[Point de vue] La légitime défense en France et en Espagne : un droit et une nécessité pour l’individu et la société ?

Par Luis Fernando Paillet Alamo, Avocat.

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La légitime défense est l’un des faits justificatifs les plus anciens et connus en droit pénal. La loi pénale française autorise, d’une façon très stricte, la violence pour se défendre ou pour défendre une autre personne ou un bien d’une atteinte injustifiée. Le but de la légitime défense est double : permettre à la personne de se protéger face à une atteinte injustifiée et éviter que la société devienne une anarchie par l’exercice de la justice de chacun par ses propres moyens. La mise en application de la légitime défense soulève des problèmes, comme tracer la frontière entre un acte défensif proportionné et disproportionné. Une proportionnalité entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte peut-elle toujours être exigée [1] ?
La légitime défense préventive pourrait être autorisée dans des situations très exceptionnelles ?
Dans le domaine de la violence conjugale, la légitime défense peut poser des problèmes, tels que la légitime défense préventive des victimes pour se protéger.

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I. La légitime défense. définition et types.

1.1. Définition et délimitation

Les racines de la légitime défense se trouvent dans le droit naturel : tout être humain a le droit de se défendre contre une agression injuste. Il s’agit d’un principe universel et d’un point de convergence de justice et de moralité. La légitime défense est nécessaire parce que l’être humain vit en société et la société ne peut pas toujours protéger l’individu. Si la société n’arrive pas à protéger l’individu, peut-elle lui empêcher de s’auto-protéger ? La légitime défense contribue à la défense des droits fondamentaux tels que la vie, l’intégrité, la dignité ou la liberté sans que l’individu soit sanctionné. La légitime défense aide aussi à la préservation de l’ordre public et de la vie en société de l’être humain.

La légitime défense est un fait justificatif, lequel donne à une personne le droit de se défendre et d’utiliser la violence et la force pour se protéger à elle-même, à une autre personne ou à un bien d’une attaque immédiate et injustifiée. En Espagne, Muñoz Conde se réfère aux faits justificatifs comme preceptos permisivos [2].
La légitime défense est une cause objective d’irresponsabilité pénale qui empêche la condamnation de la personne qui l’utilise [3]. Les circonstances objectives d’irresponsabilité excluent la responsabilité pénale, avec indépendance de la psychologie de l’auteur de l’infraction.
Les faits justificatifs ne doivent pas être confondus avec les causes de non-imputabilité. Si les faits justificatifs effacent le caractère punissable des actes sans importer l’état de l’auteur, les causes de non-imputabilité n’effacent pas le caractère punissable de l’infraction, sinon qu’empêchent de reprocher l’infraction pénale commise à l’auteur des faits.
La légitime défense n’est pas le seul fait justificatif. L’ordre de la loi (article 122-4 du Code pénal), le commandement de l’autorité légitime (article 122-4 du Code pénal) et l’état de nécessité (article 122-7 du Code pénal) sont les trois autres faits justificatifs du droit pénal français.

1.2. Légitime défense des personnes et des biens.

En France, la légitime défense peut être utilisée pour défendre des personnes et des biens.
L’article 328 de l’ancien Code pénal disait : « il n’y a ni crime ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui ».

L’article 122-5 du Code pénal français de 1994 dispose :

« n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».

Concernant la légitime défense des biens, l’article 122-5 CP français dispose :

« n’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi, dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction ».

La légitime défense des biens était déjà admise par la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994. L’autorisation expresse de la légitime défense des biens reflète le haut niveau de protection de la propriété par le droit français.

1.3. Des présomptions de la légitime défense : proposition de réforme de l’article 122-6 du Code pénal.

En droit pénal français, deux présomptions de légitime défense sont prévues dans l’article 122-6 du Code pénal. Ces présomptions peuvent être renversées par la preuve contraire.
Selon cet article, est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte :

  • Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité.
  • Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence.

