La question peut paraître simple, mais la réponse n’est pas si évidente qu’elle n’y parait.
Sans revenir à des temps immémoriaux, le métier d’avocat a connu dans un passé pas si lointain deux évolutions technologiques majeures, voire trois si l’on rajoute le smartphone (4 si on prend les premiers téléphones portables).
La première évolution technologique a été l’émergence de l’informatique. Nous en conviendrons tous, taper sur ordinateur est plus simple et plus rapide qu’à la machine à écrire. Mais le gain de temps reste modeste et ne concerne bien évidemment pas tout le monde.
L’évolution suivante, elle, était une révolution. Il s’agit de l’arrivée d’internet. Sans prendre en compte les mails bien plus pratiques que les fax et autres courriers, la recherche juridique s’est complètement transformée. Entre chercher dans un livre qu’il faut peut-être aller consulter à la bibliothèque et chercher sur internet, la différence est énorme et a fait gagner un temps considérable.
Est-ce que la facturation des avocats a évolué à cette époque ? Tout laisse à croire que non.
Le gain de temps était certes conséquent, mais n’avait absolument rien à voir avec la révolution qui nous concerne actuellement.
L’avocat devient-il simple intermédiaire entre l’IA et le client ?
L’IA, par ses capacités, change radicalement la donne, mais peut-être pas tant que ça. A l’heure actuelle, il y a deux types de facturation : à l’heure ou au forfait. La facturation à l’heure reste majoritaire. Dans cette heure facturée, il y a les compétences, la technicité et l’expérience.
Si l’IA peut remplacer la technicité, dans le sens où elle pourrait rédiger un acte juridique et faire les recherches à la place de l’avocat, l’expérience et les compétences ne peuvent pas être remplacées.
En effet, un néophyte ne demandera pas la même chose à l’IA qu’un avocat chevronné. Précisément parce qu’il n’a pas cette technicité. Pour s’en convaincre, il suffit de s’imaginer remplacer une autre profession uniquement grâce à l’IA. Pourrions-nous devenir ingénieur aéronautique en nous appuyant uniquement sur l’IA ? On connaît tous la réponse.
La technicité du professionnel est irremplaçable, son expérience l’est tout autant.
Sur un réseau social, un sondage posait la question suivante :
"Préféreriez-vous un jeune médecin qui prend le temps de vous expliquer les choses avec pédagogie ou un médecin expérimenté et reconnu qui ne prend pas ce temps d’expliquer les choses à son patient ?"
Sacré dilemme, et je pense comme tout le monde : je réponds que je veux le praticien expérimenté qui prend le temps de m’expliquer les choses.
Pourquoi évoquer ce sondage ? parce qu’il montre que nous ne voulons pas choisir. On veut tout, on veut le meilleur.
Quoi de mieux qu’un avocat expérimenté qui s’aide de l’Intelligence Artificielle pour répondre plus rapidement à nos demandes ?
On en revient tout simplement à la base. Si un avocat ne fait que consulter Chat GPT, il donne raison à ses détracteurs qui pensent que l’IA le remplacera.
Quand on passe par un professionnel, qu’est-ce qu’on achète au final ?
- Du temps : avec du temps, nous pourrions tous nous former aux choses que nous ne savons pas faire. Mais nous n’avons ni le temps ni l’envie de le faire.
- De la technicité : quand on passe par un professionnel, on lui achète sa technicité. N’importe qui peut faire de la maçonnerie, avoir le même résultat qu’un maçon, ce n’est pas à la portée de tout le monde.
- De la "sur-délivrance" : quand on cuisine, c’est purement alimentaire. Quand nous allons au restaurant, nous attendons bien plus qu’un bon petit plat. Nous y allons pour ne pas cuisiner, ne pas débarrasser le couvert, ne pas faire la vaisselle. Nous y allons pour retrouver une certaine ambiance, être choyé. Il en est de même pour les clients des avocats. Ils n’attentent pas qu’une réponse juridique. Ils attendent plus, notamment de la considération humaine.
- Une décharge de responsabilité : si quelqu’un décide de se représenter seul devant un tribunal et qu’il se ridiculise, il sera le seul et unique responsable. S’il confie sa défense à un avocat, l’avocat sera responsable. Reprenons la comparaison avec la maçonnerie, nous n’achetons pas qu’une construction maçonnée, nous achetons une décharge de responsabilité. Si nous construisons quelque chose qui s’écroule, la responsabilité nous incombe. Si c’est le maçon, il est responsable et doit assumer.
La transparence...
L’utilisation de l’IA doit ou devrait devenir transparente de l’avocat vers le client. Mais à partir de quelle utilisation doit-on prévenir son client ? A partir de quelle proportion l’utilisation de l’IA doit modifier la facturation ?
Utilisation de l’IA pour la gestion de mail, faut-il prévenir le client ?
Utilisation de l’IA pour la recherche juridique, faut-il prévenir le client ?
Rédaction d’un acte juridique par l’IA, faut-il prévenir le client ?
Faut-il prévenir le client quand un “simple” collaborateur ou stagiaire travaille sur son dossier ?
La transparence peut être une bonne chose, mais peut également avoir beaucoup de travers, notamment sur la facturation.
Vers la facturation de l’avocat à l’abonnement ?
La facturation est actuellement partagée entre à l’heure et au forfait. Certains développent la facturation à l’abonnement. Bien évidemment, ça dépend grandement du droit que vous pratiquez. Proposer un abonnement pour un avocat pénaliste pourrait être considéré comme une incitation à devenir délinquant. Pour le droit de la famille, ça paraît également compliqué à moins d’aimer divorcer…
Mais pour bien des domaines, la facturation à l’abonnement est une idée à développer.
La facturation est et a toujours été un sujet délicat. Elle le devient davantage avec l’apparition de l’IA. Y a t-il une bonne méthode ? Ça se saurait !
Elle sera propre à chaque avocat et évoluera certainement tout au long de la carrière. Mais il est évident, qu’une réflexion doit avoir lieu, si ce n’est collectivement au moins individuellement.