I. Distinction des notions.
A. Contrefaçon : la reproduction illégale.
La contrefaçon est une reprise de la forme de l’œuvre d’un autre. Une reproduction intégrale ou partielle définitive ou temporaire, une représentation ou diffusion non autorisée d’une œuvre protégée. Cela implique un élément matériel (reprise) et, en droit pénal, un élément intentionnel. Exemple : En novembre 2024, les carabiniers italiens ont démantelé un vaste réseau européen de faussaires opérant à grande échelle, produisant des contrefaçons d’œuvres d’artistes majeurs tels que Banksy, Modigliani et Picasso. Cette enquête, baptisée « Opération Cariatide », a conduit à l’inculpation de 38 personnes et à la saisie de plus de 2 100 œuvres contrefaites, représentant une valeur marchande potentielle de 200 millions d’euros.
B. Appropriation : la réutilisation artistique.
L’appropriation artistique implique la réutilisation d’une œuvre préexistante pour en proposer une nouvelle interprétation. Cette pratique peut être licite si elle respecte les exceptions au droit d’auteur (art. L122-5 CPI), comme la parodie, ou si elle crée une œuvre nouvelle. Exemple : DeepArt, une intelligence artificielle générative, utilise des algorithmes de réseaux pour transformer des images ou créer des œuvres artistiques en imitant des styles spécifiques, à partir d’œuvres existantes, ce qui constitue un réel risque d’appropriation illicite des œuvres.
C. Plagiat : l’attribution de l’idée d’un autre.
Le plagiat, bien qu’absent du Code de la propriété intellectuelle, est souvent assimilé à une forme de contrefaçon lorsqu’il implique une appropriation frauduleuse de la paternité d’une œuvre. Il s’agit de s’attribuer l’idée d’un autre sans citer l’auteur, violant ainsi son droit moral (art. L121-1 CPI). Exemple : En février 2021 l’artiste Jeff Koons a été reconnu coupable de plagiat pour son œuvre "Fait d’hiver", une sculpture reprenant quasi à l’identique une photographie de Franck Davidovici utilisée pour une publicité « Naf Naf » dans les années 1980, sans citer l’auteur original. Koons, qui a invoqué sa liberté d’inspiration artistique et son droit à la parodie, a cependant été débuté par la Cour d’Appel de Paris qui l’a condamné à verser 190 000 euros de dommages et intérêts au créateur de la publicité car il « n’a pas présenté cette œuvre comme une critique, une caricature ou une création inspirée d’une œuvre préexistante » comme affirmé par l’avocat de Davidovici.
D. Parasitisme : profiter sans copier.
Le parasitisme, qui est susceptible d’engager la responsabilité civile du fautif (art. 1240 du Code civil), consiste à tirer profit des efforts ou de la réputation d’autrui sans reproduction directe. Il ne nécessite pas de confusion, mais une exploitation indue. Exemple : En 2019 la société Zara a été jugée par le Tribunal de commerce de Paris comme coupable d’actes de parasitisme pour la reprise de l’esprit des collections entières de la société Dior. En effet, pour obtenir la sanction de ces comportements parasitaires, Dior a dû prouver que son concurrent avait profité de son travail, issu d’un savoir-faire spécifique et appuyé par des campagnes publicitaires très onéreuses, afin d’en titrer un avantage économique (T. Com. Paris, 15e ch., 23 déc. 2019, n° 2018025628, SA Christian Dior Couture c/ Zara France).
E. Détournement : la transformation critique.
Le détournement, souvent protégé par l’exception de parodie (art. L122-5 CPI), implique une transformation significative d’une œuvre pour lui donner un sens nouveau, généralement critique ou humoristique. Exemple : Dans une campagne de l’association Aurore (Le Figaro, 29 avril 2015, « Une campagne détourne des marques de luxe pour aider les sans-abris »), des noms de marques de luxe ont été détournés en « Yves Sans Logement » ou « Jean-Paul Galère » pour sensibiliser à la précarité. Dans ce cas aucune marque n’a poursuivi l’association, suggérant une tolérance pour des détournements à visée sociale ou critique.
II. L’équilibre entre la protection des créateurs et la liberté artistique.
Ces distinctions reposent sur l’équilibre entre protection des créateurs et liberté artistique. Le plagiat et la contrefaçon s’attaquent directement au droit d’auteur, tandis que le parasitisme vise une concurrence déloyale. L’appropriation et le détournement, quant à eux, oscillent entre légalité et illégalité selon le degré de transformation. Les juges, confrontés à ces cas, scrutent l’originalité (art. L112-1 CPI) et le contexte pour trancher.
En effet, si d’un côté, il est impératif de garantir aux créateurs une reconnaissance et une rémunération pour leur travail afin de préserver l’innovation et la diversité culturelle, de l’autre, la création ne peut exister sans référence aux œuvres antérieures.
S’inspirer du travail des autres est donc inévitable et enrichissant mais afin de protéger les créateurs, il devient fondamental d’aborder la question de l’empreinte de la personnalité de l’auteur qui est au cœur de la définition de l’originalité en droit d’auteur, notamment dans les systèmes de tradition civiliste comme en France.
Pour qu’une œuvre soit considérée originale, elle ne doit pas seulement être nouvelle ou inédite mais, doit porter en elle les traces d’une démarche intellectuelle ou émotionnelle propre à l’individu qui l’a conçue.
Ainsi, une œuvre est originale et donc protégée dès lors qu’elle reflète la sensibilité, les choix créatifs ou l’individualité de son créateur, au-delà d’une simple exécution technique ou mécanique.
Il s’agit surtout d’évaluer quelle est l’intention artistique ou la marque distinctive, qui permette d’associer l’œuvre à la personnalité de son auteur. Ce fil rouge conduit les juge dans le labyrinthe des créations et valorise le lien intime entre l’auteur et son travail.
Les artistes contemporains évoluent donc dans un cadre juridique qui doit se transformer en fonction des pratiques artistiques actuelles, notamment à l’ère du numérique où la diffusion et la réutilisation des images sont omniprésentes. Un excès de protection pourrait freiner la création en limitant les possibilités d’inspiration et de transformation des œuvres, tandis qu’une trop grande souplesse risquerait d’encourager la contrefaçon et le parasitisme économique. Il appartient donc aux juges et aux législateurs d’adapter les règles du droit d’auteur pour qu’elles restent pertinentes dans un monde où la culture se construit de plus en plus sur la réinterprétation et le partage des œuvres existantes.
L’art contemporain continue ainsi de redéfinir les limites de la création et de la propriété intellectuelle, illustrant la nécessité d’une réflexion juridique constamment renouvelée.