En matière de responsabilité médicale du gynécologue-obstétricien lors d’un accouchement, l’expert a recours à la perte de chance d’éviter une paralysie cérébrale (infirmité motrice cérébrale) lorsque le critère de la certitude du lien de causalité fait défaut.
Cependant, dans le contexte d’une action judiciaire pour le cas d’une asphyxie fœtale de l’enfant né handicapé, la famille de la victime et son avocat remarquent souvent que l’estimation par l’expert de la perte de chance n’est pas argumentée ou motivée.
L’avocat en droit de la santé aura l’impression que cette estimation est subjective et dépourvue de transparence.
Pour cette raison, un nombre croissant d’experts évaluent la perte de chance de façon plus objective en se servant d’une analyse technique et documentée.
Cet article décrit les méthodes disponibles en pratique médico-légale pour le calcul de la perte de chance d’éviter le handicap consécutif à l’anoxo-ischémie per-partum.
I. La perte de chance : notion prétorienne permettant de remédier à l’incertitude sur le lien de causalité.
Le recours à la perte de chance devient nécessaire lorsque la certitude du lien causal fait défaut.
Ainsi en cas de responsabilité du gynécologue-obstétricien ou de la sage-femme d’une maternité, le moyen relatif à la perte de chance est soulevée par l’avocat dès lors que, sans les négligences relevées à l’encontre de ceux-ci, il n’était pas certain qu’une paralysie cérébrale ne serait pas survenue.
Principe jurisprudentiel ancien [1], la perte de chance est un préjudice indemnisable en cas de disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable [2].
La chance perdue présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable [3].
Dans ce contexte particulier, l’éventualité favorable disparue est celle d’éviter une paralysie cérébrale à la suite d’une asphyxie fœtale (appelée autrefois « souffrance fœtale »).
En l’absence de survie, l’éventualité favorable disparue est celle d’éviter le décès à la suite d’une asphyxie fœtale.
L’expert doit donc distinguer ces deux hypothèses lors de l’évaluation de la perte de chance car les éventualités favorables disparues ne sont pas les mêmes et les préjudices indemnisés ne sont pas les mêmes.
En cas de survie, la perte de chance parfois soulevée est celle d’éviter l’encéphalopathie anoxo-ischémique (modérée à sévère) mais cette pathologie du nouveau-né (surtout le stade modéré) ne conduit pas toujours à la paralysie cérébrale de l’enfant d’où une sous-estimation erronée de la perte de chance d’éviter la paralysie cérébrale qui est l’objet de la quasi-totalité de la réparation [4].
Encore faut-il ajouter que la certitude du lien de causalité exigée par le droit positif n’est pas une certitude mathématique ou absolue qui existe rarement en médecine.
En effet, la certitude juridique ne peut être qu’une certitude relative traduisant une probabilité élevée ou suffisante.
Quant à l’effet de la perte de chance sur l’indemnisation, le dommage indemnisable correspond à une fraction des différents chefs de préjudice subis selon l’importance de la chance perdue et ainsi il ne peut être égale à la totalité des atteintes corporelles résultant de l’acte médical [5].
II. Les quatre méthodes utilisées pour le calcul de la perte de chance.
Les estimations « pifométriques » de la perte de chance sont source d’erreur en raison de leur caractère subjectif et approximatif.
Comment évaluer la perte de chance d’éviter une paralysie cérébrale de manière objective, transparente et selon les meilleures données médicales disponibles ?
Quatre méthodes sont actuellement préconisées en pratique médico-légale à savoir [6] :
1) Au prorata de la perte de temps dite brute
2) Au prorata de la perte de temps dite adaptée
3) En fonction de l’évolution du pH
4) En fonction de l’évolution du déficit de base.
Il convient d’examiner ces quatre méthodes.
1) Le prorata de la perte de temps dite brute.
Il s’agit ici de calculer le rapport entre le temps perdu en raison de la faute et la durée totale des anomalies du rythme cardiaque fœtal.
Malheureusement, cette méthode ne tient pas compte ni de la période de tolérance fœtale, ni de l’évolution de la gravité de ces anomalies.
Par exemple, si en l’absence de faute du gynécologue-obstétricien (ou de la sage-femme salariée de la maternité) les anomalies les plus graves auraient été évitées, cette méthode ne permet d’en prendre compte et la perte de chance sera sous-estimée.
Il en résulte que ce calcul est le moins fiable des quatre méthodes.
2) Le prorata de la perte de temps dite adaptée.
Cette méthode opère une déduction de la durée de la période de tolérance fœtale à l’anoxo-ischémie.
