Cass.soc. 20 février 2008, n° 05-45.601
FP + P + B , Selas Alain Bensoussan c/ Meier.
OBSERVATIONS :
La jurisprudence Ponsolle (Cass.soc, 29 octobre 1996,n° 92-43.680) continue de faire des petits….et le principe « à travail égal , salaire égal » ne cesse de se préciser.
La décision rendue le 20 février dernier en fournit une parfaite illustration : un cabinet d’avocat prétendait attribuer le bénéfice de titres–restaurants à la seule catégorie des salariés non-cadres. Considérant que cette différence de traitement constituait une discrimination, un avocat salarié réclamait lors de la résiliation judiciaire de son contrat de travail, le paiement de diverses sommes, notamment au titre des tickets-restaurants.
La cour d’appel tout comme la cour de cassation ont donné tort à l’employeur. En effet, pour la Haute juridiction « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont je juge doit contrôler la réalité et la pertinence ».
Bien que cet attendu n’étonne guère puisqu’il reste dans la lignée de la jurisprudence de la cour de cassation en matière de discrimination salariale (voir notamment Cass.soc, 15 mai 2007, n° 05-42.894 où la cour de cassation a considéré qu’une différence de statut juridique entre des salariés effectuant un travail de même valeur au service du même employeur ne suffit pas à elle seule à justifier une disparité de traitement), la décision mérite toutefois qu’on y porte une certaine attention tant elle paraît faire revenir sur le principe « à travail égal, salaire égal ».
Rappelons à titre préliminaire, que ce principe âgé de douze ans aujourd’hui, impose à l’employeur d’assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés pour autant que ceux-ci soient placés dans une situation identique et qu’ils effectuent un même travail ou un travail de valeur égal ( Cass.soc, 21 juin 2005, n°02-42. 658).
La première difficulté consiste à déterminer ce que signifie « travail égal ». Comme en dispose l’article L.140-2 du code du travail « sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveux ».
Un employeur doit donc verser la même rémunération à des salariés occupés sur un même poste et dont il exige un rendement identique (Cass.soc 10 décembre 1987 ,n°84-44.977).
De facto, le principe n’a vocation à s’appliquer que pour les salariés d’une même entreprise (Cass.soc ,12 juillet 2006, n° 04 –46.104) dont les conditions de rémunération sont fixées par la même source : loi, convention collective ou direction d’entreprise.
Quant à la notion de « rémunération »,elle est entendue de manière extensive aussi bien par la Cour de justice des communauté européennes que par la cour de cassation. Ainsi, la Cour de Luxembourg, considère par exemple que des prestations versées dans le cadre d’un régime de pension d’entreprise qui trouve sa source dans un accord intervenu entre l’employeur et le comité d’entreprise et fait partie intégrante du contrat de travail, entre dans le cadre de la notion de rémunération(CJCE, 13 mai 1986, Bilka c/ Karin Weber von Hartz, aff.170/4).
Notre haute juridiction s’inscrit de plain pied dans la jurisprudence européenne en ne se limitant pas au salaire de base, mais en incluant tous les avantages et accessoires de salaire accordés au salarié en raison de l’emploi, pourvu qu’ils soient versés par l’employeur.
Ainsi, le principe "à travail égal, salaire égal" s’applique aux accessoires de salaire liés à l’appartenance de l’entreprise tels qu’une gratification ou prime exceptionnelle (Cass.soc., 10 octobre 2000, n° 98-41.389) ou une participation financière aux frais de repas ( Cass.soc., 18 mai 1999, n°98-40.201). De manière significative, elle précise que le ticket- restaurant « qui constitue un avantage en nature payé par l’employeur, entre dans la rémunération du salarié » (Cass.soc , 29 novembre 2006, n° 05-42.853).
A travers ces quelques éléments, on ne peut de prime à bord, que s’étonner de la présente décision.
Il est évident que des salariés cadres et non cadres ne sont pas placés dans une situation identique et n’effectuent pas le même travail. Dès lors, il est normal qu’ils ne bénéficient pas des mêmes avantages et qu’ils aient un salaire différent.
Il est monnaie courante que les salariés cadres bénéficient d’avantages particuliers au sein d’une entreprise tels que des indemnités de déplacement plus élevées, une assurance décès au titre du régime Agirc, des voyages en première classe…alors que les salariés non cadres bénéficient, en règle générale, d’avantages en nature moindres.
Alors qu’un salarié cadre s’estime victime d’une différence de traitement car on ne lui pas attribué de titres-restaurants fait légèrement sourire… si l’on considère qu’il bénéficie de nombreux autres avantages que ses collèges non-cadres n’ont pas !
Un employeur est bien libre de mettre en place au sein de son entreprise une prévoyance complémentaire uniquement pour les cadres, alors pourquoi ne serait-il pas libre d’octroyer des chèques déjeuners uniquement à ses salariés non cadres ?
Mais ne nous méprenons pas, la cour ne refuse pas que lesdits avantages ne profitent qu’aux seuls salariés non-cadres, elle exige seulement que l’employeur justifie cette disparité de traitement par des raisons objectives et pertinentes.
Et à ce titre, on peut tout de même regretter que l’employeur n’ait pas trouvé de telles justifications pour justifier sa décision ,d’autant plus que la jurisprudence multiplie au fil des années les éléments objectifs susceptibles de justifier une différence salariale. Peut-être aurait il pu se prévaloir du fait que les salariés non cadres ayant une rémunération inférieure à celle des cadres justifie qu’il leur soit alloué des titres-restaurants afin de compenser le manque à gagner. Une attribution sous condition de ressource relèverait certainement des justifications admises par les Hauts magistrats.
Il peut être louable de penser que cette décision mérite approbation en ce sens que la cour de cassation place tous les salariés à égalité face à la nécessité de déjeuner . Elle reste d’ailleurs fidèle à sa jurisprudence en matière de titres- restaurants puisqu’elle avait déjà rejeté la possibilité pour une entreprise d’en priver les salariés intérimaires (Cass.soc, 29 novembre 2006 précité).
La différence est que dans affaire, tous les salariés de l’entreprise avait le droit aux tickets-restaurants, donc il était évident que les refuser aux travailleurs intérimaires constituait une discrimination. Alors que dans l’espèce sous commentaire, ces avantages étaient répartis selon la catégorie professionnelle ce qui n’est pas une discrimination. L’inverse aurait été soutenue si l’employeur avait décidé de n’en faire profiter que les salariés de sexe masculin.
C’est pourquoi, à notre sens, cette décision opère une légère marche arrière puisqu’une différence de statut juridique, et pour le coup matériellement vérifiable, ne semble plus pouvoir justifier une différence de traitement .
Par ailleurs, on peut se demander quelles seront ses conséquences pratiques de cette décision : une armada de salariés cadres risque de courir vers leur employeur afin de lui réclamer un rappel des sommes au titre des tickets restaurants….
Sabrina KEMEL