L’industrie pharmaceutique et le droit européen de la concurrence.

Par Arnaud Soton, Avocat.

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Explorer : # concurrence # industrie pharmaceutique # médicaments génériques # abus de position dominante

Le 3 décembre 2010, la Commission européenne a confirmé que des inspections surprises ont eu lieu dans le secteur pharmaceutique. Ces inspections surprises sont une suite logique de l’enquête sectorielle lancée en janvier 2008 par la Commission dans l’industrie pharmaceutique.

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Dans son communiqué qui annonçait le lancement de cette enquête, la Commission notait que « l’enquête a été suscitée par des indications selon lesquelles la concurrence pourrait ne pas jouer pleinement son rôle sur les marchés pharmaceutiques européens : moins de produits pharmaceutiques nouveaux apparaissent sur le marché et l’arrivée des produits pharmaceutiques génériques semble parfois retardée ».

La Commission observait que « les particuliers et les pouvoirs publics veulent un secteur pharmaceutique fort qui offre de meilleurs produits avec un bon rapport qualité-prix. Si toutefois, des produits novateurs ne sont pas fabriqués et si l’arrivée de médicaments génériques moins chers est, dans certains cas, retardée, nous devons déterminer pourquoi et, si nécessaire, prendre des mesures ».

Les enquêtes visaient notamment les groupes Pfizer, AstraZeneca, Sanofi-Aventis et GlaxoSmithKline et selon les conclusions du rapport de la Commission sur cette enquête on pouvait estimer qu’entre les grands laboratoires pharmaceutiques et les concurrents spécialisés dans la fabrication des médicaments génériques, il pourrait y avoir des ententes contraires au droit européen de la concurrence. Les laboratoires, propriétaires des molécules protégés par un brevet d’invention, paieraient les fabricants de médicaments génériques afin que ces derniers retardent l’arrivée des médicaments génériques sur le marché.

Rappelons que les génériques sont des médicaments dont les brevets sont déchus. Ils présentent les mêmes principes actifs que le médicament de référence dont le brevet est tombé dans le domaine public. Lorsqu’un laboratoire met au point un médicament, il garde l’exclusivité de sa commercialisation pendant la durée du brevet, soit en principe 20 ans, mais cette durée peut aller jusqu’à 27 ans. A l’expiration du brevet, une copie conforme du médicament original peut alors être développée et commercialisée sous un autre nom. Les accords entre les entreprises dans ce secteur auraient pour effet de retarder l’arrivée sur le marché des médicaments génériques. Ces accords, s’ils se révèlent effectifs, seraient de nature à fausser la concurrence au sein du marché européen, c’est pour cette raison que de tels accords sont interdits par le droit européen de la concurrence.

En effet, l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex article 81 du Traité CE) déclare « incompatible avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’association d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur de marché intérieur ».

Les accords sont des conventions par lesquelles deux ou plusieurs entreprises organisent leur comportement sur le marché. Elles peuvent le faire soit au moyen d’un contrat proprement dit, soit d’une manière simplement verbale. La décision d’association d’entreprises vise la constitution d’un groupement volontaire tandis que la pratique concertée est une volonté commune des entreprises d’adopter un certain comportement sur le marché sans que cette volonté se traduise par un acte formel.

Dans tous les cas, l’élément déterminant d’une entente est la manifestation d’un concours de volonté entre deux ou plusieurs entreprises.

Mais pour entrer dans le champ d’application de l’article 101 TFUE, une entente doit remplir simultanément deux conditions. Elle doit être susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres. C’est ainsi qu’une entente ne tombe pas sous le coup de l’interdiction lorsqu’elle est purement nationale et ne peut exercer aucune influence sur les échanges intracommunautaires. Une telle entente n’est pas pour autant forcément licite, mais elle relève exclusivement du droit interne de la concurrence.

L’entente doit ensuite avoir pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, ce qui exclut les ententes dont les effets ne se produisent que dans les pays tiers.

Il faut ajouter qu’en plus de ces deux conditions, la restriction de concurrence doit être sensible. C’est ainsi qu’un accord remplissant les deux conditions échappe à l’interdiction lorsqu’il n’affecte le marché que d’une manière insignifiante, c’est le cas lorsque les entreprises occupent une faible position sur le marché des produits en cause.

En outre, l’entreprise doit disposer d’un degré d’autonomie suffisant par rapport à celle avec laquelle elle conclut l’entente, ce qui n’est pas le cas des accords entre sociétés appartenant à un même groupe. Les ententes entre une société mère et ses filiales, ou entre filiales, n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 101 TFUE si la filiale n’est pas libre de déterminer son comportement sur le marché.

Si les soupçons d’accords entre les entreprises de l’industrie pharmaceutique dans le collimateur de la Commission se révèlent effectifs, il ne fait aucun doute que ces accords tomberont sous le coup de l’interdiction.
Dans ce secteur, la Commission recherche également à déterminer si les sociétés ont créé des obstacles artificiels à l’entrée sur le marché, ce qui serait constitutif d’abus de position dominante, lui aussi interdit par le droit européen.

En effet l’article 102 TFUE déclare « incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ».

Les entreprises en position dominante sont, selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), celles qui ont la possibilité de comportements indépendants qui les mettent en mesure d’agir sans tenir notablement compte des concurrents, des acheteurs ou des fournisseurs. L’existence d’une position dominante résulte de la combinaison d’un ensemble de facteurs relatifs au comportement effectif de l’entreprise, au degré de difficulté rencontré par ses concurrents pour accéder au marché en cause ou encore à la part de marché détenu par une entreprise. Ce que condamne le droit européen, ce n’est pas la position dominante mais son exploitation abusive, et cette exploitation abusive est appréhendée au travers de plusieurs types de comportements constitutifs de pratiques déloyales comme l’imposition de prix, la limitation de la production, des débouchés ou du développement technique au préjudice des consommateurs.
La création d’éventuels obstacles par les entreprises de l’industrie pharmaceutique à l’entrée sur le marché serait constitutive d’abus de position dominante.

Les enquêtes surprises dans ce secteur constituent un bon moyen pour la Commission pour établir si oui ou non la concurrence ne joue pas pleinement son rôle sur les marchés pharmaceutiques européens.
En matière de procédure, si on établit que la concurrence est faussée, la Commission peut commencer par adresser aux entreprises de simples recommandations les invitant à mettre fin à l’infraction. Elle peut également prendre des mesures provisoires lorsque le comportement incriminé est de nature à causer un préjudice grave et irréparable à une entreprise ou léser l’intérêt général de l’Union européenne.

Les décisions de la Commissions doivent être suffisamment motivées. En ce qui concerne les amendes, si l’infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence, la Commission peut infliger des amendes dont le montant varie de 1000 à 1 million d’euros, mais ce montant peut être porté à 10% du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise pendant l’exercice précédent.
Les pratiques anticoncurrentielles dans ce secteur, comme le notait déjà la Commission « peuvent limiter le choix des consommateurs, diminuer les incitations économiques à investir dans la recherche et le développement de nouveaux produits et porter atteinte aux budgets de santé des secteurs public et privé ».

Arnaud Soton

Consultant, Professeur de droit des affaires.

Arnaud Soton, Avocat Fiscaliste
Professeur de droit fiscal
http://www.soton-avocat.com/

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