De cette manière, elle évite la réduction erronée de la perte de chance pour cette période pendant laquelle le fœtus peut tolérer les conséquences néfastes de l’asphyxie.
Bien que ce calcul soit préférable au premier, il ne tient toujours pas compte de l’évolution de la gravité des anomalies du rythme cardiaque fœtal et il répond de manière détournée à la question centrale qui est celle de savoir à quel moment le seuil de l’acidose métabolique pathologique a été franchi.
La question est centrale car le franchissement dudit seuil est un critère essentiel pour l’imputation d’une paralysie cérébrale (infirmité motrice cérébrale) à une asphyxie per-partum selon un consensus multidisciplinaire [7].
C’est pourquoi les deux méthodes quantitatives suivantes sont plus pertinentes.
3) L’évolution du pH.
Pour qu’il existe un risque de handicap par anoxie, le pH mesuré à la naissance dans un prélèvement sanguin de l’artère ombilicale (ou sinon chez le nouveau-né peu après la naissance) doit être inférieur à 7,00.
L’évolution du pH pendant le travail d’accouchement permet d’estimer à quel moment ce seuil est franchi et donc à quel moment le risque de handicap apparaît par rapport à l’heure d’extraction préconisée par l’expert.
Malheureusement, l’évolution du pH se heurte à une difficulté car celui-ci traduit souvent une acidose mixte, métabolique et respiratoire, alors que seule l’acidose métabolique est délétère pour le fœtus.
C’est pourquoi l’évolution du déficit de base est à préférer car cette valeur traduit l’importance de l’acidose métabolique.
4) L’évolution du déficit de base.
Pour qu’il existe un risque de handicap par anoxie, le déficit de base calculé à partir de l’échantillon prélevé dans l’artère ombilicale doit être supérieur à 12 mmol/l (ou de manière équivalente l’excès de base doit être inférieur à -12 mmol/l).
Cependant les résultats des gaz du sang à la naissance rapportent le calcul du déficit de base dans le sang qui, comme le pH, dépend de l’importance de l’acidose respiratoire. Ainsi le déficit de base du sang ne fournit pas une estimation fiable de l’acidose métabolique en cas d’acidose respiratoire élevée [8].
Il doit donc être corrigé pour cette composante respiratoire par le calcul du déficit de base dans le compartiment du liquide extra-cellulaire où la quantité calculée n’est pas affectée par le volet respiratoire [9].
Or il existe des méthodes qui permettent d’estimer le déficit de base corrigé pendant le travail d’accouchement dont l’algorithme de Ross et Gala developpé sur la base des données acquises de la science médicale [10].
Selon l’algorithme, le calcul de l’acidose métabolique dépend de la gravité de l’anomalie du rythme cardiaque fœtal [11] et le type d’événement hypoxique survenant pendant le travail d’accouchement [12].
L’algorithme a déjà fait l’objet d’une étude de validation en pratique clinique montrant l’estimation fiable du déficit de base pendant le travail d’accouchement [13].
Il a également été étudié dans le cadre de l’expérimentation animale pour approfondir des connaissances sur le développement de l’acidose métabolique [14].
Enfin, l’algorithme a été mis à jour pour tenir compte de l’évolution des données acquises de la science médicale [15].
Ainsi cette méthode permet d’apprécier le plus scientifiquement possible l’importance de la perte de chance.
Or, si selon cet algorithme le seuil pathologique du déficit de base corrigé est franchi à l’heure à laquelle la naissance aurait dû intervenir selon les experts, ceux-ci peuvent apprécier le risque de paralysie cérébrale (infirmité motrice cérébrale) suivant l’importance du déficit de base à la même heure. Par suite, de manière générale, si la probabilité (en termes d’un pourcentage) d’être atteint de paralysie cérébrale est de X% à l’heure de la naissance préconisée par les experts, la probabilité de ne pas être atteint de paralysie cérébrale à la même heure est naturellement de 100% - X% = la perte de chance d’éviter ce handicap.
A l’inverse, si selon l’algorithme le seuil pathologique du déficit de base corrigé n’est pas franchi à l’heure à laquelle la naissance aurait dû intervenir selon les experts, il n’y a pas de risque connu de paralysie cérébrale selon les données acquises de la science médicale ce qui représente une probabilité de 0%. Ainsi la probabilité de ne pas être atteint de paralysie cérébrale à la même heure est 100% - 0% = 100% ce qui traduit le caractère certain du lien de causalité car par définition la perte de chance ne dépasse pas 99%.
III. Conclusion.
Le suivi du déficit de base pendant le travail d’accouchement est la méthode la plus objective et scientifique actuellement disponible pour l’évaluation de la perte de chance d’éviter une paralysie cérébrale (infirmité motrice cérébrale).