Les contours de la diffamation politique. Par Mathilde Desbrosses, Avocat.

Les contours de la diffamation politique.

Par Mathilde Desbrosses, Avocat.

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Explorer : # diffamation # polémique politique # liberté d'expression # attaques personnelles

Une personne publique s’expose inévitablement au regard de l’opinion publique et à l’attention de la presse, aux divulgations d’informations et aux critiques personnelles en rapport plus ou moins étroit avec son activité publique.
La diffamation politique est le fruit de décisions jurisprudentielles dans des actions où s’opposent liberté d’expression, nécessité de l’information à la protection de la réputation des personnes.

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En droit, « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation » [1].

Le droit positif français ne prévoit aucun régime propre à la diffamation politique.

La jurisprudence est bienveillante envers le diffamateur lorsque les propos s’inscrivent dans le cadre de polémiques politiques (1). Le domaine de la polémique politique cesse en cas d’attaques personnelles (2).

1. La bienveillance jurisprudentielle propre aux polémiques politiques.

Les imputations diffamatoires sont réputées de mauvaise foi sauf preuve contraire.

La preuve de la vérité des faits réputés diffamatoires est le seul moyen de défense prévu par la loi de 1881 [2], par exemple, lorsque la partie poursuivante s’estime diffamée à raison de sa qualité et de ses fonctions [3].

L’exceptio veritatis est cependant exclue lorsque l’imputation concerne la vie privée des personnes sauf si les imputations touchent à la fois et de manière indivisible les fonctions publiques et la vie privée [4].

Le défendeur à une action en diffamation peut alors -à défaut de prouver la vérité des faits lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne, - s’exonérer de sa responsabilité pénale en apportant la preuve de sa bonne foi.

Cette exception, d’origine prétorienne, suppose la réunion de quatre éléments : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure de l’expression, la fiabilité de l’enquête [5].

Dans le domaine de la polémique politique, qui porte « sur les opinions et les doctrines relatives au rôle et au fonctionnement des institutions fondamentales de l’État », les tribunaux admettent plus souplement le bénéfice de la bonne foi.

Ainsi, le diffamateur peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en démontrant sa bonne foi laquelle n’est pas nécessairement subordonnée à la prudence dans l’expression de la pensée [6].

Tel n’est en revanche pas le cas d’une polémique ayant trait à un parti politique, alors qu’un tel groupement, même s’il peut bénéficier des prérogatives qui lui sont reconnues par l’article 4 de la constitution du 4 octobre 1958, ne détient aucune parcelle de puissance publique, et ne saurait, dès lors, être regardé comme une institution fondamentale de l’Etat [7].

Egalement, les critiques dans un contexte de débat politique ou électoral autorisent une certaine vivacité de ton.

Il a ainsi été jugé que l’intention d’éclairer les électeurs sur le comportement d’un candidat à une élection est un fait justificatif de bonne foi lorsque les imputations diffamatoires, exprimées dans le contexte d’un débat politique, concernent l’activité publique de la personne mise en cause, en dehors de toute attaque contre sa vie privée et à condition que l’information ne soit pas dénaturée [8].

La Cour de cassation a encore jugé que des propos incriminés qui s’inscrivent dans un débat d’intérêt général sur les relations prêtées, dans un contexte électoral, à un homme politique avec un artiste ayant tenu des propos antisémites, qui, joint à l’existence d’une base factuelle, résultant de la réalité des affinités politiques entre les deux protagonistes et du caractère notoire des propos contestables tenus par le second autorise le ton polémique des prévenus [9].

La CEDH retient quant à elle dans son analyse le critère de l’existence ou non d’un débat d’intérêt général et d’un intérêt du public à la divulgation des informations [10].

La Cour européenne rappelle que

« l’article 10, § 2 permet de protéger la réputation d’autrui, c’est-à-dire de chacun. L’homme politique en bénéficie lui aussi, même quand il n’agit pas dans le cadre de sa vie privée, mais en pareil cas les impératifs de cette protection doivent être mis en balance avec les intérêts de la libre discussion des questions politiques » [11].

Aux États-Unis, la Cour suprême a établi la norme de la « malveillance réelle » pour assurer la protection des déclarations erronées faites dans l’intérêt public, renversant la charge de la preuve.

« L’intention malveillante réelle » a créé un critère de faute différent de celui de la mauvaise volonté, et a exigé d’un plaignant qu’il prouve par des preuves claires et convaincantes que les déclarations fausses ou inexactes ont été faites en connaissance de leur inexactitude, ou avec un mépris imprudent pour la vérité [12].

En France, même s’ils sont tenus dans l’intérêt du public, la Cour limite la liberté des propos tenus dans le cadre de polémiques politiques.

Leur auteur ne peut pas s’affranchir de sincérité, d’objectivité et de prudence.

La mauvaise foi a ainsi été caractérisée lorsque « l’amplification et la généralisation systématique de certains faits révèlent, non seulement l’insuffisance des vérifications préalables, mais aussi le manque d’objectivité et de sincérité de son auteur » [13].