À mon avis, les présomptions que donne l’article 122-6 du Code pénal pourraient être insuffisantes et ne pas s’adapter à la réalité contemporaine. Cet article oublie les personnes les plus vulnérables et plus exposées aux atteintes. Des présomptions de légitime défense pourraient être ajoutées pour protéger les victimes d’agressions sexuelles, de viols et de violences conjugales et pour les forces de l’ordre.
Dans les agressions sexuelles et les viols, la présomption pourrait dire : pour se défendre contre les auteurs de viols ou d’agressions sexuelles.
Dans les discussions existantes pour mieux protéger les victimes de violences conjugales, une présomption de la légitime défense pourrait être une solution. Le contexte de violences répétées est fréquent dans les violences conjugales. La présomption pourrait inclure le syndrome de la femme battue et dire : pour se défendre des violences conjugales, ayant précédemment subi des agressions répétées ou continues, lesquelles donnent raisonnablement lieu à craindre une menace imminente.
Ces présomptions encourageraient les victimes d’agressions sexuelles, de viols et de violences conjugales à se protéger et tiendraient compte du contexte émotionnel intense subi par la victime pendant l’agression. Comme inconvénient, ces présomptions risquent d’affaiblir la présomption d’innocence de l’accusé.

Hors de la France, la Cour suprême du Canada a joué un rôle intéressant dans la prise en compte du syndrome de la femme battue [4]. L’arrêt canadien Lavallée est intéressant parce que la Cour suprême du Canada considère que les victimes de violences conjugales peuvent invoquer la légitime défense même si la menace n’est pas immédiate au moment de l’acte.

Une cinquième présomption serait l’inclusion de légitime défense pour les forces de l’ordre ayant accompli, dans l’exercice de leurs fonctions, un acte de légitime défense pour éviter une attaque injustifiée envers elles-mêmes ou autrui. En France, l’instauration de cette présomption dans l’article 122-6 du Code pénal soulève des débats importants dans les partis politiques. Cette présomption permettrait un renforcement de la position juridique des forces de l’ordre et une dissuasion des agressions contre les forces de l’ordre. Comme inconvénient, cette présomption aurait le risque d’un abus de pouvoir.

II. Éléments de la légitime défense.

La légitime défense requiert l’existence d’une agression et d’une riposte [5]. L’atteinte ou l’agression doit être réelle, actuelle et injustifiée. La défense doit être nécessaire, simultanée et proportionnée .

2.1. L’atteinte ou l’agression.

L’atteinte ou l’agression doit être réelle.
L’agression ne doit pas exister uniquement dans l’esprit de celui qui évoque la légitime défense [6]. Par exemple, il y a une agression réelle dans l’hypothèse qu’une personne soit encerclée par plusieurs membres se comportant de façon agressive pour l’empêcher de partir [7].
La légitime défense est caractérisée par le fait que l’agresseur a fait naître dans l’esprit de la victime la croyance de l’existence d’un danger et la nécessité de riposter pour échapper à ce dernier [8].

L’atteinte ou l’agression doit être injustifiée.
L’agression doit être injuste, c’est-à-dire, un comportement qui constitue une infraction pénale. Ainsi, un tueur ne peut pas évoquer la légitime défense à l’égard des polices qui le poursuivent. La police bénéficie d’une présomption d’agir conforme à la loi. Dans l’hypothèse que la police agissait illégalement, la victime pourrait évoquer la légitime défense. Par exemple, la riposte du « passage à tabac » permet à la personne appréhendée d’évoquer la légitime défense.
Le type d’infraction pénale qui peut être une atteinte est une des différences les plus importantes entre la légitime défense des personnes et des biens. L’atteinte peut être constituée par n’importe quelle infraction pénale de l’article 111-1 CP français (crime, délit et contravention) si l’atteinte est envers une personne. Si l’atteinte est envers un bien, les contraventions n’entrent pas dans le champ d’application de la légitime défense.

