôle de qualité. Mais, d’autres pays ont, à l’inverse, choisis des règles plus strictes. C’est notamment le cas de la Suède ou la Finlande qui limitent l’accès au cannabis thérapeutique à des cas exceptionnels et sous des conditions très encadrées.

Ces divergences illustrent les défis posés par l’absence d’harmonisation européenne en la matière et soulignent l’importance de la procédure TRIS pour éviter la création de barrières commerciales injustifiées.

Mattéo Barbe, Étudiant,
Membre de la Clinique juridique de Normandie.
Master 1 - Droit des assurances - Université Caen Normandie.
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