L’actualité a tristement rappelé l’ampleur du fléau que constitue le harcèlement scolaire et notamment l’absence de réponse efficace et systémique.
En effet, si certains dossiers sont heureusement traités avec un réel succès par les établissements scolaires et les différents rectorats, la question du harcèlement scolaire par son ampleur implique une réponse globale.
Si une réponse pénale peut naturellement être envisagée, la réponse doit en premier lieu être administrative, c’est-à-dire être traitée à l’échelle de chaque établissement au plus près de chaque cas particulier.
Rappelons tout d’abord que la règlementation applicable en la matière contient d’ores et déjà des principes et mécanismes de nature à traiter la problématique du harcèlement scolaire.
Ainsi, le Code de l’éducation fixe le principe selon lequel aucun élève ou étudiant ne doit subir des faits de harcèlement résultant de propos ou comportements commis au sein de l’établissement ou en marge de la vie scolaire ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de dégrader ses conditions d’apprentissage [1].
Le corolaire de ce principe est qu’il appartient aux établissements d’enseignement publics comme privés de prendre les mesures appropriées visant à lutter contre le harcèlement.
La prévention étant la première des mesures. Si cette dernière n’est pas suffisante il convient, en cas de détection de cas de harcèlement, d’y apporter une réponse rapide et coordonnée.
Ces mesures concernent toutes les personnes impliquées (victimes, témoins et les auteurs).
Sur ce point un tout récent jugement du Tribunal administratif de Nîmes permet de mettre en lumière un exemple de traitement adapté d’une situation de harcèlement scolaire.
En effet, dans cette espèce, pour rejeter la demande indemnitaire de la mère d’une élève harcelée, le juge a relevé que l’établissement scolaire, le rectorat et les services de l’équipe mobile de sécurité académique (EMAS) avaient fait preuve de diligences à traiter cette situation.
La lecture du jugement révèle notamment que :
« (…) peu de temps après avoir été alertés par Mme C, les différents représentants du service public de l’éducation ont pris les mesures appropriées pour tenter de mettre fin au harcèlement dont la jeune B a été victime, notamment en sensibilisant le principal instigateur des brimades au caractère répréhensible de celles-ci, en prononçant ensuite son exclusion temporaire, puis en procédant enfin à un changement d’établissement. Le délai qui s’est écoulé entre le début de l’année scolaire 2019-2020 et la radiation de l’élève harceleur est inférieur à deux mois, de sorte que Mme C n’est pas fondée à critiquer le manque de diligence et la passivité des services du rectorat de l’académie de Montpellier. (…) » [2].
Le juge a également constaté les multiples diligences réalisées par les différences services pour apporter une réponse à cette situation.
Ce jugement est également intéressant en ce qu’il considère que la circonstance que l’élève harcelée ait été amenée à changer d’établissement lors de l’année scolaire suivante ne démontre pas, par nature, une faute ou carence de l’administration dans la gestion de la situation de harcèlement.
A contrario, la responsabilité de l’administration a été recherchée avec succès dans une seconde espèce illustrée par un jugement du Tribunal administratif de Versailles de janvier 2017.
Dans cette affaire, le tribunal a tout d’abord rappelé le principe applicable en la matière à savoir que :
« (…) lorsque faute recherchée est imputée à un auteur qualifié, la mise en jeu de la responsabilité des maîtres étant alors liée au devoir de surveillance qui leur incombe en contrepartie de l’autorité que leur confèrent leurs fonctions ; que ces dispositions sont en revanche inapplicables lorsque le préjudice trouve son origine dans un dommage afférent à un travail public ou dans un défaut d’organisation du service ; qu’ainsi, si la juridiction administrative n’est pas compétente pour apprécier les négligences ou un défaut de surveillance imputable à tel ou tel membre de l’enseignement nommément désigné, elle l’est si un défaut d’organisation du service public de l’enseignement ressort du dossier, lequel peut être révélé par un ensemble de fautes qui auraient pu relever du texte précité (…) ».
Dans cette espèce les réseaux sociaux ont constitué un vecteur de harcèlement.
Toutefois, les juges ont estimé au regard des éléments de l’instruction :
« (…) que si le site « Facebook » a été le principal vecteur matériel de cette hostilité, il n’en a pas été le lieu unique (…) ».
Ces derniers ont néanmoins considéré que l’usage des réseaux sociaux a constitué une part déterminante de la situation. Cet élément a constitué une cause d’atténuation partielle de la responsabilité de l’Etat en limitant cette dernière au quart des préjudices subis.
Pour retenir la responsabilité de l’Etat et un dysfonctionnement dans le fonctionnement du service public, les juges administratifs versaillais ont opéré un raisonnement en deux temps.
Ils ont tout d’abord relevé qu’à de nombreuses reprises les parents de l’élève victimes avaient sollicité les différents services du collège :
- pour demander un rétablissement de la discipline en classe
- puis une demande de changement de classe afin que leur enfant soit soustrait aux comportent de certains élèves
- ou encore pour mettre un terme aux humiliations et intimidations subies quotidiennement par sa fille.
Les juges ont ensuite constaté que l’administration n’a pas répondu à ces différentes demandes ni mis fin à cette situation délétère ayant conduit à un suicide.
Les juges ont dès lors considéré que :
« (…) dans ces circonstances, l’absence de réaction appropriée à des évènements et des échanges hostiles entre élèves qui se déroulaient pour partie sur les lieux et pendant les temps scolaires caractérise un défaut d’organisation du service public de l’enseignement de nature à engager la responsabilité de l’administration (…) ».
In fine l’Etat a été condamné à indemniser la famille de la victime.
Ces deux illustrations démontrent qu’il convient d’engager un véritable dialogue avec l’administration pour que cette dernière puisse agir rapidement et de manière adaptée à chaque situation, à défaut une carence ou faute peut être retenue à son encontre.
Références : Article L111-6 du Code de l’éducation ; TA Nîmes, 1ère Chambre, 26 juin 2023, n°2101533 ; TA Versailles, 26 janvier 2017, n°1502910 ; Le Monde [3].