L’atteinte ou l’agression doit être actuelle.
Lorsque le CP français utilise l’expression « dans le même temps », il fixe que l’acte de défense doit faire face à une menace immédiate et empêche la légitime défense préventive et la vengeance. Par exemple, il y a légitime défense concomitant à l’agression subie lorsqu’un policier fait usage de son arme à deux reprises dans le but d’arrêter la progression d’un véhicule qui se dirigeait vers son collègue après que ce dernier avait intimé l’ordre de s’arrêter à un véhicule, lequel portait un sac d’argent d’origine frauduleuse et essayait de se soustraire d’un contrôle de police [9]. L’interdiction de la vengeance semble logique, parce qu’une personne qui a subi une agression n’a pas besoin d’une légitime défense et peut se placer devant la police pour dénoncer son agresseur.

L’interdiction de la légitime défense préventive ne semble pas si logique. Un problème de la légitime défense préventive est : dans l’hypothèse de l’imminence d’une agression, une légitime défense pourrait être admise ? La réponse est oui. L’imminence d’agression existe dans l’hypothèse où un gendarme tire des coups de feu contre une personne qui avait dans ses mains une arme à feu approvisionnée et avec une cartouche engagée et était prêt à tirer contre deux autres gendarmes [10].
Concernant la légitime défense différée, l’application stricte de l’article 122-5 CP empêche d’évoquer la légitime défense aux victimes de violence conjugale. La Cour de cassation française n’a pas apprécié la légitime défense d’une femme qui a donné la mort à son concubin lorsqu’il l’a menacé de mort en état d’ébriété après avoir subi depuis des années des violences [11].

L’atteinte doit être nécessaire.
La personne qui utilise la légitime défense doit justifier que la violence était l’unique moyen qui le restait pour sortir d’une hypothèse d’agression.

2.2. La riposte. Le problème de la proportionnalité.

L’acte de défense doit être proportionnel à l’acte d’agression.
Cet élément est confirmé lorsque l’article 122-5 CP utilise l’expression « sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».
Si la victime riposte de manière excessive, elle risque de voir sa légitime défense écartée par les tribunaux.

La proportionnalité de la légitime défense nous pose des questions techniques, telles que ce que la victime d’une agression injustifiée doit faire pour se défendre. Tracer une frontière entre la proportion et la disproportion des moyens de défense et la gravité de l’atteinte semble compliqué. La situation est encore plus compliquée pour la personne qui a utilisé la légitime défense : cette personne risque de se voir devant le tribunal correctionnel ou même devant la cour d’assises pour avoir blessé ou tué son agresseur.
Les circonstances de chaque situation doivent être analysées. Par exemple, un coup de poing contre d’autres coups de poing pour se défendre, riposter et éviter de recevoir d’autres coups face à une agression injustifiée, réelle et actuelle est considéré comme une réaction proportionnée [12] .

Le critère de la proportionnalité ne prend pas en compte que l’agression est inattendue et une surprise pour l’agressé. Imaginons une personne ayant une vie normale. Cette personne est mariée et a des enfants, une maison et un travail. Que se passe-t-il si cette personne, soudainement, est exposée à une agression ? Que cette personne soit capable d’analyser en quelques secondes une riposte raisonnable et proportionnée semble difficile. Il faut se mettre à la place de la personne agressée pour comprendre la difficulté que cette personne peut avoir à trouver une riposte raisonnable due à l’état de panique provoqué par l’agression. L’exigence de la proportionnalité ne peut pas être respectée dans ces situations.

L’article 122-5 du Code pénal pourrait exclure la responsabilité pénale de la victime en cas de défense disproportionnée en raison de la panique ou du stress dérivés de l’atteinte injustifiée. Par exemple, dans les infractions sexuelles, la victime peut agir sous l’effet de la panique avec une violence disproportionnée pour se défendre de son agresseur. La victime pourrait agir à la désespérance et tuer son agresseur pour échapper. La rédaction actuelle du Code pénal pourrait aider à assurer le confort des délinquants.

La riposte volontaire.
La légitime défense est incompatible avec le caractère involontaire de l’infraction constituant la riposte.