Également,

« l’imputation à partir d’un fait unique, même établi, d’une pratique administrative illégale, procédait d’une amplification et d’une généralisation hâtives, et révélaient non seulement l’insuffisance des vérifications préalables, mais aussi le manque d’objectivité et de sincérité de son auteur ; que, d’autre part, c’est seulement dans le domaine de la polémique politique portant sur les opinions et les doctrines relatives au rôle et au fonctionnement des institutions fondamentales et de l’État que le fait justificatif de la bonne foi, propre à la diffamation, n’est pas nécessairement subordonné à la prudence dans l’expression de la pensée ; que tel n’est pas le cas en l’espèce » [14].

Il ressort de ces éléments que la bienveillance jurisprudentielle s’observe à l’égard des critiques qui entrent dans le champ du domaine politique.

Pour s’exonérer de sa responsabilité pénale, l’auteur des propos peut s’affranchir de l’exigence de mesure dans l’expression de sa pensée mais pas de sincérité, d’objectivité et de prudence.

Le domaine politique cesse en cas d’attaques personnelles.

2. La personnalisation des attaques comme limite à la polémique politique.

La personnalisation des attaques et leur violence excède les limites jurisprudentielles en matière de liberté d’expression dans le domaine des polémique politiques.

La Cour de cassation considère ainsi que des attaques personnelles dirigées contre un homme politique et portant sur des faits qu’il aurait commis antérieurement, en sa qualité d’officier, ne sauraient constituer une opinion relative au fonctionnement des institutions fondamentales de l’État [15].

Dans un autre arrêt, s’agissant d’un dessin de presse satirique à caractère fictif imputant une action violente menée par un groupe armé faite à une personne supposée avoir adhéré aux doctrines nationales-socialistes (Jean Marie Lepen), la Cour a estimé que « Les discussion polémiques ou satires politiques cessent là où commencent les attaques personnelles » [16].

Le moyen employé a permis de caractériser l’intention de nuire : « l’intention de nuire présumée est évidente, la bonne foi étant exclue par la nature même du procédé employé » (même arrêt).

Dans un autre arrêt où l’adjonction de l’épithète « crématoire » au patronyme de Michel Y... évoquait les crimes contre l’humanité perpétrés par les adeptes du nazisme, et portait ainsi atteinte à la délicatesse de la personne invectivée à raison de sa qualité de ministre, la chambre criminelle a rappelé que

« si des attaques de portée théorique et générale peuvent bénéficier de la liberté attachée à la critique du fonctionnement des institutions fondamentales de l’état et à la discussion des doctrines divergentes relatives à leur rôle, la polémique politique cesse là où commence les attaques personnelles » [17].

Le procédé employé qui révèle une animosité personnelle de l’auteur des propos envers la personne visée par une imputation diffamatoire exclue le bénéfice de la bonne foi.

Par exemple, par leur caractère outrancier, des propos ont constitué une attaque personnelle même lorsqu’ils ont fait suite à un débat public.

Ainsi, après avoir reconnu le caractère diffamatoire de propos tenus par un préfet de région à l’égard d’un président de conseil régional, le fait justificatif de la bonne foi a été écarté dès lors que les propos en cause, « même s’ils faisaient suite à un débat public, constituaient, par leur caractère outrancier, une attaque personnelle excédant les limites de la liberté d’expression accordée à un membre du corps préfectoral tenu à une obligation de réserve » [18].

En revanche, la seule gravité des accusations et le ton selon lequel elles sont formulées ne suffisent pas à caractériser l’animosité personnelle.

La Cour a ainsi jugé que :

« L’animosité personnelle envers la personne visée par une imputation diffamatoire, dont l’absence est un des critères de la bonne foi de l’auteur des propos poursuivis, ne peut se déduire seulement de la gravité des accusations et du ton selon lequel elles sont formulées, mais n’est susceptible d’être caractérisée que si elle est préexistante auxdits propos et qu’elle résulte de circonstances qui ne sont pas connues des lecteurs » [19].

Les accusations personnelles même lorsqu’elles répondent à une attente légitime du publique sont sanctionnées par le délit de diffamation en présence d’éléments de nature à établir l’intention de nuire de leur auteur.

Mathilde Desbrosses
Avocat au Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Art 29 de la loi du 29 juillet 1881.

[2Art 35.

[3Crim. 7 avr. 1994, no 92-82.890.

[4Crim. 14 mai 1898 : Bull. crim. no 189 ; DP 1899. 1. 385.

[5Civ. 2e, 14 mars 2002, no 99-19.239 ; Civ. 2e, 27 mars 2003, no 00-20.461.

[6Crim 23 mars 1978.

[7Crim. 28 juillet 1981 n° 80-91.397.

[8Cass. (Ch. mixte), 24 novembre 2000, Bull. civ., no 4.

[9Crim 28 juin 2017 / n° 16-80.066.

[10Arrêt Hachette Filipacchi associés c/ France du 14 juin 2007, req. no 71111/01.

[11CEDH, plén., 8 juill. 1996, n° 9815/82, Lingens c/ Autriche, série A, n° 103, § 42.

[12New York Times Co. v. Sullivan, 376 U.S. 254 (1964).

[13Crim. 12 juin 1978 : no 79-91.618.

[14Crim 9 juillet 1980, 79-91.618.

[15Crim. 7 nov. 1989, no 86-90.811.

[16Crim., 16 décembre 1986, Bull. crim., no 374.

[17Crim., 20 octobre 1992, Bull. crim., no 329.

[18Crim., 19 juin 2012, 11-84.235.

[19Crim., 28 juin 2022 ; n° 21-83.735.

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