Bien entendu, une IA doit respecter les dispositions européennes sur l’IA. Bien entendu, c’est toujours l’humain qui doit avoir le dernier mot. Bien entendu, les principes de transparence, d’éthique, d’équité, de sûreté, et de sécurité gouvernent l’utilisation des outils d’IA quand ils sont associés à la mise en œuvre d’une règle juridique [1].
Autant d’impacts et de défis pour les avocats que l’enquête lancée par le CNB entre le 17 avril et le 12 mai éclairera. Face à ces interrogations, la propriété industrielle se singularise puisque les offices de propriété industrielle recourent amplement à l’IA comme l’indiquent l’OEB, l’EUIPO et l’OMPI [2].
1°) Plusieurs causes à ces développements d’outils d’IA par les offices de propriété industrielle.
Par leur historique, les offices de propriété industrielle disposent d’importantes bases documentaires très structurées, le recours aux outils informatiques est ancien, et intervient dès le dépôt de la demande. Les échanges entre les offices et les usagers sont fortement structurés et les utilisateurs sont expérimentés.
A cette accumulation de connaissances et d’expériences par les offices, s’ajoute leur succès. Les offices ne peuvent plus accumuler du retard au regard de la nature des droits en cause.
- En 2024, 199 264 demandes de brevet ont été déposées à l’OEB dont « 18% portent sur les technologies informatiques qui comprennent certains domaines de l’IA tels que l’apprentissage automatique et la reconnaissance des formes ». [3] ;
- A l’EUIPO, 45 452 demandes de marques ont été examinées au premier trimestre 2025 avec dans le même temps à peu près le même nombre de demandes dont plus de 43% portent sur des marques figuratives. Devant le Tribunal de l’Union sur 786 affaires introduites en 2024, 268 portent sur des questions de propriété intellectuelles.
2°) En propriété industrielle, le développement des outils d’IA revient aux offices qui en ont mis quelques-uns à dispositions des professionnels dont les avocats et les conseils en propriété industrielle.
Dès les années 2018-2019 [4] l’OEB a créé une équipe dédiée en science des données pour la mise en œuvre de l’IA et des technologies d’apprentissage automatique [5]. Des développements ont été menés en interne ou en collaboration avec d’autres offices ou encore par des partenariats commerciaux.
Sans prétendre à une liste exhaustive des outils d’IA à l’OEB, ils interviennent pour la classification et l’affectation des demandes de brevets, et pour de nombreuses recherches (antériorités, figures et dessins des brevets, exclusions de la brevetabilité et détection automatique des problèmes/solutions) et pour l’enrichissement de la documentation des brevets. Sans omettre l’outil de traduction Patent Translate [6].
L’OEB vient d’annoncer le lancement du service Legal Interactive Platform qui « s’appuie sur les dernières technologies d’IA générative pour aider les utilisateurs à trouver l’information qu’ils recherchent dans près de 6 000 pages de droit et procédures en matière de brevets » [7].
L’EUIPO rappelle que la recherche d’images par IA pour les dessins et modèles et les marques remonte à 2019, et que dès 2023, les utilisateurs pouvaient comparer « plus de 57 millions de marques figuratives et de demandes de marques en quelques secondes » (outil TMview) [8].
A ces outils d’IA de recherches des antériorités sur le signe, s’en ajoutent d’autres pour le choix des produits et des services à indiquer au dépôt, et pour la sélection des termes appropriés au sens de la classification de Nice (l’outil de l’OMPI « Madrid Goods & Services Manager » [9]).
3°) De leur côté, les examinateurs disposent de ressources d’IA auxquelles sont confrontés les professionnels au moins par leurs résultats.
A se limiter à la pratique de l’EUIPO, le recours à des outils d’IA ouvre un espace considérable d’informations à prendre en compte par l’examinateur en le libérant des tâches chronophages.
Pour l’examen des motifs absolus de refus - par exemple, le défaut de caractère distinctif du signe - la recherche peut porter sur des signes présentant des similitudes textuelles, phonétiques ou encore visuelles dans toutes les langues de l’Union européenne avec des historiques associés.
Également au fil de la procédure d’opposition et de l’élaboration de la décision, des outils d’IA permettent d’évaluer la comparaison des biens et services à partir des décisions antérieures de l’office ou d’autres offices, et de leur contexte.
Les résultats de ces outils d’IA permettent à l’examinateur de se concentrer sur les points critiques, ce qui encourage fortement les professionnels à aller à l’essentiel et au plus vite.
Nous n’en sommes qu’au début de la généralisation d’outils d’IA.
Tous les offices se recentrent sur les utilisateurs pour améliorer la qualité de décisions rendues, et gagner en efficacité pour répondre plus rapidement aux nouveaux enjeux de concurrence et d’appropriation.
De prochains outils d’IA de pré-évaluation ou d’analyse prédictive devraient être mis à disposition des usagers par l’EUIPO.
L’avocat et le conseil en propriété industrielle verront-ils leur rôle réduit à motiver leurs avis différents de celui de l’IA ?
Ou bien, parce que leurs clients auront accès également à ces outils d’IA des offices, en retenant qu’une IA n’a pas besoin de maîtriser des milliards de milliards de données [10], des IA spécifiques au domaine de la propriété industrielle seront développées par des cabinets qui recruteront des Data scientist [11], ou par des éditeurs spécialisés.
Les avocats et les conseils en propriété industrielle les utiliseront aussi pour proposer de nouvelles prestations aux clients.