III. La légitime défense en Espagne.

La légitime défense est acceptée dans la plupart des lois pénales. En Espagne, l’article 20.4 du Code pénal espagnol autorise la légitime défense (en espagnol, la legítima defensa) s’il y a une agression illégitime, une nécessité rationnelle des moyens utilisés pour prévenir ou repousser l’agression et un manque de provocation suffisante de la part du défenseur.
Une légitime défense requiert l’existence de trois requis [13] :

  • Une agression illégitime ou une attaque injuste (en espagnol, una agresión ilegítima o un ataque injusto). L’agression doit être illicite, ce qui exclut la légitime défense contre les actes des forces de police.
  • Une nécessité rationnelle des moyens utilisés pour prévenir ou repousser l’agression illégitime (en espagnol, necesidad racional de los medios empleados para prevenir o repeler la agresión).
  • Un manque de provocation suffisante de la part du défenseur (en espagnol, falta de provocación suficiente por parte del defensor).

4. La légitime défense et l’état de nécessité.

La légitime défense ne doit pas être confondue avec l’état de nécessité. Bien que les deux soient des causes objectives d’irresponsabilité pénale, il s’agit de deux causes différentes. L’article 122-7 du Code pénal français montre les différences existantes entre eux.
Ledit article dit que :

« n’est pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

Si l’état de nécessité est l’hypothèse dans laquelle l’auteur des faits commet une infraction pénale par nécessité et la provocation à l’infraction ne vient pas de son agresseur personnalisé, sinon de circonstances ou d’un contexte défavorables, la légitime défense implique que l’auteur cause directement un dommage à l’agresseur. La légitime défense pourrait être considérée comme un cas particulier de l’état de nécessité, dans lequel il y a toujours une atteinte injustifiée.
L’état de nécessité requiert l’existence d’un danger actuel ou imminent, la fatalité du danger et la proportionnalité de la réponse.

Luis Fernando Paillet Alamo, Avocat
Barreau de Valladolid (Espagne)

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Notes de l'article:

[1Par exemple, si celui qui est agressé est une personne en train de mener une vie normale (il est marié, il a des enfants, il a une maison) et que soudain est exposé aux extrêmes de la violence, soit capable d’analyser raisonnablement la violence et la réponse à donner semble très difficile.

[2Muñoz Conde (F.) et Garcia Aran (M.), Derecho penal, parte general, tirant lo blanch, Onceava Edición, 2022 P. 295.

[3PIN (X.), Droit pénal général, Lefebvre Dalloz, 15e édition, 2024, P. 281 et 282.

[4Cour suprême canadienne, 3 MAI 1990, R.C. Lavallée, [1990] 1 RCS 852.

[5Mayaud (Y.), Code pénal, Les grands articles du Code pénal, Lefebvre Dalloz, 5e édition, 2023, P. 100 ET 101.

[6Gare (T.) et Ginestet (C.), Droit pénal, procédure pénale, 2025, Lefebvre Dalloz, 2025, 16e édition, P. 108 ET 109.

[7Cour de cassation, criminelle, chambre criminelle, 2022-21-85.174, ECLI:FR:CCASS:2022:CR00802.

[8Cour de cassation, criminelle, chambre criminelle, 19 Mai 2009, 08-87.643.

[9Cour de cassation, criminelle, chambre criminelle, 16 février 2021, 20-86.552, ECLI:FR:CCASS:2021:CR00350.

[10Cour de cassation, criminelle, chambre criminelle, 9 janvier 2018, 16-86.552, ECLI:FR:CCASS:2018:CR03145.

[11Cour de cassation, criminelle, chambre criminelle, 26 octobre 2022, 21-86.419, ECLI:FR:CCASS:2022:CR01342.

[12Cour de cassation, criminelle, chambre criminelle, 17 janvier 2017, 15-86.481, ECLI:FR:CCASS:2017:CR05874.

[13Muñoz Conde (F.) et Garcia Aran (M.), Derecho penal, parte general, tirant lo blanch, onceava edición, 2022 P. 296 à 301.

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